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Critique de NineRouve


Je n'en finis pas d'ouvrir ce livre et de saisir des citations. Plus je l'ouvre plus je plonge avec Franz.

Putain de livre.

Je sais ce que signifie finir cet article sur ce livre. Finir, le ranger, passer à autre chose.

Je ne veux pas passer à autre chose. J'ai peur de passer à autre chose. Trop m'attendent. Je connais la liste. C'est moi qui l'ai faite.

Boussole est mon livre de chevet depuis le début. Je veux rester avec Franz dans sa nuit d'hypocondriaque à regarder l'horloge, à penser au passé, son passé. Au moins tant que je pense au sien... Forme suave d'hypocondrie.

Il va bien falloir ranger ce livre.

Ce livre cause de femmes, de l'Histoire, d'humanité, de lâcheté, d'instants gaspillés, d'amour. Il parle de trajectoires individuelles et de trajectoires d'ensemble, comme en mécanique des fluides, la vitesse du nageur et la vitesse du courant.

C'est un bon livre. le dernier Goncourt que j'ai lu, l'élégance du hérisson m'a bien saoulé. La liste de choses japonaises démontrant à chaque item mon incultie, ne m'a pas apportée d'assez nombreuses sensations. Alors que là, j'ai vécu chaque page.

Boussole est ma bouée. Commencé ce livre avant, fini pendant. Il doit être bon, très bon. Riche, complexe. Il doit vous marquer. Il faut que vous vous souveniez de lui. Autant que pour moi. Dense, multiple.

Je sais que je dois finir cette chronique. Sortir de ce livre.

Il est bien écrit. Bourré de références, mais pas le genre « bouge pas, j'te remplis de ma science », non le genre « j'aime ça, et puis ça, et puis ça, et ça, ça m'a me fait du mal, et ça, ça me fait vomir tellement c'est dégueulasse ».

J'ai oublié mon somnifère. Si je le prends maintenant je vais être infoutue de me lever demain. Si je le prends pas je vais pas dormir du tout. Tiens, ça fait comme pour Franz.

Par certains aspects, Boussole rappelle « le quatrième mur » ou bien « retour à Killybegs » de Sorj Chalendon. Y a cette désespérance en commun.



Boussole donc.

Les éditeurs, parce qu'ils sont plusieurs, ont écrit un quatrième que je n'ai pas compris. Il a fallu que je relise le livre.

J'avais lu une critique dans le magasine Lire, un mois où je cherchais des influenceurs pour mon livre. Voyez l'état dans lequel on peut se trouver ! C'était pour les prix littéraires en septembre, période de énièmes et stériles résolutions.

Je me souviens qu'il portait les thèmes suivants : histoire d'amour, objet d'enfance, Europe de l'est et Orient. Je me rappelle la gueule de l'auteur sur une photo en noir et blanc où il était adossé à un mur, et le fait qu'il habitait Niort.

Bref, j'ai attendu qu'il sorte en poche. Hors de question de payer 20€ un bouquin. Et quand je me suis pointée au rayon livre de Auchan, il ne restait plus de poche. Depuis j'ai paumé la banderole rouge du succès, perdu aussi l'étui glacé de la couverture couleur. L'objet est donc sobre, nu et tout corné. C'est bien.

Le texte donc. Intimiste, bien écrit. J'ai pris un cours de  ,  ; : ( ), et —. C'est écrit simplement, avec humilité. C'est pour ça je crois que je m'y suis accrochée. C'est un livre qui écoute, qui a su s'adapter à ma plongée. Il est facile à lire. Pareil le mélange du présent, du passé et d'un passé dans le désordre en plus, l'ensemble ne pose aucune difficulté. C'est comme ça dans nos têtes aussi. Dans la mienne. Il aura fallu ce quatrième lu à la fin pour me faire douter. Putain d'éditeurs trous du cul. Franz est touchant, il est réel, je l'ai déjà rencontré. Homme centré sur la moyenne, il a quelques colères identitaires et une capacité hors norme à déceler les noeuds de l'espace-temps : choper les liens entre son enfance, Balzac, des Européennes du XIXème trouvées en Orient et les marches militaires.

