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Critique de Dessert



"je quitte ma ville pour venir voir qui vous êtes", Fanny Chiarello
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Au fil de ces poèmes, qu’elle présente comme étant les pages d’un journal tenu pendant une période donnée, Fanny Chiarello dit la teneur, des prémices jusqu’à la séparation, de la relation qu’elle a vécue de juin 2016 à février 2017 avec celle qui n’est jamais nommée. Elle la vouvoie, la tutoie brièvement, sait la fragilité qui les rapproche.

« aujourd’hui tu es désaxée
je le sens dès l’ouverture des yeux
je mets des nectarines et du thé dans ta bouche
ça descend dans ta gorge et ça tombe dans ton ventre
je te nourris avec le mélange de patience et de brusquerie
que l’on observe aussi chez certains oiseaux
puis je noue le cordon de ton short lace tes baskets
et t’envoie courir dans les banlieues écrasées de silence »

Pour la rejoindre, elle traverse la France du nord au sud. Passe des briques rouges aux flamands roses. Observe les paysages qui défilent derrière la vitre du TGV avant de trouver place, plus tard, dans une chambre d’hôtel. Parfois, elles font toutes deux escales à Paris. À chaque fois, elle note ce qu’elle voit en s’éjectant du lieu à l’improviste. Elle capte – et décrit – certains détails précis tout en laissant vagabonder ses pensées.

« nous roulons dans la lumière dorée
entre les étangs et les zones commerciales
mes bras autour de votre taille très vite
mais je n’ai pas peur
mes jambes nues n’ont pas peur de perdre
leur foulée souple mes mains n’ont pas peur
de perdre l’usufruit de votre peau
je pourrais rouler ainsi avec vous
jusqu’à l’extinction de l’or dans l’air tiède du soir »

Fanny Chiarello se saisit de l’instant présent avec spontanéité et énergie. Elle s’empare du réel, le froisse dans ses poèmes et s’acquitte des tracas quotidiens sans jamais se laisser abattre. Son texte est alerte. Il se déplace avec elle. L’émotion y est toujours palpable. Elle passe par le toucher, par le regard et par tout ce que la mémoire a emmagasiné. De bons ou de moins bons moments. À l’image de ceux inclus dans cette relation amoureuse qui, à l’origine, aurait dû déboucher sur un livre à deux voix, intitulé Pas de deux.

« il a fallu six mois pour que nous passions du vous au tu
dans son lit sous le velux
on penserait
que ça ne saurait évoluer encore et pourtant
la voici en un point final
devenue elle »
© Jacques Josse in Remue.net

La poétesse a la délicatesse d’informer le lecteur que son recueil écrit en vers très libres, sans ponctuation, ni rime, ni majuscule, sans effets particuliers, des vers qui fusent et scintillent, raconte une histoire d’amour, la relation passionnelle qu’elle a connue l’espace d’un peu plus d’une demi année. « Ce recueil est le journal d’une relation vécue de juin 2006 à février 2007 ». Cette version est celle de l’auteure, écrite après qu’une version à deux voix ait été rédigée par les deux protagonistes sans que je sache si elle a été publiée.
Même si ce n’est pas le premier recueil de Fanny Chiarello que je déguste, pour appréhender cette aventure sentimentale, dans toute son intensité, dans toute sa brièveté, dans toute sa plénitude, j’ai lu avec attention la préface d’Isabelle Bonat-Luciani dont j’ai déjà eu l’occasion d’apprécier le talent et l’expertise en matière de poésie amoureuse libre et même débridée. Elle donne de très bons indices pour mieux connaître la poétesse : « Chez Fanny Chiarello, tout est affaire de maintenant, d’autant que le pire est toujours certain ».
Maintenant, c’est la passion que l’auteure a connu pour une femme qu’elle appelle toujours vous comme pour laisser croire qu’il y aurait une distance entre elle et cette autre, une différence d’âge, de classe sociale, … ? Ou autre chose encore.
« nos corps salés se joignent sur la
serviette où se dessine
des continents nouveaux et parmi
eux nos corps dérivent aussi »
Une passion pain d’épice, pour évoquer cette autre métisse, une passion ferroviaire car si l’auteure habite du côté de Loos comme ses mots l’indiquent, l’autre habite à l’autre bout de la France, dans le Sud, vers Montpellier. Et les mots et les vers se baladent entre les gares, les TGV, les trains moins prestigieux, les rendez-vous à Paris, à Lyon,….
« je prends des trains pour aller découvrir
qui vous êtes quand vous ordonnez
le monde autour de vous »
Mais la distance distend la passion, étire les sentiments, et la poétesse comprend que l’amour qu’elle vit ne sera qu’éphémère. Chacune est trop attachée, trop identifiée à son territoire, trop marquée par son milieu pour l’abandonner et rejoindre l’autre.
« alors je dois comprendre que nous ne vivrons pas
sous les mêmes ciels nos vieilles années
jee dois comprendre que vous appartenez à ce territoire
Tout autant que j’appartiens au mien …. »
Comme l’a si bien dit Isabelle Bonat-Luciani, cet amour est un amour de maintenant, pas un amour de demain, de plus tard, de quand on sera vieux, c’est un amour à consommer sur place, les voyages, les trains l’usent trop vite. Fanny c’est une fille d‘aujourd’hui, elle consomme au jour le jour même si elle souffrira très fort au moment de la rupture. C’est un cœur débordant de sensibilité jusqu’au bout de sa plume, une sensibilité qu’elle déverse sur la feuille en des jets spontanés, comme des mots qu’on crache dans la frénésie de l’amour, de la douleur ou de la colère.
Lire Fanny Chiarello c’est croire que l’amour peut surgir n’importe quand, n’importe où, disparaître aussi vite mais renaître ailleurs tout aussi site. Ce n’est surtout pas attendre éternellement l’aventure qui sera la bonne. Ou le moment qui sera le bon pour dévorer ce recueil.
© Denis Billamboz in Critiqueslibres.com
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