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Critique de audelagandre


« Où vont les larmes quand elles sèchent » ?

Je ne le savais pas Baptiste, avant de lire ton livre… Elles vont là où elles peuvent… Elles vont là où on leur permet d'aller…

Avant de lire les histoires et les pensées de Jean, les gens qu'il rencontre, ceux qui le bouleversent, ceux qui le mettent en colère, des visages et de leurs histoires qu'il gardera longtemps en mémoire, je te suivais sur les réseaux. Depuis combien de temps toutes ces anecdotes et tous ces coups de gueule ? J'ai perdu le fil du temps… « Où vont les larmes quand elles sèchent » est un condensé de tout cela… mais pas seulement.

Jean vit avec un fantôme, tu as réveillé le mien… Tu sais celui qui dort là-bas, bien au fond, là où c'est si bien capitonné qu'il n'a aucune envie d'en sortir. Un peu comme cet enfant qui vit le long de la colonne vertébrale de sa mère lors d'un déni de grossesse. Il est là sans l'être vraiment, discret, presque invisible.

Mon fantôme à moi est en colère. Un peu comme Jean. Tout le temps. de temps en temps, la colère explose, mais je n'avais jamais percuté que c'était le petit fantôme qui la provoquait. Maintenant, j'ai compris. le fantôme n'est plus petit, il a grossi, il a envahi tous les espaces laissés disponibles à l'intérieur de moi. Et il a faim. Faim de mots, faim de vengeance, faim de cris.

Moi je sais « Où vont les larmes quand elles sèchent »… Elles vont sur le fantôme et elles le brûlent comme de l'acide pour qu'il s'énerve encore un peu plus. Pour qu'il sorte. Pour que ça sorte. Avant je ne savais pas, maintenant je sais. Sauf que si je pleure, il va se mettre en colère. Alors j'essaie de ne pas pleurer… Je garde tout ça dans la marmite et j'attends qu'elle soit pleine à exploser. Ce jour-là, vaut mieux ne pas être dans les parages. Les 125 gr de beurre deviennent des kilos, y a plus une voiture qui circule à l'horizon.

« Quand un adulte est en colère, c'est qu'il a peur. »

Mais peur de quoi ? Alors, en fonction des situations vécues dans la semaine, j'ai essayé d'analyser de quoi j'avais peur. Et tu sais quoi ? J'ai réussi à chaque fois. Parce que quand on trimballe mon genre d'enfance (« Ce qui empêche d'avancer, c'est de croire que le passé, c'est du passé. ») où l'on doit être le plus invisible et le plus transparent possible, la peur fait partie intégrante de soi.

« (…) parfois, on ne sait plus comment se défendre contre la vie, et on ne devrait pas s'en vouloir : on fait ce qu'on peut avec nos digues personnelles, et parfois on est débordé – on est seulement humain. »

Depuis que je te suis Baptiste, j'ai appris beaucoup de choses sur le métier de soignant. « Où vont les larmes quand elles sèchent », raconte l'hôpital, là où on meurt, les urgences, les con-frères, la maladie et la solitude. Puis, un départ en cabinet privé de ville et des patients qui t'ont marqué. Ils sont beaux tes patients Baptiste, ils ont de la chance de t'avoir. C'est si élémentaire de demander la permission d'examiner le corps d'un autre… et pourtant, j'ai fait un petit tour d'horizon personnel, et les résultats ne sont pas brillants… Les « violences médicales » (ne m'en veux pas si je les appelle comme ça) se situent aussi souvent dans les mots. J'ai entendu un grand nombre de conneries dans ma vie, surtout après avoir été soignée dans un autre pays !! Si j'avais eu du beurre…

Les violences gynécologiques sont bien plus sournoises parce qu'au fond, on sait pourquoi on vient… Il y a comme une monarchie de droit divin dans ce genre de cabinet : tu te tais et tu fais ce qu'on te dit. Et si par bonheur tu pars accoucher, tu peux tomber sur ces con-frères qui dégainent élégamment leurs outils de boucher pour couper tes chairs sans te demander ton avis en te balançant « il est rentré, va bien falloir qu'il sorte ! » C'est vrai ce que tu dis Baptiste « Une patiente qui dit oui à un examen, si elle dit non après, on doit l'entendre. Ne pas l'entendre, forcer, relativiser une douleur, un refus, c'est inacceptable. Ce n'est pas déontologique. C'est manquer de respect aux droits humains élémentaires. »

Alors, j'ai pris un plaisir fou à être le témoin privilégié de ta relation si singulière avec tes patients : Monsieur Soares, Madame Moreno, Madame Chahid, Josette, Madame Gonzales. Chacun raconte son histoire, mais à travers eux, tu en profites pour glisser des thématiques fondamentales telles que la maladie et les souffrances du corps, le bonheur, les violences faites aux femmes, la peur, la mort… en mélangeant, humour et gravité. « Où vont les larmes quand elles sèchent » est un dialogue entre ton lecteur et toi, un partage d'histoires à travers lesquelles on (ré)apprend des choses essentielles. On se glisse également derrière le bureau du médecin qui, loin d'être un surhomme, est juste un homme, avec ses faiblesses, ses mauvais jours, et des envies de hurler que le monde est injuste. « Ça manque vraiment aux gens, d'avoir quelqu'un qui s'intéresse à eux. Juste de temps en temps. »

