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Critique de Chestakova


C'est toujours un plaisir de lire les chroniques publiées dans Babelio, et j'en remercie les lecteurs attentifs et fidèles qui ne manquent pas, le livre refermé, de mettre en partage leurs ressentis et leurs émotions. Ainsi ai-je retrouvé récemment le chemin d'un livre que j'ai laissé passer lors de sa parution, puis oublié totalement. le plaisir de sa lecture en a été décuplé, comme la redécouverte d'un trésor caché. Dans une langue plus vivante que la vie même, Cavanna avec Les Russkoffs, nous donne à découvrir un homme à hauteur d'homme, alors que tout autour de lui, les frontières de l'humanité s'effilochent jusqu'à n'être plus que lambeaux informes. La force du livre tient avant tout à l'extraordinaire vivacité du langage, Cavanna donne aux mots leur musique phonétique et l'allemand, le russe, écrits sans décodage, comme l'oreille les entend, prennent un relief extraordinaire, comme un espéranto improbable. Ce mode de transcription des 2 langues que Cavanna découvre en Allemagne contribue à donner à la narration toute sa vivacité, par ailleurs accentuée par le récit au présent, à la hauteur des 19 ans de Cavanna en 1943, lorsqu'il est raflé sur son lieu de travail, STO oblige. Lorsqu'il écrit son livre à 56 ans, Cavanna veut retrouver ce garçon-là, fils de rital, parigot de Nogent jusqu'à l'os, dans l'étonnement, l'émotion, la colère qui l'ont traversé, jusqu'à la presse du 46, quelque part à Berlin.
Cavanna ne nous propose pas une leçon d'histoire, en nous promenant des routes de l'exode à Berlin sous les bombes, pas plus qu'une réflexion politique sur la nature du régime hitlérien, son idéologie, son fonctionnement. Il propose simplement son regard décapant sur la connerie d'où qu'elle vienne et quelle en soit la forme, il en ressort un tableau au vitriol qui sait donner aux figures, aux personnages, la consistance de la vraie vie, aussi banale que sublime jusque dans sa bêtise, sa simplicité, sa beauté, son évidence. Car il peut y avoir de la beauté dans la guerre, et Cavanna sait la reconnaître, c'est celle qui vient des femmes russes parce qu'elles savent usurper la gaieté de leurs chants au cloaque, et c'est celle qui prend les traits de Maria l'Ukrainienne. L'enfer n'empêche pas de tomber amoureux, Cavanna n'est pas le seul dans ce cas, d'autres ont eu la chance de ramener leur amour en France ou de revenir le chercher, j'en sais quelque chose je suis née d'une histoire d'amour entre une Raïssa et un Marcel, Cavanna n'aura pas la chance d'une suite. Il reste néanmoins ces instants de joie malgré la terreur, la frayeur des bombardements, la folie meurtrière des hommes. Il ne s'agit pas seulement des moments passés avec Maria, mais aussi de ces moments étourdissants lorsque le chant des femmes russes emplit l'espace et sature l'émotion jusqu'aux larmes, des moments de rapine ou de chance qui font trouver par miracle quelque chose à manger lorsque manger est devenue une obsession terrible, et partager à deux ce vide-là peut donner à l'amour une force hors du commun. Cavanna n'est pas donneur de leçon, il s'intéresse aux hommes, aux femmes qui ont partagé son parcours, toute une humanité touchante de simplicité, le livre leur est dédié, tout comme il est dédié à Maria. Dans leurs traits et leurs souffrances, grâce aux mots de Cavanna, la réalité humaine réussit à transcender l'histoire
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