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Critique de RChris


RChris
09 décembre 2023
“Il est où le bonheur ?” chante t-il, et j'avais pensé à ma première lecture de “Belle du seigneur” en 2014 : “il est où le chef d'oeuvre ?”
Perplexe, j'avais alors noté 2*, frustré que j'étais à l'attente de la plus belle histoire d'amour.
J'attendais trop de l'histoire sentimentale, passant à côté de l'humour et du burlesque de…la meilleure vente de la collection blanche des éditions Gallimard (source Wikipédia).

J'avais prévu de le relire, sans attentes inconsidérées à l'égard du “chef d'oeuvre absolu” (Joseph Kessel) “comme une culture en produit une douzaine par siècle” (François Nourissier).

J'ai pu ainsi apprécier cette comédie humaine du paraître des Deume : le grotesque de certaines scènes domestiques, l'humour des situations où le cocu a des cornes alors qu'il veut écrire un Don Juan sur les conseils de Solal ! le cocasse des pensées de Mariette, la servante qui écorche les mots !
On regarde cette comédie sociétale en mettant le plus de distanceSSS possible avec ses protagonistes, de peur qu'ils nous ressemblent ne serait-ce qu'un peu !

Maniant le sarcasme, Albert Cohen présente ses deux personnages principaux de manière ambivalente, associant des envolées lyriques avec leur vie matérielle.
Ah ! la scène de la gestion des borborygmes dans les moments amoureux (voir citation), que j'imagine mise en scène au théâtre avec les sons amplifiés.

D'autres passages sont anthologiques, comme celui des cinq “valeureux” (Saltiel, Salomon, Michaêl, Mattathias et Mangeclous) qui enlèvent Ariane et me donnent envie de lire “Solal” et “Mangeclous” constituant une trilogie avec “Belle du seigneur”.

La deuxième lecture m'a fait penser à Céline dans certains passages où la moquerie sociale s'allie à la veulerie des personnages.
Mais les références à Proust sont les plus nombreuses, lorsqu'il décrit les milieux oisifs et snobs de la bourgeoisie, le mépris de classe, un Proust au second degré, plus moqueur et moins autobiographique ; les Deumes forment la panoplie de la sociologie proustienne, revue à l'aune de la pleutrerie ! A certains endroits, les références sont plus explicites comme l'attente du baiser de Laure avant le coucher qui rappelle l'attente du baiser de sa mère par le narrateur de “A la recherche du temps perdu”.
Parfois, Cohen s'en moque comme dans ce paragraphe de réflexion sans ponctuation : “Proust cette perversité de tremper une madeleine dans du tilleul ces deux goûts douceâtres le goût épouvantable de la madeleine mêlé au goût pire du tilleul”.

Les personnages entourant le couple correspondent au jugement perspicace de Mariette : Antoinette, la poison, le chameau de Deume, Adrien qui se prend pour le fils du pape et se monte du col…

Quant à Solal, tel un Don Juan, il décline cyniquement les leçons de séduction, qu'il appelle “les manèges” que je ne vous recommande pas, messieurs, de mettre en application :
- Avertir la bonne femme qu'on va la séduire
- Démolir le mari
- Faire la farce de poésie - Faire la farce de l'homme fort
- Jouer la vulnérabilité
- Afficher le mépris d'avance
- Jouer des égards et des compliments
- Évoquer la sexualité indirecte
- Mettre la femme en concurrence
- Émettre une déclaration pour une vie déconjugalisée.
Le pire c'est que ça marche avec Ariane !

L'éditeur a proposé d'alléger le roman de quelques chapitres grotesques.
Les valeureux” reprend les pages écartées du manuscrit originel de “Belle du seigneur” jugé trop long par le comité de lecture des éditions Gallimard.
Peut-être que le livre aurait dû être plus allégé ; A. Cohen est en effet sans concession avec le lecteur que je suis, en développant des chapitres de réflexions sans ponctuation et interminables, alors que j'étais pris dans l'épopée amoureuse du couple !

Voilà qui explique le retrait d'une demi-étoile à cette re-lecture, qui fut pourtant incomparablement riche !
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