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Critique de JustAWord


Classique parmi les classiques, Chroniques Martiennes de l'écrivain américain Ray Bradbury fête dignement les vingt ans d'existence de la prestigieuse collection Lunes D'encre chez Denoël dans un écrin rose du plus bel effet.
Régulièrement cité parmi les livres incontournables de la science-fiction, Chroniques Martiennes s'apparente au fix-up de nouvelles puisqu'il rassemble en réalité vingt-huit nouvelles dont certaines ne font à peine qu'une seule page et font office d'introduction/interlude entre les histoires principales.
Autre surprise de taille pour le lecteur : Chroniques Martiennes n'est pas réellement de la science-fiction, un fait confirmé par Ray Bradbury lui-même qui préfère désigner son oeuvre comme de « la mythologie à l'état pur » dans sa propre préface. Peu importe le genre cependant puisque la découverte de ces contes et légendes venus de la planète rouge ne laissera aucun lecteur indifférent.

Écho(s) de la Terre
Après une introduction passionnante de Tristan Garcia, Chroniques Martiennes s'ouvre sur la vie ordinaire…des Martiens !
Prenant à contre-pied les attentes du lecteur, Ray Brabury invente sa propre vie martienne, suppose qu'il existe déjà des vies, une culture, des mégalopoles et des traditions martiennes. L'homme arrive en retard et contemple une civilisation radicalement différente…ou presque.
Dans sa première nouvelle, Ylla, le couple martien présenté ressemble de façon troublante au couple américain moyen de l'Après-Guerre (et c'est plutôt logique quand on sait que les nouvelles contenues dans la présent ouvrage ont toutes été écrites entre 1945 et 1950). Avec des principes assez similaires à la morale américaine de l'époque, les Martiens deviennent une image décalée des américains, une autre évolution inattendue de l'american way of life qui aurait réussi.
Les Martiens de Ray Bradbury ont « la peau cuivrée, les yeux pareils à des pièces d'or, la voix délicatement musicales » et pourtant, Mr et Mrs K., les premiers Martiens qui nous sont présentés, ressemblent à s'y méprendre dans leur comportement à un couple américain ordinaire.
De façon tragi-comique, Ray Bradbury amène l'homme (enfin surtout l'américain) sur la planète Rouge dans des fusées tout droit sorties de l'âge d'or avant de leur faire subir plusieurs mésaventures fatales qui retardent d'autant le contact avec le saint-Graal représenté par Mars. Successivement avec Ylla, Les hommes de la Terre et La Troisième Expédition, Ray Bradbury s'amuse par un ton léger à contrarier les plans des explorateurs et à repousser la terrible échéance où l'humanité sera en capacité d'occuper Mars.

Souviens-toi des Amériques
Rapidement, on comprend que ces expéditions correspondent à des échos de la découverte des Amériques par les Européens et que les Martiens sont condamnés à jouer le rôle des Amérindiens. Cette impression se confirme avec la nouvelle suivante, …Et la lune qui luit, où Ray Bradbury change radicalement de ton pour livrer sa perception schizophrénique sur l'homme blanc en Amérique. Pris entre la fierté de son peuple et les horreurs qu'il a commise, l'auteur américain analyse avec cynisme et froideur le sort réservé à Mars et constate l'hécatombe provoquée par les colons.
Mars, objet de tous les fantasmes depuis toujours, devient un nouveau cycle de destruction et d'erreurs, reproduisant la marche sanglante et virale qui laisse les Martiens agonisant. Avec ces diverses expéditions, on comprend que Ray Bradbury n'a en effet pas de véritables intentions science-fictives puisque pas grand-chose là-dedans ne relève de la science mais plutôt du merveilleux et du fantastique. Entre les collines bleues et cette atmosphère légèrement moins riche en oxygène, Mars par Bradbury tient plutôt du conte et du rêve, quelque part entre poésie cristalline et prose mélancolique.

Le début d'un autre monde
Après cette première parenthèse tragique et sublime, la colonisation commence bel et bien et le lecteur assiste à des vagues de plus en plus hautes qui ébranle le sol Martien avec une seule obsession : faire table rase du passé pour construire une Amérique 2.0. Entre les fantômes des Martiens et après cette dernière Rencontre Nocturne, l'Américain s'approprie la planète rouge et exporte ses us et coutumes à commencer par la religion (dans Les ballons de feu), les histoires d'amour (dans Les Grands espaces, grand texte mélancolique sur ses racines que l'on redécouvre) et les hommes en quête de liberté (dans Tout-là haut dans le ciel, superbe récit de la libération des noirs américains opprimés en quête d'une nouvelle existence).
Dans tout ça, Ray Bradbury se fait amer : les hommes n'ont pas changé avec le voyage, la censure sévit toujours et les idées sont de plus en plus rares.
Dans Usher II, brillant texte comico-horrifique multi-référencé, l'américain constate l'impact de la bien-pensance américaine sur la littérature et s'attaque déjà aux brûleurs de livres (il y reviendra plus longuement dans son célèbre Fahrenheit 451). Mars la belle devient Mars la brisée et la quête pour un ailleurs ressemble à une répétition de la triste histoire américaine.

Une fin nucléaire
Puis, dans une dernière partie, Chroniques Martiennes s'inquiètent (déjà) de la menace nucléaire et rappelle la folie autodestructrice de l'homme pour un épilogue inattendu et mélancolique en diable où Ray Bradbury convoque des visions poétiques à base de Martiens survivants sur des sablenefs et de robots abandonnés pour conclure que, l'un dans l'autre, Mars est plus belle sans l'homme…à moins que celui-ci ne se décide véritablement à recommencer et s'essaye à élever ses enfants dans une autre optique que son consumérisme effréné et mortifère.
Si les derniers voyageurs terriens arrivent sains et sauf sur Mars tandis que la Terre continue de brûler, c'est pour prendre conscience que plus rien ne doit être comme avant et que Mars ne doit jamais devenir une autre Planète Bleue.
C'est avec une grande surprise que l'on comprend, une fois le livre refermé, que Ray Bradbury n'invente pas ici une exploration scientifique de Mars mais bien une suite de contes pour graver la légende Martienne dans les esprits. Image en décalé de la société américaine de l'époque et critique à peine voilée d'un mode de vie humain qui finit par détruire et oublier, Chroniques Martiennes chante une poésie discrète derrière les ruines des villes abandonnées, qu'elles soient Martiennes ou Terriennes.
Et l'on comprend que la prochaine expédition, toujours, n'attendra que le lecteur pour prendre les airs.

Aussi culte que merveilleux, Chroniques Martiennes oublie la science pour la poésie et la légende. Ray Bradbury jongle entre comique et tragique, grotesque et mélancolique, invitant à s'interroger sur nos failles et nos rêves avant le voyage, le vrai, celui qui ira saluer les Martiens survivants qui attendent qu'un jour, l'homme surmonte ses peurs et ses failles.
Lien : https://justaword.fr/chroniq..
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