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Critique de Bartzella


Titre qui colle parfaitement à son contexte.
Nous sommes quelque part en Californie, dans les années « peace and love ».
Evie Boyd a quatorze ans lorsqu'elle rencontre « les filles ». Vivant seule avec sa mère cocue divorcée, elle est insatisfaite de sa vie bien que ne manque pas de grand-chose excepté d'attention, peut-être. Elle s'est brouillée avec sa seule amie Connie et nous ne sommes qu'au début de l'été. Evie souffre. Jeune adolescente mal dans sa peau, en quête d'identité, en mal d'amour et d'acceptation, ferait n'importe quoi pour faire partie de quelque chose, de quelqu'un. Elle a soif d'appartenance. Soif d'appréciation.

« On. Cette fille faisait partie d'un on, et j'enviais son aisance, et le fait qu'elle savait où elle irait en quittant ce parking. Ces deux autres filles avec qui je l'avais vue dans le parc, toutes les autres personnes avec qui elle vivait. Des personnes qui remarqueraient son absence et s'exclameraient en la voyant revenir. »

Sa rencontre avec les filles (Donna, Helen, Roos, mais surtout Suzanne – la plus âgée de la bande puis celle qui deviendra immédiatement son idole, son obsession) lui permettra d'expérimenter une panoplie de choses; vol, sexe en groupe, drogues, rock'n'roll et plus encore. Quelques garçons font partie de la bande également, dont Guy (plus en arrière-plan) et Russell, bien plus âgé qu'eux tous.

L'adolescente, à un âge facilement impressionnable, entrera dans le cercle de Suzanne et la suivra comme son ombre. Tous vivent ensemble dans un ranch crasseux et décrépit, dans la pauvreté, subsistant de larcins et de riens. Leur avenir n'est pas voué à de grandes espérances. C'est l'engrenage du monde sectaire qui commence lentement. Russell est un genre de gourou pour ces filles, elles boivent ses paroles, s'imprégnant de tout ce qu'il dit; lui prêchant l'amour libre, le partage et le bien commun. Ça paraît beau, formidable, c'est de l'abus facile. Il profite de leurs faiblesses, suite à quoi leur jugement est peu à peu altéré. Tout se fait très subtilement.

« Il avait ce pouvoir. de s'adapter en fonction de l'autre, à l'instar de l'eau qui prend la forme du récipient dans lequel on la verse. »

C'est perturbant, consternant, de voir à quel point un être influençable peut se laisser entraîner facilement lorsqu'une personne qui a un certain talent pour embobiner et manipuler l'esprit s'y met. On peut voir toutes les ficelles que ces profiteurs tirent, ils savent exactement laquelle tirer et quand la tirer. C'est fort choquant d'être témoin d'abus de confiance de la sorte. On a pitié de ces filles, faibles et sans défense, au fond. Leur monde s'emprisonne comme dans une bulle, autour de Russell, du ranch et du groupe de filles alors les perceptions extérieures sont de moins en moins existantes. Elles ne se rendent vraiment compte de rien. Et plus le temps passe en compagnie de Russell, plus elles s'enfoncent dans la décadence. Aucun éclair de conscience ne semble apparaître, jamais (ou en tous cas, rarement). Au début, Evie voit bien quelques incohérences mais finit toujours par trouver une excuse à ce qui se passe...tout plutôt que de retourner dans le monde vide et fade auquel elle appartenait auparavant. La soif d'amour et d'appartenance, d'illusion est plus exutoire que n'importe quoi d'autre.

« Je revoyais Russell gifler Helen et cela refaisait surface comme un petit accroc à l'arrière-plan de certaines pensées, un souvenir de méfiance. Mais je trouvais toujours un moyen de donner un sens aux choses. »

C'est à la fois fascinant, pitoyable et dégoûtant de voir jusqu'où quelqu'un est capable d'aller pour obtenir ce qu'il veut, juste pour assouvir son besoin d'exercer son pouvoir. Quant à la personne qui est prête à n'importe quoi juste pour recevoir une once d'attention, ce n'est pas tellement plus admirable. Surtout lorsque les choses dérapent vraiment grave.

« Ce serait étrange, par la suite, de repenser avec quelle facilité je me laissais tenter. (...) Je voulais que Russell soit gentil, alors il l'était. (...) Je recyclais les paroles que j'avais entendues dans la bouche de Russell, je les façonnais sous forme d'explication. Parfois, il devait nous punir afin de nous exprimer son amour. Il n'avait pas voulu faire ça, mais il était obligé pour nous inciter à aller de l'avant, dans l'intérêt du groupe. Ça lui avait fait mal à lui aussi. »

« The Girls », c'est un roman où l'on perçoit toutes ces ficelles cachées derrière le rideau. Pour nous, lecteurs, la chose est évidente. le processus est clair. Pour l'actrice dans le livre, elle ne voit rien aller. L'autrice a très bien su manipuler ses personnages, peu importe de quel côté du gouffre ils se trouvent.

Un roman sans faille que j'ai adoré pour sa crédibilité. On sent que cette situation peut, pourrait et a pu exister, sans aucun doute. On entre dans l'histoire et nous avons l'impression de connaître les personnages à fond, de comprendre leurs états d'âmes. Ceci dit, je les ai détestés. Tous, sans exception. Je n'ai ni partagé leur façon de voir la vie, ni approuvé leurs choix, mais cela reste une lecture que je ne regrette pas du tout ! Elle vaut la peine d'être lue parce qu'elle remue et choque. Un sans-faute à recommander ! Bravo à Emma Cline !

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