AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de AlbertYakou


J'ai ouvert ce livre avec un a priori défavorable. J'avais tenté de lire Vernon Subitex il y a quelques années et j'avais assez vite abandonné, trouvant le roman trop racoleur, trop trash pour être sincère, trop artificiel, et uniquement façonné pour plaire et vendre à un public qui rêve de marginalité et d'atmosphère destroy. Ce (bref) livre m'a fait changer d'avis. Cette Virginie Despentes a des choses intéressantes à dire et elle n'hésite pas à le faire. C'est déjà un très bon point. Pour ma part, j'ai été heureux de réviser mon jugement sur cette écrivaine. C'est toujours une petite satisfaction personnelle de changer d'avis, ça prouve que mon cerveau n'est pas encore congelé dans de la glace…

Je ne parlerai pas du style. C'est un style parlé, volontiers provocateur, usant et abusant de mots crus, pour choquer les bonnes âmes sans doute (moi, ça m'a plutôt amusé), mais peut-être aussi pour donner de la rage et de la force à ce qu'elle dit. Au moins, elle ne s'embarrasse pas de périphrases.

Ce n'est pas un essai au sens propre du terme. Nous ne sommes pas face à une recherche universitaire s'attaquant à un sujet, développant les tenants et les aboutissants d'une problématique, fouillant l'avers et le revers des concepts, ouvrant des pistes de travail et de réflexion avec la hauteur de vue qui sied au chercheur cultivé. Non, Virginie Despentes part de son expérience propre et en fait l'alpha et l'oméga de sa vision du monde et, en l'occurrence, parce qu'il y a tout de même un sujet, un sujet brûlant même, la place des femmes dans nos sociétés. En d'autres termes, il y a autant de distance entre elle et Mona Cholet (par exemple) qu'entre un théoricien et un expérimentateur dans une discipline scientifique. Place donc à l'expérimentatrice. Qui, du reste, avant de connaître le succès, a vraiment vécu la « vraie » vie, celle des gens sans fric et de ses turpitudes.

Pourtant, dans ce livre, malgré ce que je viens de dire et sans craindre la contradiction, Virginie Despentes se fait théoricienne de la libération des femmes dont elle décrit en moult cru détails l'aliénation. Pour survivre dans un monde dominé par les hommes, une société patriarcale en un mot, la femme doit de se plier aux codes qui lui sont imposés et dont elle n'a pour ainsi dire guère de moyens de sortir, sinon à vivre seule et misérable, isolée et méprisée. La féminité, voulue et organisée par les hommes, est un piège dans lequel elle tombe (pas le choix à vrai dire) si elle veut trouver une place qui ne soit pas un calvaire. Féminité tout azimut, de la manière de s'habiller et de se maquiller dans le seul but de plaire aux hommes, d'axer donc sa communication sur la séduction, de se marier, de servir de boniche à son mari (le linge, le ménage, la reproduction, l'élevage des enfants, etc), et enfin de ne pas trop l'ouvrir, surtout quand elle devient vieille et donc « inutilisable ».

Virginie Despentes revendique la part masculine des femmes et fait l'injonction aux hommes, qui pour la plupart s'y refusent, d'accepter leur propre part de féminité. Assume que la virilité n'est pas qu'une affaire d'homme, mais appartient au genre humain, que les femmes doivent s'en saisir comme tout ce que l'homme lui a confisqué.

Une part importante du livre est consacrée au droit de la femme de vendre son corps contre de l'argent. Elle l'a fait elle-même, elle sait de quoi elle parle. Bien sûr, il ne s'agit pas des réseaux de prostitution sordide où les femmes sont parquées, battues, violées, déstructurées et privées de leur passeport. Mais de la volonté librement consentie de se vendre pour gagner sa croûte comme toute autre transaction commerciale. En free-lance, si je puis dire, c'est-à-dire sans qu'un maquereau ne vienne ramasser le pognon. Non, le pognon, elle le garde, c'est pour elle. Elle est très convaincante sur ce point et démontre que cette manière de travailler pour les femmes est insupportable et inadmissible dans une société patriarcale, car ainsi les femmes échappent à leur destinée (mariage, bonne de maris, postes subalternes, asservissement financier, etc) et deviennent véritablement indépendantes. Elle explique en détail la lutte hypocrite contre ce droit élémentaire, avec le jeu pervers de la morale qui s'introduit, alors que de telles relations tarifées sont claires, saines et sans ambiguïté (personne ne fait semblant d'aimer l'autre…).

Il y a pas mal d'autres choses évoquées dans ce livre dont, par exemple, des réflexions intéressantes sur le viol (Virginie Despentes a été violée dans sa jeunesse), sur les fantasmes des hommes, sur leur malaise aussi. A ce sujet, il faut noter que le livre oscille entre une nette animosité envers les hommes, mais aussi une grande compréhension de la source de leur problème (parce qu'ils en ont aussi…).

Au final un témoignage important, des prises de position inhabituelles qui poussent à la réflexion. Bref, un livre utile.
Commenter  J’apprécie          122



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}