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Critique de kielosa


C'est avec regret que j'ai lu l'excellent ouvrage de démystification du fameux Orchestre rouge par Guillaume Bourgeois. Pendant plusieurs décennies, ce réseau de résistance à Hitler et ses nazis à été pour moi, et je présume beaucoup d'autres, l'étoffe dont sont faits les rêves. Les recherches à grande échelle et la consultation de nombreux documents d'archives jusque-là inaccessibles ont fracassé ce rêve. Dommage !

Pour les lectrices et lecteurs moins familiers avec l'espionnage durant la dernière tuerie mondiale, je précise que l'Orchestre rouge était supposé constituer le seul et unique réseau de résistance d'envergure couvrant plusieurs pays tels la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, l'Italie et même l'Allemagne. D'inspiration soviétique, son nom fût inventé par les services de renseignements teutoniques : "die Rote Kapelle" dont le terme "Orchestre rouge" est la fidèle traduction en Français. le mot "orchestre" se réfère à un groupe de postes radio émettant des messages clandestins et "rouge" à leur destination : Moscou. Ce réseau ou orchestre avait un "Grand Chef", le Juif polonais Léopold Trepper (1904-1982), et un "Petit Chef", le Russe Anatoli Gourevitch (1913-2009), surnommé "Kent", appartenant au GRU (le service de renseignements de l'armée soviétique). L'Orchestre rouge avait essentiellement 3 secteurs opérationnels : un à Berlin, un en Suisse et le plus important en France, en Belgique et en Hollande.

C'est ainsi que nous en avons pris connaissance par des films, feuilletons télévisés et surtout des livres. À commencer par celui du Français, Gilles Perrault, en 1967, et simplement intitulé "L'orchestre rouge", vendu à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires et traduits en plus de 20 langues. Un best-seller que j'ai dévoré en 1972 et qui m'avait énormément plu. Or, ce livre a été inspiré par un certain Constantin Melnik (1927-2014), fils d'un officier de l'Armée impériale russe et coordinateur des services de renseignements auprès du Premier ministre Michel Debré. Lui-même auteur de plusieurs bouquins comme "Espionnage à la française : de la guerre froide à l'Algérie et au terrorisme international" et "Des services "tres" secrets" de 1989, et lu 10 ans après. SI ce Melnik n'était pas un historien, en revanche, il était un idéologue et les informations passées, en pleine guerre froide, à Gilles Perrault n'étaient pas à l'épreuve de la réalité historique. Il en est pareil pour l'ouvrage de Léopold Trepper lui-même "Le grand jeu" de 1975 : un montage ingénieusement élaboré, dans une regrettable large part, par les services secrets.

Le plus accablant et tragique est assurément qu'il se trouve que Léopold Trepper et Anatoli Gourevitch, arrêtés par les Allemands en 1942, se sont montrés tellement bavards que les Boches les ont maintenus en vie, tandis qu'une vingtaine de Français et de Belges travaillant pour l'Orchestre rouge, furent exécutés et une bonne cinquantaine d'autres déportés et plusieurs ne sont jamais revenus.

Et ce n'est, malheureusement, pas tout. Au lieu des prouesses des membres de l'Orchestre rouge à Bruxelles et Paris, telles qu'elles nous ont été présentées, les archives russes indiquent, au contraire, que le GRU estima que la collecte d'informations, pendant les 15 mois de leurs activités, était "médiocre". Et à Berlin le "Funkspiel" ou jeu des émetteurs radio fut très vite entre les mains de la cellule spéciale des services allemands (le "Sonderkommando Rote Kapelle") et, sous la supervision du fameux stratège Walter Schellenberg, leurs postes émetteurs furent utilisés "à des fins d'intoxication et pour tendre des pièges". Bref, le Grand Jeu de Léopold Trepper n'a jamais existé et ressort du domaine de la fabulation et de la fiction pure et simple.

Je ne vais pas énumérer ici les nombreux livres louant le courage et relatant les aventures de différents agents de l'Orchestre rouge, lus depuis les ouvrages précités de Trepper et Perrault, mais je suis fort déçu qu'ils ne soient basés sur aucune vérité historique. Cependant, je me console avec le fait que ces oeuvres m'ont garanti, néanmoins, des heures agréables de lecture. Il en va de même en ce qui concerne le film que Jacques Rouffio a réalisé sur la base du livre de Perrault, en 1989, avec un, comme toujours, superbe Claude Brasseur dans le rôle de Léopold Trepper et Roger Hanin comme Janis Berzine (1889-1938), son contrôleur du GPU. Ce film tout comme le feuilleton de la télévision (dont j'ai fâcheusement oublié les références exactes) restera parmi mes bons souvenirs.

Je dois admettre que le travail de Guillaume Bourgeois est très solide. Les 582 pages de son ouvrage ne se lisent, bien entendu, pas comme un simple thriller, pour cela les protagonistes sont trop nombreux et le montage trop raffiné. Par contre ses recherches et la conception de son livre méritent sans aucun doute notre admiration. Aux lectrices et lecteurs qui espèrent envers et contre tout que l'auteur se trompe, je dois, malencontreusement, décevoir, car l'historien militaire et naval britannique, V.E. Tarrant, arrive aux mêmes conclusions dans son "The Red Orchestra", de 1995.
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