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Critique de audelagandre


« L'influenceur » place son intrigue dans le domaine des réseaux sociaux, et décortique plus particulièrement l'aspect des faux semblants d'Instagram. Lisa Leroy, assistante médicale pour une grosse ponte de la chirurgie esthétique, parle de ses lectures sur Instagram (toute ressemblance avec des personnes existantes dans la vraie vie serait purement fortuite… ou pas). Son compte est tout petit, 260 followers, presque insignifiant, mais elle y parle de livres avec passion. Lorsqu'elle rencontre Hazel Caine, directrice de la société Vertigo, Lisa ne saisit pas l'intérêt qu'elle lui porte : elle n'est rien ni personne sur les réseaux. Elle ne connaît pas non plus la fameuse Hazel Caine et ses idées ingénieuses pour créer le buzz. (voir « L'oeil de Caine » premier roman de Patrick Bauwen paru en 2006)

« Les moments où vous chroniquez vos lectures ne sont pas les plus importants. C'est ce que vous racontez autour. Les livres sont un prétexte pour parler de votre vie. Et à travers votre vie, vous racontez la nôtre. Vous faites dans l'humain. Et vous le faites bien. Vous avez un véritable don pour le storytelling. »

Cela vous parle ? Combien de comptes littéraires existants vous parlent d'autre chose que de lecture, partagent leurs avis sur tout et n'importe quoi, postent leurs angoisses, leur colère et tous leurs états d'âme ? Nous y sommes… Si on gratte bien le vernis d'un compte Instagram, on peut y découvrir des motivations souterraines, des intentions bien moins honorables que le partage d'une passion… Ce n'est pas le cas dans « L'influenceur », puisque Patrick Bauwen choisit comme héroïne une jeune femme authentique, qui ne cherche ni la gloire ni les followers, mais veut simplement partager sa passion pour la lecture. Elle n'imagine pas un seul instant l'immensité de la partie immergée de cet iceberg.

Comment faire d'une jeune fille naïve et inexpérimentée une star d'Instagram ? Quels moyens sont utilisés pour développer de manière exponentielle son nombre de followers ? Comment faire d'elle une marionnette capable de rassembler une foule d'individus se passionnant pour son quotidien ? C'est tout le pouvoir donné à Hazel qui considère chaque étoile montante sur les réseaux comme un produit. « La célébrité n'est pas le fruit du hasard, expliqua-t-elle. On peut la fabriquer. Comme n'importe quel produit. Il suffit d'employer les bons matériaux. » Pourtant, avec « L'influenceur », Patrick Bauwen ne verse pas dans la facilité, il a choisi de prendre un chemin plus tortueux que celui d'une jeune fille qui ne rêverait que de devenir une star des réseaux en se donnant tous les moyens d'y parvenir. Dire qu'au moment où j'écris cette chronique, je vois passer dans mon « feed » des propositions de Masterclass Instagram, je reçois régulièrement des propositions « d'achat » de followers… il n'y a pas de hasard, j'aurais peut-être besoin d'une Madame Caine dans ma vie !

« L'influenceur » est un thriller, comme tous les romans de l'auteur, mais ce qui m'a toujours intéressée est ce qu'il dit de notre société. En alliant influence et passion littéraire, il propose un ticket gagnant à tous ceux qui baignent dans le milieu. Subtil observateur de notre époque, et de ses (con)génères, ses livres abordent toujours une thématique de société. Comment passer à côté de cette guerre intestine qui se joue sur les réseaux sociaux où tous les coups bas sont permis, les jalousies exacerbées et où chaque action entreprise par ces influenceurs a un dessein ciblé et calculé, où chaque drama permet de briller par son sens de la formule ?

