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Critique de Antyryia



Dans les romans, et particulièrement les romans policiers, certains auteurs se réinventent à chaque fois, estimant qu'ils en ont terminé avec leur histoire et les personnages qui l'ont accompagnée.
D'autres au contraire reprennent leur héros récurrent ou leur duo d'enquêteurs, chaque livre étant comme la saison d'une série télévisée avec une intrigue principale et l'évolution ou la vie personnelle des différents acteurs, principaux ou secondaires.
A chaque lecteur sa préférence, à chaque auteur son choix.
Pour ma part j'évite autant que possible les longues séries en cours de route, perdu tôt ou tard par ce qui s'est passé dans "les épisodes précédents".
Mais il demeure quelques exceptions. Certains auteurs aiment bien alterner entre les "one-shoot" et de nouvelles enquêtes pour leurs personnages. On pense forcément à Franck Thilliez ( la série Syndrôme E sera justement prochainement diffusée d'après télé 2 semaines, une revue littéraire de pointe, et mettra en scène Sharko et Hennebelle réunis pour la première fois ), à Peter James, à Jacques Saussey, ou à Harlan Coben.

Olivier Norek, dans une interview, confirmait le probable retour du capitaine Coste dans un futur roman, ou même de Noémie Chastain vue dans Surface. Mais l'idée de départ de l'histoire va primer sur ses protagonistes, et il n'était pas envisageable d'emmener avec lui ses flics de Seine-Saint-Denis dans la jungle de Calais quand il a écrit Entre deux mondes par exemple.
Lors d'un entretien, Harlan Coben expliquait quasiment la même chose. D'abord lui venait un sujet d'intrigue puis il réfléchissait de quel point de vue celle-ci pouvait être racontée. Autrement dit, si c'était plutôt une histoire pour Myron Bolitar ou pour un héros indépendant.

Mais dans l'univers d'Harlan Coben, tous les personnages sont amenés à se croiser et à réapparaître. Comme des clins d'oeil aux fans. Les mêmes personnages secondaires peuvent être amenés à faire une apparition, même Bolitar dans un roman qui ne lui est pas consacré. L'année dernière, dans L'inconnu de la forêt, il avait ainsi mis en avant Hester Crimstein, donnant davantage de consistance à l'avocate pénaliste qui ne faisait au préalable que des apparitions.
Cette fois-ci ce n'est ni plus ni moins que Windsor Horne Lockwood III qui sera au centre de Gagner n'est pas jouer, et qui sera le narrateur s'adressant directement au lecteur. le meilleur ami de Myron Bolitar, personnage créé en 1995 par Harlan Coben.

Sans défense, publié il y a trois ans, sonnait un peu le glas des aventures du duo. Comme si Coben avait voulu dire au-revoir à ses personnages en les rassemblant une dernière fois. Mais il avait aussi donné la parole à Win dans un ou deux chapitres qui avaient eu toute mon attention. Révélant entre autres qu'il était le père de la petite Ema, la meilleure amie de Mickey Bolitar, neveu de Myron.
Pourquoi ce regain d'intérêt ? Parce que Win ( "Win" est d'ailleurs le titre du roman en VO ) n'a rien d'un héros. C'est un sociopathe narcissique, richissime, auto-suffisant, hédoniste.
"J'ai un égo surdimensionné."
"Eh oui, je suis content d'être moi."
Il se déplace en jet privé, n'a aucune attache sentimentale, a un sens de la parole donnée très discutable.
Et avec un tel narrateur, le lecteur ne doit surtout pas être choqué mais bien au contraire tout prendre au second degré. Win est tellement imbu de sa personne qu'il en devient presque caricatural, et pourtant c'est encore lui qui a le plus les pieds sur terre dans la famille Lockwood. A l'exception de sa fille ou des femmes battues, il ne prend rien au sérieux y compris dans les situations les plus dangereuses ou face à des adversaires menaçants, ce qui donne droit à beaucoup de réparties amusantes et décalées.

