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Critique de Charybde2


Incursion décevante d'un spécialiste de la "connaissance" sur le sujet du sens contemporain de la "stratégie".

Publié début 2012, le sixième livre de Philippe Baumard marque de sa part une incursion déterminée dans un champ relativement nouveau pour lui, celui de la "grande stratégie" au sens anglo-saxon du terme.

Spécialiste à l'origine du management de la connaissance (son "Organisations déconcertées" de 1996 reste un remarquable ouvrage quinze ans après), excellent adaptateur et commentateur des travaux d'Ikujiro Nonaka, il a ensuite apporté des contributions décisives, toujours influencé par son mentor William H. Starbuck, au développement du concept des "organisations imaginaires" (2002), qui pourrait se révéler à la longue comme une remarquable percée dans le champ du management stratégique.

Avec "Le vide stratégique", il nous propose un ouvrage extrêmement stimulant, pointant vers des directions passionnantes, mais trop maladroitement réalisé pour emporter pleinement l'adhésion. La découverte du champ militaire, en particulier, donne lieu à trop d'approximations, ou au contraire d'analyses exagérément fouillées sur des points très discutables (la narration minutieuse, jusqu'au nombre de torpilleurs utilisés, de la guerre russo-japonaise de 1905, en est un bon exemple). le passage du stratège gréco-byzantin au stratège moderne, "clausewitzien", est également fort peu convaincant.

Même s'il le fait avec un sens critique certain, l'auteur tombe aussi dans le "piège" Petraeus, en voyant dans les écrits souvent chancelants (et reposant sur trop d'erreurs de traduction du chinois) de David Gallula un paradigme universel. Des recherches récentes et incisives, en France comme aux États-Unis et en Israël, montrent pourtant à quel point la part d' "esbroufe" est importante dans le trop encensé "Contre-insurrection" dont sa gargarisent si volontiers les stratèges américains de la "Guerre contre le terrorisme"...

La vaste partie consacrée à l'influence délétère des modèles clausewitziens ultimes de la Guerre Froide, et de l'anéantissement de la pensée stratégique qu'ils ont provoqué, en la diluant dans un enchevêtrement de tactiques à court terme et de mécaniques calculatoires, est en revanche passionnante et sérieuse, les nombreux allers-retours entre stratégie générale et application aux organisations et aux entreprises étant notamment de très bonne tenue.

La fin, à nouveau hélas, en voulant placer la "guerre de l'information" (sujet dont Baumard est spécialiste) au centre d'un nécessaire renouveau contemporain de la stratégie, rate sa cible, par excès d'affirmations à l'emporte-pièce et de formules quelque peu cabalistiques qui laisseront normalement de marbre le lecteur attentif.

Satisfaction donc de voir un esprit aussi affûté et documenté que Baumard se pencher sur ce passionnant sujet, mais grosse déception du fait que, à ce stade, il l'ait pratiqué un peu trop à la va-vite, en mélangeant trop joyeusement ses registres, et en manquant dangereusement de recul et de perspective par rapport à ses découvertes les plus récentes. En espérant une prochaine étape plus convaincante, sans nier toutefois l'intérêt du questionnement ici proposé (un peu destiné à des spécialistes du champ, malgré tout...).
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