« L'influenceur » peut se targuer d'exposer deux faces d'une même pièce : côté pile un émetteur, côté face un récepteur. Dans la catégorie récepteur, c'est la fosse aux bêtes de foire : il y a de tout ! Mention spéciale pour les « haters », qui, sous de faux comptes, donc, de fausses identités, vous pourrissent votre quotidien. Une forme de harcèlement scolaire version adulte, à se demander d'ailleurs d'où vient réellement le harcèlement scolaire… Sous une cape de « justicier » du web, ces défenseurs de la veuve et de l'orphelin se permettent tous les propos, utilisant un ton moralisateur pour juger ceux qui sont finalement leurs pairs. Une vraie cour des Miracles ! de temps en temps, un éclair de génie fuse : « C'est le monde qui est cynique. Les gens suivent les influenceurs parce qu'ils les font rêver. Mais ils ne peuvent pas s'empêcher de les haïr en même temps. Tellement d'argent et de succès, chez des gens tellement bêtes. On a envie de les glorifier et de les brûler à la fois ! Les réseaux sociaux, c'est l'amour bidon, mais la haine authentique. »

Malgré cette nouvelle tare qui semble agiter la toile, être « boomer », donc être né à la fin des années 60, « L'influenceur » n'est en rien moralisateur ou manichéen. Patrick Bauwen est lui-même présent sur les réseaux, aux urgences ou en vacances (mais quand écrivez-vous vos livres, Monsieur Bauwen ?). Dans son roman, il fait la part belle aux influenceurs « utiles » comme cette influenceuse médicale Docteur Bollywood qui m'a beaucoup fait penser au compte d'un pédiatre qui rassure des parents affolés, mais aussi à tous ceux qui sont véritablement dans le partage et n'attendent rien en retour comme son personnage de Lisa (sur Instagram, allez faire une petite enquête, regardez le nombre de followers de certains comptes, puis comparez-le au nombre de comptes suivis, vous risquez d'être surpris — niveau « partage » on repassera.).

Pendant que Lisa vit une phase ascendante dans sa vie publique, elle expérimente une phase descendante dans sa vie privée. J'aime beaucoup la finesse avec laquelle Patrick Bauwen démontre quel est le prix à payer pour cette ascension qui n'a même pas été demandée ! « Là, on parlait de gens ordinaires qui se retrouvaient propulsés au rang de star du jour au lendemain, suivis par des millions de fans, adulés tels des dieux, puis ballottés, détestés, traqués, et qui replongeaient ensuite dans l'anonymat en un temps record. »

Passionnant également d'analyser ce qui est développé sur le « niveau d'empathie » à avoir, la personnalité de ceux qui réussissent, la façon dont vous générez des émotions, comment se servir de votre vie réelle pour avoir des choses à raconter, ce qu'englobe exactement le taux d'engagement, comment il augmente et quelles sont les conséquences.

« Caine lui rappela aussi les conseils habituels : publier au bon moment de la journée, c'est-à-dire entre sept heures et neuf heures du matin ou entre dix-sept et dix-neuf heures le soir, ce qui correspondait aux intervalles où les gens étaient le plus souvent disponibles, notamment parce qu'ils se trouvaient aux toilettes (“tellement glamour”, commenta Lisa) ; soigner l'aspect de ses publications en utilisant toujours les mêmes couleurs et filtres ; organiser des concours pour augmenter les vues ; et commenter les comptes de gens plus célèbres que vous, mais pas trop, pour qu'ils vous renvoient la balle et vous fassent connaître en retour. »

Au-delà de l'enquête qui n'est finalement qu'un prétexte pour moi, « L'influenceur » interroge notre société, notre façon de consommer les réseaux et notre manière de les utiliser. Il m'apparaît très clairement que telle une petite fourmi, l'auteur a amassé énormément d'informations autour de ce sujet et a construit ensuite son roman autour de cela. À des fins personnelles, je retiendrai :

« (…) la publicité vend du rêve, l'influence vend du vrai. » Mais bien sûr…

« Votre communauté est votre meilleure amie, et comme toutes les amies, elle déteste être trahie, elle ne vous le pardonnerait pas. » Et ceux qui trahissent « for no reason » on en parle ?

« De tous les facteurs d'influence, expliqua Caine, la réciprocité est le plus puissant. Cela signifie que lorsqu'on vous donne quelque chose, votre premier réflexe est de le rendre. » La vie c'est comme un miroir, si tu en envoies de la merde, tu reçois de la merde. Proverbe chinois (nan, je déconne !).

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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