Toutes ces conjectures, ces inflexions de l'Histoire sont extraordinaires. Les camps musulmans créés par l'Axe pour soudoyer les combattants arabes et africains sous couvert d'études de sciences humaines, la jalousie de Wagner, les Milles et une nuits de Proust… c'est pour cela que c'est vain de chercher à tout vous dire, à vous faire sentir la constellation de ces conjonctions. Tout ce que Franz chope ce sont des petitesses humaines comme les siennes, des petitesses qui font l'Histoire, qui mises bout à bout, tissées ensemble, déroulent le grand tapis du temps et des vies. Mathias Enard partage avec nous une quantité inouïe d'histoires, de morceaux de vies : la boussole de Beethoven, le chien de Schopenhauer, la lâcheté de Goethe, et puis toutes ces femmes évoquées. Rarement auteur citant, n'aura cité autant de femmes. Saviez-vous qu'Alexandra David-Neel avait été Soprano aux opéras de Hanoi et de Haiphong avant ses périples au Tibet ?

Le livre est truffé de références et d'anecdotes mais on ne retient rien. Je ne retiens rien. Faudra que je le relise une nouvelle fois. C'est pas un livre à apprendre c'est un livre à vivre. le texte commence avec le XVIIIème, le XIXème et se termine sur la période contemporaine, voire très contemporaine. La poussière et le fer sont dans la bouche, comme dans « le quatrième mur » de Sorj Chalendon. le narrateur est un acteur impuissant, spectateur impliqué amer. Faut que je commence à mettre des virgules. L'auteur charge son texte de faits historiques dont il ne vient pas à l'esprit de penser qu'ils sont inexacts. Au passage je ne sais pas comment il a fait. La structure du récit est toute mélangée en apparence et se lit comme Franz pense, c'est-à-dire d'associations d'idées en associations d'idées. Construire cela, le synoptique… je ne vois pas comment l'auteur a pu faire. Chapeau donc. On ne sent aucun tuteur à la lecture. le chien du voisin, Sarah, les auteurs orientaux, les orientalistes, ses rencontres passées, lointaines oubliées ou ressassées ; tout s'enchaîne. La lecture se passe comme si Mathias Enard avait tout écrit dans un unique geste, avec des , ; des : des ( ) de – pour ne pas interrompre sa pensée. L'exercice est fait de merveilleuse manière. On est vraiment dans la tête de Franz.

Un truc est divergent. Je ris – c'est vraiment mesquin de ma part (vraiment mesquin) – ce sont les scènes de sensualité. Elles, sont dans un temps qui est autre, elles ne sont pas écrites dans le même geste. A la lecture, on doit s'arrêter et reprendre. le texte est beaucoup plus dense, beaucoup plus épais. Si M. Enard vous me lisez, ce n'est pas une critique, plutôt une remarque, d'auteur à auteur. Je sais que quand on écrit ça, on n'est pas dans le même niveau de sous-sol, c'est ce que je ressens quand j'écris des scènes comme ça et ce que j'ai ressenti en vous lisant. Sans que cela soit un problème. Ça nous fait un point commun. Ouais je rame. Je sais. D'autant que, s'il faut, c'est uniquement ma perception. Ma part d'écriture de ce livre. Probabilité supérieure à 50% d'ailleurs. Ce qui vient de moi, en plus, en sus.

Bref lisez ce texte.



Tout ce qui touche à l'histoire contemporaine, la Syrie, Alep, aujourd'hui, je n'ai rien lu. Zappés les passages amers de la période contemporaine, ma responsabilité d'existante contemporaine de cette liste des horreurs. Comme le corps se met en coma, mon attention n'a pas lu les choses graves et douloureuses. Je n'arrive pas écrire, les mots ne viennent pas. Certains confrères pensent qu'il faut éviter le bonheur pour ne pas voir se tarir la source de la création. J'suis pas sûre. L'état qui me domine n'est pas bonheurie, il m'asservit pourtant et me met dans un état atone.

Posture antalgique.

Terminer, passer à autre chose.

Mais j'aime ce livre. Je voudrais rester encore un peu avec lui. Encore un peu. Je n'ai pas tout lu. Je promets de lire les trucs sur la Syrie, sur les Iraniennes, sur Alep, sur l'hôtel Baron ; je promets ! Les trucs sombres. Je promets ! T'as toujours été là, je veux pas que tu t'en ailles.

Faut que je parle des femmes, et des hommes, ces passeurs des deux rives. Tellement nombreux dans ce texte.

Ce qui est troublant aussi, c'est que le texte que j'étais en train d'écrire avant, évoque cette question de rejoindre une autre rive pour se trouver soi-même. J'ai cité le Bosphore dans ce texte. Troublant donc. Sourire. Ce sera mon tissage à moi, entre les lieux, les arts, les états, entre les vies.

Allez, je saute.

Vous, lisez ce livre !
Lien : https://ninerouve.wordpress...
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