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Critique de Antyryia



- Accusé Antyryia, levez-vous. Vous êtes attendu à la barre.
Mais qu'est-ce que je fais dans un tribunal ? J'obtempère pourtant et avance doucement pour prendre place à côté du juge.
- Jurez-vous de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité ?
- Promis, juré, craché, affirmais-je, la main droite posée sur le roman de Karen Cleveland que je viens de terminer.
Le procureur s'avance alors vers moi et commence son interrogatoire agressif.
- Vous savez pourquoi vous êtes ici, j'imagine. Vous êtes accusé de haute trahison envers toute la communauté Babelio.
Je tombe des nues. Un ou une de mes ami(e)s babeliote a du me dénoncer aux plus hautes instances littéraires. Quelqu'un a du m'espionner, par exemple en insérant une clef USB dans mon ordinateur, et a eu accès à toutes mes données. le tout maintenant c'est d'essayer de donner le change.
- Mais qu'est-ce qu'on me reproche exactement ?
- Déjà vous publiez des critiques sous couverture. C'est forcément que vous avez quelque chose à cacher. Vous n'allez pas prétendre qu'Antyryia est votre véritable nom ?
- Certes, je l'admets, mais utiliser un pseudonyme, c'est ce que fait la majorité des membres, et c'est aussi ce qu'a fait Alexander Lenkov, qui est même coupable d'usurpation d'identité ! affirmais-je.
- Et qui est ce Alexander Lenkov ? Vous venez de le sortie de votre chapeau ?
- C'est un agent russe, infiltré aux Etats-Unis sous la fausse identité de Matthew Miller. L'un des principaux personnages du thriller psychologique de Karen Cleveland. Ca a été un sacré choc pour son épouse Vivian, quand elle l'a découvert, vous pouvez me croire. D'autant plus qu'elle est agente à la CIA et qu'elle travaille au centre du contre-renseignement. Elle a eu accès aux photos des cinq agents dormants travaillant pour leur officier traitant, un certain Youri Yakov, et quand elle est tombée sur le cliché de son cher et tendre époux, ça a été un électrochoc.
Celui-ci n'a même pas cherché à nier : il n'était effectivement pas celui qu'il avait prétendu être tout au long de ces années.
Je vous lis un extrait :
"Un espion sous couverture marié à une analyste du contre-renseignement de la CIA."
En revanche, même s'il a menti sur son identité, elle persiste à voir en lui un mari sincèrement amoureux, et un père comblé très attaché à leurs quatre enfants. Certes il lui a menti mais il n'a qu'un souhait : mettre cette seconde vie derrière lui et pouvoir profiter de l'Amérique, et surtout de sa famille.
Seulement, "il ne peut pas se contenter de claquer la porte." Vivian se retrouve donc face à un dilemme. Doit-elle ou non le dénoncer à sa hiérarchie ? Matthew l'y invite, mais comment fera-t-elle alors pour élever seule leurs enfants ? Comment condamner son époux qui demeure parallèlement un homme aimant et qui bénéficie par ailleurs de circonstances atténuantes ? Comment balancer dix ans de sa vie personnelle aux orties ?
- Stop, vous n'allez quand même pas nous raconter toute l'histoire non plus, il y a probablement des Babeliotes dans cette salle qui ont envie de découvrir ce roman par eux-mêmes. Réfléchissez un peu ...
- Excusez-moi, je vous assure que je n'avais aucunement l'intention de divulguer des éléments essentiels.
- Passons à la suite maintenant. Vous êtes accusé de manquer totalement d'objectivité dans vos notations. Regardez, depuis le début de l'année 2018 vous mettez quasiment systématiquement trois étoiles et demi à chacune de vos lectures. Vous savez qu'une fourchette de 0,5 à 5 est pourtant disponible ? C'est à se demander si vous avez réellement lu les livres que vous chroniquez.
- Bien sûr que je les lis !
- Cessez de m'interrompre sans cesse. Ne prenez la parole que si vous y êtes autorisé. Prenons l'exemple du livre que vous évoquiez à l'instant, Toute la vérité. Vous pouvez dire à la cour combien d'étoiles vous lui avez attribué ?
- Heu .... Trois et demi ? dis-je d'un ton hésitant.
- Et pourriez-vous justifier au jury devant vous, composé de membres éminents de Babelio, le bien-fondé de cette notation ?
- Tout d'abord, je voudrais préciser que si je me sers si souvent de cette note intermédiaire, c'est parce que de nombreux romans se situent dans une fourchette personnelle quelque part entre "lisibles" et "bons".
- Parce que vous avez réellement des critères de notation ?
- Oh oui, avant tout le plaisir de lecture, mais aussi la qualité de l'écriture, ce que le livre m'a apporté culturellement et surtout émotionnellement. Et plein d'autres petites choses : Lecture marquante ou oubliée rapidement, originalité de l'intrigue et des personnages, empathie, suspense, humour... Chaque livre est différent mais certains sont bien plus uniques que d'autres.
- Parlez-nous donc un peu de votre dernière lecture, ce soit-disant "Toute la vérité" pour illustrer davantage vos propos qui demeurent quand même très flous.
- Je vais vous lire ce que j'ai préparé au brouillon, dis-je en sortant mes notes.
