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Critique de steppe


Alors quel voyage que cette lecture si riche en lieux, personnages, évènements tous grands ou petits ! Ils ont habité mon cheminement et ma réflexion dans cette histoire -écrite tour à tour avec un grand H ou pas-, et ont donné vie à un personnage fort autant qu'attachant souvent irrévérencieux. Pris dans les germes d'un ressentiment qui fera de la vengeance son but ultime.
Et ce sont les faits devenus le ferment de ce ressentiment que l'auteur nous dépeint ici avec tant de précision et de talent. Nous livrant un véritable travail d'historien en plus que de conteur.

Pour avoir beaucoup lu sur le sujet, je connais bien les grands évènements relatés ici, surtout ceux concernant l'Histoire des peuples Amérindiens. Pour autant la richesse du récit m'a permis de découvrir encore beaucoup de choses sur cette période. Les nombreuses anecdotes qui émaillent cette épopée, pour certaines fictives mais pour d'autres bien réelles rendent le tout terriblement vivant et intéressant.
On commence donc notre lecture dans les tranchées de la Grande Guerre où soldats américains côtoient les poilus de tous horizons et où l'on rencontre notre héros Dull Dawn, Indien Lakota dont l'histoire va ici nous être contée. L'une de ses particularités étant d'être né le jour de la bataille de Wounded Knee -dernier massacre ayant signé la fin des espoirs des peuples libres d'Amérique- en étant l'un des rares rescapés. Né au coeur d'une défaite dans la violence la plus barbare.

C'est donc au coeur d'un autre massacre que l'on fait sa connaissance, l'auteur ajoutant l'horreur à l'horreur en situant le début de son roman dans la tuerie de la première guerre mondiale.
Il parle de ces tranchées et des hommes qui les occupent avec un réalisme cru grâce à son écriture extrêmement précise et très imagée et surtout grâce à tous ces héros que l'on rencontre page après page. Réel ou non, chacun a une histoire, un passé, un trait de caractère, une particularité. Et l'auteur prend le temps de nous les raconter quel que soit le personnage auquel on s'intéresse et son importance dans le récit ou dans l'Histoire. du lieutenant O'Reilly en passant par l'estafette du 131ème, jusqu'au Général Crook hypothétique fils d'un autre célèbre Général Crook connu pour son rôle durant les guerres indiennes, ou encore Sam -juif Ukrainien dans la Russie Tsariste- chacun prend vie le temps d'une page, d'un chapitre et nous livre assez de lui pour le rendre aimable ou non, mais dans tous les cas intéressant. Et je n'ai cité qu'eux mais ils foisonnent ces hommes et ces actes, anecdotiques ou non et ils donnent le sentiment de l'importance de chacun quelle que soit sa place dans le récit.

Après une incursion dans les tranchées de 14-18 donc, l'auteur nous emmène au coeur des guerres indiennes, nous livrant entre autre un récit de la bataille de Woudned Knee édifiant toujours en mêlant grande et petite Histoire. On rencontre d'autres personnages et des noms tels que Sitting Bull, Crazy Horse ou Red Cloud viennent alors résonner à nos oreilles comme ceux des derniers grands hommes gardiens d'un monde et d'une culture en train de disparaître. On se souvient de la Washita et de Sand Creek. Là commence réellement le récit de l'extermination d'un peuple. Et même si l'on connaît bien cette période et les faits qui s'y rattachent, on replonge dans l'horreur avec autant d'effarement, de dégoût et de honte qu'à chaque fois que l'on se rappelle.

L'auteur ensuite nous raconte comment le héros Dull Dawn a grandi et s'est construit entre deux cultures et deux époques. Comment sa naissance le jour de la bataille de Wounded Knee le charge d'un poids qui l'accompagnera toute sa vie. Comment son séjour au Canada raconté en troisième partie le placera définitivement entre deux cultures. Là aussi tout comme dans les chapitres consacrés aux guerres indiennes, on rencontre nombre de personnages encore une fois fictifs ou non, on reconnaît certains noms, on s'interroge sur d'autres. Buffalo Bill, Custer, Jean Louis Légaré, mais aussi d'autres moins connus. On continue le voyage avec de plus en plus de tendresse pour cet enfant né dans la violence et irrémédiablement marqué par elle.

Il y aurait tant à dire et commenter encore tant le récit est dense et foisonnant. La qualité des dialogues, le ton parfois grinçant, et la précision des tournures, des mots. Certaines scènes absolument grandioses comme la rencontre entre Dull et un certain général Crook dans les tranchées ou la quête d'un renard magique en compagnie de Stubborn Horse le grand-père de Dull.
Et l'importance du propos bien sûr plus encore que le ressort narratif à savoir l'histoire de la naissance d'une vengeance. Comment l'horreur, la violence et l'abomination dont l'homme est capable, coupable continuent de se répandre et de détruire longtemps après qu'elles aient été commises. Comment l'Histoire se recommence continuellement dans des territoires inconnus que l'on cherche à s'accaparer, ou dans d'autres tranchées, ailleurs, en d'autres temps.
Comment les Indiens d'Amérique ont été exterminés, abattus ou affamés, ou contaminés puis parqués, humiliés, brutalisés, contraints, dénaturés….
Comment il faut se souvenir pour qu'ils ne meurent pas tout à fait.
Comment dans le dernier chapitre tout gorgé d'émotion on fait ses adieux à un personnage devenu si familier au fil des pages, dont le destin nous a bouleversé grâce au travail de fond de Luc Baranger servi par une écriture puissante et parfois aussi irrévérencieuse qu'a pu l'être son héros. Parce que parfois l'ironie comme une arme contre l'absurde et l'horreur éloigne un peu le désespoir.


J'ai vraiment adoré ce livre même si par moments j'avoue que le foisonnement incessant d'informations de toutes sortes m'a quelque peu donné le vertige et obligée à ralentir pour les intégrer complètement et ne pas m'y perdre, au détriment parfois de l'émotion. Ça sera la seule réserve pour moi sur cet ouvrage que j'ai eu grand plaisir à découvrir grâce à une masse critique.
Un grand merci donc à Babelio et aux éditions des Équateurs.

Et un grand merci à Luc Baranger pour ce très bon moment de lecture et surtout pour avoir si brillamment redonné vie à ces peuples libres d'Amérique en contant leur histoire avec tant de force.
Pour moi ce livre a pleinement sa place entre Enterre mon coeur à Woudned Knee de Dee Brown ou Comme des ombres sur la terre de James Welch, c'est à dire parmi les plus grands.





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