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Critique de Michel69004


Je me suis pris à caresser
La mer qui aime les nuages

Paul Eluard

« Y'en a qui arrivent ici pis qui se vantent. Ils friment, ils veulent nous en mettre plein la vue. Il pètent dans la boue. On les appelle les touristes »

Bass, de Bonaventure

« La mer secoue mes images renversées dans le ressac dur et, au bout de mes bras ballants, pendent les alléluias décapités de mes naufrages. »

Marie Garant, de nulle part et de partout sur l'océan

Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas lu ce livre plus tôt. Il est paru en 2014 mais l'édition française date de 2012, aux Editions De l'Aube. Puis en poche, aux mêmes éditions en 2023 où il obtient justement le Prix des lecteurs Quais du Polar.
Je l'avais acheté à ce moment là, puis honteusement négligé.
C'est un très beau livre, tout à la fois polar magnétique, chant marin, poème épique et surtout délicieusement québécois. Pis gaspésien, j'vais vous dire.

L'intrigue convoque la mer, le vent, la désolation des pêches minuscules et des casiers à homards, homards qu'il faut caresser doucement avant de les ébouillanter.
Nous sommes rendus à Caplan où l'on remonte dans des filets le cadavre de Marie Garant. Son bateau est découvert plus loin, au mouillage sur les hauts-fonds du Banc-des-Fous. La bôme pivote, les écoutes de la grand-voile ont été lâchées.
Crime, suicide ou plus surement accident, on ne sait pas ? À l'aube de sa vie, Marie Garant, l'insaisissable, la voyageuse au long cours éprise de liberté, celle qui rendait tous les hommes fous d'amour, Marie Garant (Galante?) donc a donné rendez-vous à sa fille Catherine.
Catherine ressemble follement à sa mère et sa beauté sauvage ravage déjà les coeurs. On sait, grâce à un prologue saisissant, qu'elle et née sur le Pilar, le voilier indomptable de sa mère qui l'a confiée à un couple d'amis infertiles.
Catherine ne connait pas sa mère et ne sait pas qui est son père. Elle se désole à Montréal, en quête de sens et d'un bonhomme, un vrai, solide et sensible.
Alors elle part puis erre sur le port de Caplan et ravage les esprits . Il y a là des personnages forts en gueule et en couleurs : Renaud Boissonneau tient le bar accompagné du curé Leblanc, un grand amérindien veille sur elle, Cyrille le vieux pêcheur malade la prend en confidence, le coroner Robichaud s'active, les jumeaux Langevin ,croque-mort, vendent leurs sentences et enterrent les secrets etc.
Chacun joue à merveille sa partition, dans un registre à la Simenon qui parlerait comme Charlebois.
Que diable vient faire l'inspecteur Moralés dans cette galère rongée par le sel marin. Il a demandé sa mutation en Gaspésie pour sauver son couple mais le cinquantenaire (né au Mexique) débarque dans un environnement hostile. On le balade, on l'embobine. Une chose est sûre : la Marie Garant ne faisait pas l'unanimité.

Ce roman âpre m'a battu l'âme, salé les lèvres et puis les larmes. Hymne aux femmes libres et puissantes, aux navigatrices au grand coeur, aux Antigone de Gaspésie, c'est aussi un immense livre marin. Ici tout vient de la mer et tout est rendu à la mer.
J'ai aimé circuler au sein de cette communauté où l'accent québécois gomme les aspérités, les vielles haines et pis nous prend en tendresse et joie parfois amère.
C'est le premier livre d'une trilogie, déjà disponible chez nos amis du Quebec.

Le vague à l'âme, le yeux lavés, cheveux au vent (mais je suis chauve), je referme ce beau polar rongé de poésie.
Je l'ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé, Saint Ciboire de Câlisse ! Et pis je retournerai en Gaspésie.

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