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Critique de Presence


Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de tout autre. Il contient les épisodes 1 à 5 de la série, initialement parus en 2013/2014, écrits par Kelly Sue Deconnick dessinés et encrés par Emma Rios, mis en couleurs par Jordie Bellaire.

Un papillon volette juste au dessus des herbes d'une praire en s'adressant à un lapin, lui demandant s'il se souvient de leur première rencontre. Les images de la séquence montrent que le lapin a été tué d'une balle dans la tête par une petite fille à ce moment là. le papillon demande au lapin de lui raconter l'histoire, mais pas depuis le début. La seconde séquence se déroule Far West, dans un patelin aux rues en terre, alors qu'un aveugle (Fox) et une jeune fille (Sissy) donne un spectacle à la populace. Sissy déroule une toile comportant une douzaine de cases qui servent de support visuel à son récit. Elle narre un conte dans lequel un mari enferme sa femme dans une tour. Elle réussit à convoquer la mort qui l'enferme à son tour et elle accouche d'une enfant Deathface Ginny. Sissy et Fox font la quête et continuent leur chemin à travers le désert. Quelque temps plus tard, Alice arrive dans la même ville, va trouver le shérif Johnny Coyote au bordel, le blesse à la jambe et lui reproche d'avoir confié un sceau à Sissy.

Le récit commence comme un conte pour enfant (le temps d'une page), puis il débouche sur une vision horrifique. Il repart ensuite sur un western, pour à nouveau virer dans le conte de nature surnaturelle et horrifique. le lecteur a intérêt a bien s'accrocher, tout en se laissant porter par les tours et les détours de la narration.

L'aspect western repose sur quelques conventions bien établies du genre : pistolero, ville sommaire avec sa grand rue, grands espaces, longues chevauchées. Toutefois le scénario incorpore ces conventions en les amalgamant intégralement dans le reste de la narration, au point qu'elles perdent leur fadeur, en s'imprégnant des autres saveurs. C'est également vrai sur le plan visuel, Emma Rios ne reproduit pas des stéréotypes, elle utilise une esthétique à l'apparence spontanée, sans être esquissée, avec des tenues vestimentaires à la fois crédibles et variées. Une simple chevauchée (un cavalier approchant du lecteur dans 4 cases de la largeur de la page) n'a rien de banal. La silhouette est en partie mangée par la poussière soulevée par le vent. Il subsiste assez de détails pour la rendre unique. le lecteur peut suivre la trajectoire légèrement arquée du cavalier et de sa monture. Il scrute le dessin, distinguant de nouveaux détails à chaque case. Emma Rios se révèle également très habile à rendre compte des espaces avec des horizons plus ou moins proches.

De la même manière, le trait un peu esquissé (parfois un peu confus) d'Emma Rios confère une étrangeté inconfortable aux éléments inattendus. Il peut s'agir de la moitié de la boîte crânienne du lapin, emportée par une balle, ou de la tête de corbeau (ou de vautour) qui sert de couvre-chef à Sissy. le trait un lâche des dessins, parfois un peu imprécis, oblige le lecteur à se concentrer (2 ou 3 cases difficiles à saisir du premier coup d'oeil), mais il laisse également une part d'inconnu dans ce qui est représenté, ce qui en augmente l'étrangeté ou l'horreur (par exemple la personnification de la mort).

Deconnick n'intègre pas énormément de scènes chocs dans sa narration (une automutilation, quelques blessures par balle, un duel à l'épée) ; il s'agit d'un niveau de violence très basique pour un comics américain. C'est bien le soin apporté aux costumes, aux environnements qui confère de la substance à ces actes, ainsi qu'une légère dimension onirique, teinté de gothique. Il faut un peu de temps pour s'adapter à cette esthétique plutôt européenne, un peu esquissée, avec ces motifs de nuées, et de volutes de papillons ou de pétales. Emma Rios expose au lecteur un environnement qui oscille entre réalisme et onirisme, sans frontière marquée, les glissements s'opérant naturellement, au gré des oscillations de la narration. Il y a une complémentarité naturelle et sophistiquée entre dessins et histoire. Rios et Deconnick avaient déjà collaboré ensemble pour un récit sur Norman Osborn (pour Marvel).

De la même manière que le lecteur est invité à se laisser porter par des images qui défient ses attentes, il doit aussi accepter de renoncer à ses idées préconçues sur le schéma narratif. Deconnick ne met pas en avant un fil narratif principal. Il n'y a pas d'exposé ou de dialogue explicatif pour présenter chaque personnage. de nouveaux personnages surgissent sans avoir été présentés. Ils accomplissent des actions sans explication de leur motivation, sans que le lecteur ne puisse appréhender les conséquences de ces actes. Deconnick n'a pas placé un personnage qui vient d'arriver, et qui pose des questions pour comprendre, dont les réponses constitueraient un exposé pratique pour le lecteur. Ce dernier est le témoin de scènes dont le sens n'apparaît qu'au détour d'une autre, séparée de la première par plusieurs séquences. Ce mode de narration (un peu dangereux car parfois sibyllin) a un effet déstabilisant parce qu'il ne met pas en évidence les liens de cause à effet. Il a aussi pour conséquence de nourrir cette sensation de rêve éveillé.

À l'issue de ces 5 épisodes, le lecteur aura plongé dans un monde aussi envoûtant que personnel, dans une histoire de vengeance cruelle. Il aura obtenu une partie des réponses, mais pas toutes. Il aura souffert d'une violence cruelle et il aura souffert avec les personnages qui se débattent pris dans la nasse confectionnée par les actions de leurs parents. Son cartésianisme aura été soumis à rude épreuve, ce qui aura pu engendrer un sentiment diffus de frustration de ci de là.
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