Faut que je te parle de la citation de Nietzsche et de la tienne qui est tellement plus juste ! (pardon Nietzsche)« Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Oui, peut-être. Tant mieux. Pour certains, ça doit marcher. Mais pour les personnes que ça a rendu plus fragiles ? Plus sensibles ? Plus chancelantes ? Parfois, ce qui a été fait ne peut être défait, c'est comme ça. Ce qui ne nous tue pas nous brise en mille morceaux. Alors oui c'est joli la mosaïque, mais c'est long à assembler. » En mille morceaux. Quand on a compris ça, on devient sans doute un meilleur médecin. Hors maladies sérieuses et diagnostiquées, les douleurs récurrentes ont presque toujours une raison d'être. Mais quand on ne sait pas écouter, on finit par rendre sa blouse en balançant « faudra apprendre à vivre avec ma p'tite dame ». Tu sens le vécu ? Avant, quand j'étais plus jeune, je ne disais rien. Aujourd'hui, je boycotte, mais je dis pourquoi. Je vois alors de grands yeux étonnés qui ne comprennent pas d'où vient cette « hystérie toute féminine »… Maintenant, je vais leur dire d'aller lire Beaulieu, « Où vont les larmes quand elles sèchent » et tous les autres, et de prendre des notes.

Je ne peux pas terminer sans parler de ton rapport aux frangines. C'est beau, un homme qui se bat pour la cause des femmes, pas seulement pour l'idée, mais aussi parce qu'il voit/sent où est le noeud dans le coeur des frangines. Est-ce facile d'être une femme en 2023 ? Non. Est-ce que ça s'arrange ? Ça dépend sur qui tu tombes. Y a toujours des cons pour se plaindre du cancer du sein de sa femme… C'est vrai qu'on ne parle pas assez de la branlette espagnole. C'est quand même un sujet phare dans l'histoire de l'humanité. C'est amusant (je dois bien le reconnaître) de voir un homme rentrer dans le lard d'autres hommes pour leur incapacité à prendre des décisions, leurs habitudes à se reposer sur les femmes/mères, leurs comportements supérieurs et leurs problèmes d'érections. J'aime quand tu montres du doigt les prédateurs, les violeurs, les cogneurs… Tous ceux qui provoquent dans nos vies ces instants de vigilance permanente. « Comment peut-on, nous les hommes, rendre les femmes aussi vigilantes ? Aussi suspicieuses ? Et surtout quel poids mental énorme pour vous de devoir être ainsi en permanence aux aguets ! » On se sent moins seules, nous, tes frangines. Tu as l'intelligence du coeur, la plus noble et la plus prévenante.

« Où vont les larmes quand elles sèchent » aborde également la mort puisque ton métier c'est de maintenir la vie. Qui est le mieux placé pour parler des corps qui souffrent, de tous ceux qui se battent au quotidien pour une main posée sur l'épaule, un mouchoir tendu, un sourire rendu ? « Si la santé, c'est le silence des organes, la maladie chronique est un brouhaha permanent, une vraie maternelle pendant la récréation. » L'empathie n'est pas un mot vain et personnellement cela me rassure un peu sur l'humanité. « Je crois que je soigne pour abaisser la température du gros thermomètre méchanceté. » Certaines de tes réflexions font sacrément cogiter et je veux que tu saches à quel point j'ai été sensible à cette prise de parole, et cet échange permanent de questionnements avec ton lecteur. Tu lui poses beaucoup de questions, et il prend le temps de chercher les réponses. J'ai pris ce temps. Peut-être que contrairement à d'autres, je pense que la littérature peut nous élever, voir nous sauver… en mettant le doigt sur un élément qui permet d'y voir plus clair. Quand soudain tout s'illumine, que le lecteur comprend quelque chose de fondamental sur sa propre existence, c'est un cadeau immense.

J'aurais encore énormément de choses à dire tellement « Où vont les larmes quand elles sèchent » est dense. Avant d'aimer l'auteur, j'aimais l'homme. Maintenant j'aime en plus tes cris à l'écrit, ta poésie, ta vision de « l'après », ta perception du bonheur, tes doutes, ta faillibilité, tes yeux qui regardent vraiment, ton corps qui écoute totalement, ta confiance en nous en partageant ce qui t'a touché et les visages gravés. Loin d'être triste, « Où vont les larmes quand elles sèchent » est un roman sensible, profond et lumineux sur les humains en général et la vie en particulier. Je finis sur cette phrase, bouée lancée à la mer : « Sans doute qu'on ne devrait jamais remettre à plus tard, parce qu'il est toujours plus tard qu'on ne le pense dans la vie. » Merci.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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