"Malgré ses ressorts originaux liés à l'espionnage et au contre-espionnage, qui n'est pas sans rappeler la série "The americans" dans laquelle Matthew Rhys et Keri Russell incarnaient un couple d'officiers du KGB durant les années 1980 et qui en pleine guerre froide jouaient à la petite famille américaine parfaitement intégrée, le roman de Karen Cleveland demeure un thriller psychologique assez classique qui s'inspire toutefois de la propre carrière professionnelle de l'auteure, elle-même anciennement analyste à la CIA.
On ne peut pas dire que l'espionnage entre les russes et les Américains m'intéresse énormément mais il n'en est que très peu question finalement dans le roman. Il évoque le travail de la CIA dans les très grandes lignes, l'organisation et les méthodes employées par les espions russes, mais il n'est pas question en revanche d'un secret d'Etat en particulier, ni de cascades insensées pour pénétrer dans un lieu ultra-sécurisé.
Tout le roman repose sur le couple formé par Vivian et Matthew. Dont on fait la connaissance au présent comme au passé puisque de nombreux flashbacks permettent à notre analyste de la CIA de se souvenir des moments phares de leur existence : Leur rencontre, leur mariage, la naissance de leurs enfants, son évolution professionnelle ou encore l'acquisition de leur maison. Par l'intermédiaire de ses souvenirs, elle voit parfois son époux différemment et s'aperçoit qu'elle a parfois été manipulée. Et pourtant son actuelle sincérité est difficile à mettre en doute.
Ainsi, Matthew devient un personnage des plus ambiguës, auquel on ignore quel crédit apporter exactement.
"On ne peut pas feindre ce genre de choses, si ?"
Les doutes et les certitudes de l'héroïne deviennent ceux du lecteur, qui un instant se méfie du mari exemplaire et se demandent jusqu'à quel point il est sincère, et puis l'instant suivant ne voient plus que l'homme amoureux, prêt à tout pour sa femme et ses enfants, prêt à faire face à ses responsabilités. Matthew est-il réellement un espion repenti ou un manipulateur de haut rang ? le doute va longtemps subsister et c'est réellement très bien fait.
Quant à l'amour de sa vie ( ou sa victime ), Vivian, elle aussi doit prendre des décisions graves qui peuvent impacter sa famille ou sa carrière, les deux étant intrinsèquement liés. Dans un contexte où la méfiance côtoie les certitudes, où le devoir patriotique peut impacter son équilibre personnel, la vie de ses enfants, quels choix peut-elle ou non s'autoriser à prendre ?
"J'ai la sensation de m'enfoncer de plus en plus profondément dans une spirale sans fin, et d'être impuissante à en sortir."
Jusqu'où ira Vivian pour sauver sa famille ? Quelles limites sa conscience lui imposera-t-elle ? A quel point peut-elle croire en son mari ?
"Dois-de me fier à lui ? Il m'a menti, toutes ces années."
- Et bla, bla, bla ... Donc tout ça pour dire que vous avez trouvé ce roman plutôt pas mal ? Vous avez bien compris que Babelio attendait des ressentis sincères, des avis honnêtes et pourquoi pas originaux ? Vous n'avez pas l'impression de manquer totalement d'objectivité ? De répéter toujours la même chose au cas où on n'aurait pas bien compris ? Vous avez conscience que pour un faux témoignage vous risquez une amende de trois millions d'euros et une peine de quinze années de prison ferme pour haute trahison ?
- Je n'ai pas encore tout à fait terminé, murmurais-je timidement, conscient qu'il s'agit là de ma dernière chance.
- Vous avez deux minutes. Essayez d'abréger si possible.
- Eh bien je tenais à nuancer quand même mes propos. Certes, il s'agit d'un page-turner qui se dévore, et ce jeu de dupes dans lequel on ignore ce qui est ou non authentique intrigue tant par ses révélations passées que par ses rebondissements présents dignes d'une saison de 24 heures chrono ( mais qui a infiltré la cellule anti-terroriste ? ), mais malgré son sujet le roman n'est pas si original que ça puisque les thrillers psychologiques qui jouent sur les apparences, les secrets ou les personnalités cachées des membres d'un couple sont déjà légion. Une fois passé l'effet de surprise, on reste finalement dans un livre de bonne facture, mais qui se contente d'appliquer les codes du genre. J'ai trouvé aussi que l'on abusait des clichés avec les gentils USA et la méchante Russie, qui donne un aspect très manichéen et très nationaliste au roman. Un peu trop américain donc à mon goût. Enfin, pour finir, c'est typiquement le genre de livre que j'ai trouvé addictif sur le coup mais dont je ne me souviendrai probablement plus dans quelques semaines, à part en relisant les notes de la greffière.
- Merci pour votre témoignage. Les jurés vont maintenant se retirer pour délibérer.

Dix minutes plus tard ...
- Jurés, avez-vous un verdict ?
- Oui votre honneur. Concernant le chef d'inculpation "Haute trahison à Babelio", nous déclarons l'accusé ... coupable ! Puis-je m'approcher monsieur le juge afin de suggérer une idée de sentence plus adaptée que l'injection létale ?
- Faîtes donc, je vous en prie.
Je vois l'éminent babeliote s'approcher du juge et lui murmurer quelques mots à l'oreille.
- Antyryia, au vu des crimes de trahison, d'usurpation d'identité et de manque d'objectivité dans vos critiques et notations.
Au vu également de vos apparentes affinités avec la littérature de genre, tels que les polars, les thrillers ou encore les romans d'horreur.
Vous êtes condamné à lire les 662 romans sentimentaux de Barbara Cartland, et à rédiger une chronique sur chacun d'entre eux.
La séance est levée !
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