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Critique de oblo


En soi, la question que pose ce livre pourrait être : qu'est-ce qui fonde un événement historique ? Ou, plus laconiquement : qu'est-ce qu'un événement historique ? Pour répondre à cette question, qu'il ne pose d'ailleurs, Alessandro Barbero invoque la bataille d'Andrinople, qui a eu lieu le 9 août 378. Barbero s'étonne que cette bataille, si décisive sur le plan politique pour l'évolution de ce qui est encore un empire romain uni (pour un peu moins d'un siècle encore), soit si peu connue et si peu évoquée dans les livres d'histoire. Il est vrai que, déjà, la période du Bas-Empire souffre d'un défaut de reconnaissance et, pire, d'une image de décadence qui mériterait d'être sérieusement nuancée. Pourtant, Andrinople a tous les atouts pour être une bataille connue. Les ingrédients sont les suivants : plusieurs milliers d'hommes qui s'affrontent sous un soleil de plomb, un empire gigantesque mais mal défendu, un empereur impopulaire et incompétent, une horde de barbares déferlant des plaines d'Europe centrale vers la capitale de l'empire. A l'arrivée, une défaite des Romains, la mort d'un empereur, une capitale menacée. Et pourtant, 378 doit s'incliner devant d'autres dates plus connues : 410, le sac de Rome par Alaric et, surtout, 476, la déposition de Romulus Augustule par Odoacre, signifiant la fin de l'empire romain d'Occident.

La bataille d'Andrinople est, sans conteste, un événement historique. Méconnu, certes, mais dont les historiens ont déjà souligné l'importance : elle résume son époque, en même temps qu'elle donne un coup d'accélérateur sans précédent aux mutations qui agitent l'empire romain depuis le début du IIIème siècle. Il y a un avant et un après Andrinople, car l'anéantissement de l'armée romaine, plus encore que la mort de Valens qui n'est pas exceptionnelle dans l'histoire antique romaine, a des répercussions immédiates - à l'échelle de l'histoire, c'est-à-dire sur quelques décennies -, comme la "barbarisation" à marche forcée de l'armée romaine. Ce sont ces bandes guerrières qui, au Vème siècle, prendront le pouvoir sur un Occident sans pouvoir central fort, laissant l'Orient, plus peuplé, plus riche et doté de vraies institutions de pouvoir, seul héritier du grand empire romain.

Alessandro Barbero suit un plan chronologique : manière de restituer simplement les causes, l'événement et ses effets. Barbero fait la part belle à la contextualisation, choisissant le temps long pour permettre d'expliquer ce qu'est l'empire romain à la fin du IVème siècle, pour dire aussi qui sont les barbares. Les barbares, c'est un ensemble de peuples hétéroclites, différents par leurs langues, les régions dans lesquelles ils vivent, leurs coutumes. Les barbares, ce sont surtout ceux qui ne vivent pas sous les lois de l'empire romain et ne paient pas l'impôt. Barbero le rappelle : il y a entre Rome et les barbares une longue histoire, faite de confrontations (cf la forêt de Teutobourg) mais aussi d'interdépendance. Rome engage depuis longtemps les peuples barbares - Francs, Alamans, Goths ... - comme mercenaires pour défendre les frontières. Les barbares en tirent des revenus ou bien des vivres. L'influence culturelle, elle, vient des Romains : nombreux sont les barbares qui parlent latin, ou grec, et sont convertis au christianisme.

Dans ce contexte, Andrinople apparaît comme un désastre inattendu. En 376, affolés par la progression des Huns, les Goths demandent aux Romains de passer dans l'empire pour s'y établir. Valens, empereur d'Orient, accepte : la main d'oeuvre est nombreuse et volontaire. Mais une série d'événements provoque la révolte des Goths. Jusqu'au dernier instant, la bataille peut être évitée. Les errements politiques et stratégiques, la couardise des uns, la méfiance et la brutalité des autres conduisent l'empire à l'un de ses pires désastres militaires. Andrinople est un événement qui met fin à l'empire romain : pas brutalement, non : il faudra encore cent ans pour que les effets soient entiers.

Le jour des barbares est un essai intéressant. Barbero est remarquable en vulgarisateur historique, prenant le temps de planter le décor d'une bataille historique à plusieurs niveaux. Ammien Marcelin, sa principale source antique, est un compagnon de presque toutes les pages, et les outils bibliographiques donnés en fin d'ouvrage permettent de creuser le sujet. Car, il faut le dire, deux cent cinquante pages sur, non pas une bataille, mais une époque, contenteront aisément le profane mais laisseront sur sa faim le passionné. Beaucoup de pistes mériteraient d'être détaillées ; un exemple : lorsque Barbero évoque les coteries alamanes et franques, inquiètes de la progression des Goths dans le cursus honorum romain, il n'en dit pas plus alors que là est probablement l'une des clés de la réaction anti-barbare post-Andrinople. A la manière d'un Paul Veyne (Quand notre monde est devenu chrétien), Barbero réussit cependant à parler avec honnêteté intellectuelle et dans un style concis d'un événement qui, fruit d'une conjoncture malheureuse, détermina, en un sens, l'évolution politique de l'Europe pour les siècles suivants.
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