Bien sûr, même s'il n'a rien d'un héros habituel, il n'en n'est pas moins attachant et charismatique. Il a des valeurs. Mais au vu de ses capacités de combat incomparables et de sa fortune l'assurant de s'en sortir impunément, il n'hésite pas à se servir de ses poings ou de ses armes pour rétablir la justice.
"Je ne me bats pas en dernier recours. Je me bats chaque fois que j'en ai l'occasion."
"Tu joues les justiciers, Win, mais tu laisses toujours des dommages collatéraux dans ton sillage."

L'intrigue principale est un gros sac de noeuds dans lequel Win devra avancer lentement, d'indices en révélations, de pistes en interrogatoires. Tout commence avec une affaire de meurtre à laquelle sa famille semble inextricablement liée puisque sur les lieux on retrouve un tableau original de Vermeer volés aux Lockwood bien des années auparavant et une valise avec les armoiries familiales de Win.
A noter que le tableau de Vermeer auquel il est fait référence, Jeune femme jouant du virginal, existe bel et bien et est normalement exposé au National Gallery de Londres.
Les premiers pas de l'enquête menée d'abord par le FBI puis par notre sociopathe préféré qui peut agir bien plus librement relieront ce crime à un groupe d'activistes qui, pour protester contre la guerre du Vietnam, lanceront des cocktails Molotov. Mais leur mouvement protestataire pacifique devient criminel dès lors qu'il fait sept victimes.
"Ils n'ont jamais eu l'intention de faire du mal à qui que ce soit."
Parallèlement, l'affaire concerne Patricia, la cousine de Win. Son père a été assassiné, et elle a été enlevée pour survivre durant cinq années de cauchemars dans la "cabane des horreurs", prisonnière et violée chaque jour. Si elle s'en est sortie, ça n'est cependant pas le cas des jeunes femmes dont on a retrouvé les os tout autour.
Enfin, pourquoi un seul tableau a été retrouvé alors que les Lockwood avaient également prêté un Picasso à l'université ? Où est passé ce dernier ?
A notre héros de déterrer tous ces vieux cadavres, de reconstituer les faits, et peut-être faire de ressurgir des secrets de famille bien gardés.

Aucune apparition de Myron Bolitar dans ce livre, qui continue à filer le parfait amour avec Terese et à profiter peut-être enfin d'une retraite méritée. Mais il en est souvent question. Win compare souvent leurs points de vue. Parfois avec connivence, parfois avec désespoir.
Parmi les personnages récurrents des livres précédents de Coben, on ne retrouvera que Jessica Culver, l'ex de Myron, dans des circonstances assez cocasses. Et également Angelica Wyatt, la célèbre actrice, mais surtout leur fille Ema.
Win ne voulait aucune attache mais sa fille souhaite avoir un lien avec son père et devient par là même le talon d'Achille de notre super héros pouvant s'attirer les foudres de la mafia ou pire encore.

Si Harlan Coben n'a toujours pas retrouvé le talent qui le caractérisait avec Ne le dis à personne, Innocent ou Dans les bois, Gagner n'est pas jouer demeure un plaisir de lecture en grande partie grâce au choix du narrateur, attachante tête à claques. Les dialogues sont cinglants, l'impolitesse et l'insolence de Win le dandy prêtent à sourire même quand il nous parle directement.
Tous les fils de l'intrigue principale finissent par se démêler et apporter une logique à ce qui semblait n'avoir aucun rapport, et même si bien sûr c'est parfois fort de café la toile se dénoue progressivement jusqu'à ce que le lecteur puisse avoir une vue d'ensemble. Toutes les pièces retrouvent bien leur place une fois que le puzzle a été reconstitué, même les plus tordues. Mais mieux vaut vous laisser guider que d'élaborer des hypothèses vouées à l'échec, d'autant que j'ai quand même relevé une incohérence.
Pour être honnête l'intrigue sera de toute façon rapidement oubliée, à l'inverse de la façon de raconter.
Parce que c'est incontestablement le dangereux, l'égocentrique, le manipulateur justicier Win qui donne tout son piquant à son roman.
Un genre d'adorable nounours armé de deux pistolets et d'une lame de rasoir.
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