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Critique de Woland


Woland
06 septembre 2016
Edition annotée & présentée par Jean-Claude Berchet

ISBN : 9782715221789 - 9782715221796

Paru sous le titre original et quasi ségurien de "Mémoires d'une Tante", ce volume, publié en deux tomes au "Mercure de France", dans la fameuse série "Le Temps Retrouvé", est probablement, pour plus d'un amateur, l'oeuvre à lire et relire en notre sinistre époque. Née à Versailles, à la fin du règne de Louis XVI, Melle d'Osmond, devenue, par un mariage sur lequel elle ne s'attarde pas et qui ne fut guère heureux, la comtesse de Boigne, connut tous les grands bouleversements de la toute fin du XVIIIème siècle, qui engendrèrent les multiples tempêtes de la première moitié du siècle suivant. Elle ne posa en effet officiellement la plume qu'après la Révolution de 1848, même si les appendices vont jusqu'à la transformation de Louis-Napoléon Bonaparte (qu'elle ne semble guère apprécier mais dont elle comprend la nécessité d'un gouvernement "fort") jusqu'en l'Empereur Napoléon III.

De son propre aveu, Mme de Boigne, femme intègre, n'a pas de talent. Elle le croit bien sincèrement et non pour que la postérité lui jette des fleurs et pourtant, Madame, du talent, notamment un merveilleux talent de portraitiste, plein d'humour, parfois acerbe et incroyablement moderne dans l'écriture, se fait jour dans ces pages que vous nous avez laissées pour notre plus grand plaisir - et comme pour nous redonner foi et courage en notre pays. Certes, vous l'ignoriez quand vous les rédigiez, mais L Histoire, grande comme petite, que vous nous racontez, n'est pas sans nous rappeler ce qu'il se passe actuellement dans notre pays, cette France qui reste le vôtre, à vous, la patriote qui, bien que foncièrement royaliste, n'avait nulle honte à voir la France, votre nation glorieuse et tant aimée, jusque dans les drapeaux pris par l'Empire à l'ennemi et pour qui le petit caporal Bonaparte, devenu l'Empereur Napoléon Ier, restera à jamais (on le sent bien) "l'Empereur" et notre France, à toutes et à tous, dans ce qu'elle a de plus noble et de plus triomphant.

Vous avez, Madame, la vraie noblesse, celle du coeur, celle de l'âme, qui vous fait envisager la France et son peuple comme un tout auquel, quels que soient les sommets où le Hasard vous fit naître, vous appartenez corps et âme. Malgré l'affection intense qui vous lie à Marie-Amélie de Bourbon, princesse des Deux-Siciles, à qui échut, à sa grande inquiétude, pour ne pas dire à son profond mécontentement, la couronne de France puisqu'elle n'était autre que l'épouse de Louis-Philippe Ier, duc d'Orléans, puis "Roi des Français", et si vous évoquez, comme aucune autre, le calvaire de cette mère qui se sentit toute sa vie responsable de la mort, dans un accident de voiture stupide, de son enfant préféré, le Prince Royal et futur héritier du Royaume, Ferdinand-Philippe, alors duc d'Orléans, tout cela ne vous empêche pas de mentionner aussi ce qui vous plaît moins, voire pas du tout au coeur de toute cette harmonie qui rappellera parfois les antiques toiles de Jouy.

Bref, Madame, si l'on vous sent plutôt "orléaniste" bien que vous ayez essayé, de toutes vos forces et par respect de la mémoire du Roi-martyr mort sur l'échafaud, de demeurer "légitimiste", vous vous révélez un témoin impartial qui pointe du doigt la redoutable faiblesse de Louis-Philippe - cet amour de l'argent qui sonne horriblement boutiquier pour un monarque - et vous allez même, lors des événements qui précèdent les Trois Glorieuses de 1830, jusqu'à vous poser nettement la question terrible : oui ou non, Louis-Philippe, alors duc d'Orléans mais toujours fils de régicide, a-t-il comploté, avec patience, avec ténacité, avec intelligence aussi, pour que la couronne d'Hugues Capet tombât dans l'escarcelle de la branche cadette des Bourbons ?

Vous ne jugez, Madame, ni ne condamnez. Comme vous le dites vous-même çà et là, avec une simplicité charmante et que l'on perçoit des plus sincère, vous ne rapportez que ce que vous avez vu et vécu. Et si les faits objectifs entraînent parfois chez vous, ce qui est normal, des conclusions subjectives, vous vous refusez à omettre cette subjectivité, fût-ce au nom d'une très ancienne amitié. Vous écrivez sans haine, avec une réelle connaissance de la politique si agitée de l'époque (votre père fut souvent ambassadeur et vous l'assistâtes pour tenir sa maison, notamment à Londres) et le lecteur de notre XXIème siècle, siècle que nous recommandons à la protection de vos mânes si cela vous est possible car ce sera celle d'une femme qui avait le sens de l'Etat et de la France, ne peut que s'incliner devant votre bon sens et votre rectitude morale, toujours nuancés d'humour, comme nous le dirions aujourd'hui (mais n'avez-vous pas grandi en Grande-Bretagne ?).

