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Critique de HordeDuContrevent


La vraie vie…Incantation pour une vie meilleure ou constat amer d'une vie terrifiante loin, très loin des idéaux heureux comme le montrent à foison les publicités ? L'adjectif « vrai » est ambivalent, il prendra sens à la toute fin du récit lorsque la mort permettra de mettre fin à une situation impossible, glauque, sordide, d'une violence extrême et d'accoucher d'une possibilité de vie enfin plus authentique, plus sereine, plus apaisée.

Comme dans le livre de Lize Spit récemment lu, ce livre belge recèle une écriture trash, claquante tel un fouet, aux images si surprenantes, à la fois sombres et sensuelles, sordides et poétiques, qu'elles en deviennent inoubliables. Des images qui vous effleurent l'âme laissant l'émotion émerger à fleur de peau. Serait-ce la marque de la littérature belge ? Il me plait de le penser. J'ai aimé découvrir Adeline Dieudonné avec son premier roman multiprimé. Dès l'incipit, le ton est donné, le lecteur happé :

« A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. »

La vraie vie ce serait aussi celle que nous pourrions avoir si nous pouvions revenir en arrière avec une machine à remonter le temps pour effacer les événements traumatiques. C'est ce que tente de faire l'adolescente que nous découvrons.
Elle pose, dans un premier temps, son regard sans concession sur le monde familial qui l'entoure : un père chasseur de gros gibier, adepte du stand de tir, de la télé et du whisky, un être violent, assoiffé de sang ; une mère absente, transparente, soumise aux humeurs violentes de son mari, une sorte d'être unicellulaire, une amibe comme la qualifie sa fille, remplie de craintes ; un petit frère Gilles au rire solaire avec lequel la jeune fille passe beaucoup de temps à vagabonder dans le quartier pour tenter d'oublier ce quotidien angoissant. L'école n'est pas en reste dans cet examen implacable.

Cette famille vit dans un pavillon au sein d'un lotissement morne appelé La Démo. Il se passe d'étranges choses à La Démo, des animaux semblent disparaitre et les gens qui y habitent sont étranges, marqués qui du sceau de l'alcoolisme, qui de celui de la misanthropie, qui d'un passé terrifiant au point de devoir porter un masque…Une ambiance bien particulière, désolée, dévastée, sentant les lisières des villes, cet entre-deux, ni ville ni campagne qu'un Olivier Adam décrit si bien. le seul moyen de s'évader un peu de ce lotissement dortoir est d'aller éventuellement se promener au bois d'à côté, le Bois des pendus où se trouve la maison de Monica, une jolie maison mangée par le lierre et où le soleil tombe dessus à travers les branches tels des doigts caressants. « Je n'ai jamais vu les doigts du soleil sur ma maison. Ni sur les autres maisons du quartier ».
Au sein de leur maison, une chambre est réservée aux trophées du père, la fameuse chambre des cadavres, regorgeant d'animaux empaillés, dont une mystérieuse hyène au regard scrutateur dont l'âme semble s'infiltrer dans celle des membres de la famille distillant alors rage, gout du sang, instinct de chasse, et une défense d'éléphant qui fait la fierté du père, le plaçant en haut de la hiérarchie des chasseurs eu égard à la taille de l'animal abattu.

« J'ai aidé ma mère à préparer le repas. J'avais remarqué que, quand mon père devenait nerveux, elle servait de la viande rouge. Comme si elle espérait que la chair sanglante calmerait sa rage. Moi, je savais que le sang ne le calmait pas. Il fallait qu'il pénètre la chair vivante, que ce soit avec son poing ou une balle de 22 millimètres ».

Un événement particulièrement traumatisant permettra à la hyène de s'emparer de l'âme de Gilles, de lui faire perdre son rire solaire, de le rapprocher du père. La narratrice va tout faire pour tenter de retrouver son petit frère, pour le sortir des marais dans lesquels son esprit semble s'être englué, et pour cela la construction d'une machine à remonter le temps, qui requiert d'importances connaissances scientifiques, est nécessaire pense-t-elle avec un espoir tout enfantin qui nous touche en plein coeur.

« D'habitude, les frères et soeurs, ça se dispute, ça se jalouse, ça crie, ça chouine, ça s'étripe. Nous pas. Gilles, je l'aimais d'une tendresse de mère. Je le guidais, je lui expliquais tout ce que je savais, c'était ma mission de grande soeur. La forme d'amour la plus pure qui puisse exister. Un amour qui n'attend rien en retour. Un amour indestructible ».

Ce roman est un roman initiatique féministe qui permet de mettre en valeur la façon dont l'héroïne dompte ses peurs, se bat, se prend en main pour devenir libre, ce qui est d'autant moins évident dans cette communauté de chasseur où être femme est être immédiatement une proie. C'est un combat à la fois terrifiant et poétique, glauque et sensuel. C'est le récit d'une lutte, celui d'une enfance volée, d'une féminité naissante piétinée, d'une famille dysfonctionnelle qui peut anéantir ou, au contraire, armer l'enfant que vous êtes, l'adulte en devenir.
Une histoire marquante assurément sur les êtres qui volent la joie, qui assombrissent la vie et desquels il faut se tenir loin, une histoire belge, c'est-à-dire menée de façon délicieusement, poétiquement et sombrement trash.

« Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n'arrive pas dans la vraie vie ».

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