Sachez, Madame, que l'amour que l'on perçoit encore, brûlant, passionné, pour votre pays, pour cette France qui est aussi la nôtre et qui, en dépit de ses changements de constitution, reste, Madame, et pour toujours, la vôtre, touche toujours par son authenticité nos âmes modernes mais amoureuses des vieux papiers et des récits d'époque.

En vous lisant, Madame, le Français actuel, et peu importent ses opinions politiques pourvu qu'il aime le pays qu'il partage avec vous, reprend espoir et courage. Il s'attriste, oui, il s'irrite, mais il constate qu'il y a toujours eu de parfaits imbéciles et de non moins redoutables parasites pour vouloir à tous prix détruire notre culture et l'âme de la France. Et si, à la fin, l'âge et les douleurs étant désormais à demeure tandis que ceux que vous avez aimés, connus et même carrément détestés vous ont, un par un, quittée pour d'autres dimensions, on perçoit votre lassitude, on n'en sort pas moins de vos "Mémoires" comme régénérés et raffermis dans notre confiance - qui fut aussi la vôtre - du Génie français.

"La France en a vu d'autres, mes enfants, je le sais bien : j'y étais," voilà un peu le discours que vous nous tenez à travers vos "Mémoires". "Gardez confiance et n'ayez pas peur. Ce que vous voyez et verrez n'est pas et ne sera pas toujours très honorable mais notre nation s'en sortira. Bouleversée, avec de nouvelles balafres hideusement sanglantes, ce que je ne puis que regretter autant en ma qualité de femme que dans mon honneur de Française, mais elle s'en sortira et son panache, comme son courage, seront une fois de plus au rendez-vous. Croyez, espérez, agissez et défendez cette "certaine idée de la France" qu'a si bien vantée votre fameux Général et que, à mon époque, partageait un Napoléon Ier, fût-il parvenu au sommet en usurpant une couronne. L'essentiel, c'est la France et tant qu'il y aura des gens, de toutes classes et de toutes idéologies, pour le proclamer bien haut et la défendre contre la vermine, ses ennemis ne parviendront pas à l'écraser."

Merci encore, Mme de Boigne, pour vos croquis De Chateaubriand, de sa prose et de son incroyable narcissisme ; pour votre analyse si subtile de la branche aînée des Bourbons (avec un Louis XVIII dont vous saluez l'intelligence mais rappelez aussi bien la fausseté innée que la faiblesse, instillée en lui depuis l'enfance sans avoir été détectée - le diabète - qui l'empêcha d'être un monarque à part entière, et un Charles X, ex-comte d'Artois, dont on a vraiment pu dire à son sujet qu'"il n'avait rien oublié mais qu'il n'avait non plus rien appris", sans passer sous silence les bizarreries d'une duchesse d'Angoulême, ex-Mme Royale, dont vous non plus ne paraissez pas, par exemple, vous expliquer nettement les sentiments très ambigus qu'elle portait à sa mère si tragiquement décédée) ; avec votre volonté si déterminée de ne pas laisser votre tendresse pour le côté "humain" de la famille d'Orléans occulter tout ce qu'il y avait de déplaisant dans le fils du régicide ; avec votre magistral portrait du tsar Alexandre Ier, à qui la France dut, autant en 1815 qu'en 1814, de ne pas être démembrée, et enfin avec ce merveilleux courage qui est le vôtre lorsque vous rendez hommage au prince de Talleyrand en qualité d'Homme d'Etat et de Français tout en déplorant le cynisme de l'homme tout court et du prêtre défroqué et intrigant.

Merci pour tout le plaisir et tout le désir de me relever et de continuer que vos mémoires m'ont donnés lors d'une période assez difficile, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan extérieur. Merci, chère Mme de Boigne et sachez que le seul point sur lequel je me refuse (et me refuserai TOUJOURS) à être d'accord avec vous, c'est le manque de talent que vous vous prêtez. La preuve : à ma modeste échelle, je ferai un maximum pour inciter ceux qu'intéressent les mémorialistes à vous découvrir, à vous lire, à vous relire et à vous faire connaître. J'irai même bien plus loin : ce sera pour moi non seulement une joie mais aussi un honneur que je vous remercie de bien vouloir m'accorder. ;o)
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