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Critique de Pecosa


Quand un grand des Lettres rencontre un grand du Cinéma, cela donne cette oeuvre hybride qu'est Luis Buñuel, roman, oeuvre inachevée de Aub, dont on avait pu avoir un aperçu via les Entretiens avec Max Aub. Constitué d'une biographie avec prologue avant chaque conversation entre les deux hommes pour éclairer le lecteur, et d'une seconde partie consacrée à « L'Art aujourd'hui », qui présente les avant-gardes et la manière dont elles ont influencé le cinéaste, Luis Buñuel, roman, n'est ni une étude exhaustive, ni un panégyrique.

« Si dans le titre de ce livre, il y a le mot roman, c'est parce que je veux être au plus près de la vérité. (…) Connaîtrez-vous mieux Buñuel, si je décide de dévoiler son extrait de naissance au lieu de rapporter certaines espiègleries de jeunesse, certes pas aussi réelles qu'une photocopie tirée d'un livre paroissial où sont reproduits date de naissance et nom des parrains? L'histoire peut aspirer au meilleur en se métamorphosant en une oeuvre littéraire de qualité. »


Les deux hommes se connaissent bien. Aub, né à Paris de père allemand et de mère française a dû quitter la France lors de la première guerre mondiale pour se réfugier en Espagne, pays dont la langue deviendra sienne. Rallié au Républicains lors du soulèvement nationaliste, il commande un tableau à Picasso (Guernica) pour le Pavillon espagnol de l'Exposition universelle de 1937, participe à l'écriture et à la réalisation du film d'André Malraux Espoir, sierra de Teruel , comme il collaborera durant toute sa vie à l'écriture d'une trentaine de films (notamment avec Adolfo Fernández Bustamante, et une assistance non créditée sur les dialogues de Los olvidados). Lors de la Retirada, il se réfugie en France, où il est d'abord interné au camp de Roland Garros, puis dans le terrible camp du Vernet en Ariège et enfin au non moins terrible camp de Djelfa en Algérie. En 1942 , il parvient à embarquer pour le Mexique, où s'installera plus tard son ami Buñuel, qui a quitté son Aragon natal pour Madrid, Paris, Hollywood, puis Mexico.

L'intérêt des échanges entre les deux hommes tient au fait qu'ils sont de la même génération, ont fréquenté les mêmes cercles, en Espagne, comme au Mexique, sont amis, et leurs échanges sont marqués par une grande complicité. Jamais le lecteur ne se sent exclu, il se délecte plutôt de ces conversations toujours passionnantes sur la vie, la littérature, l'amitié , le cinéma, la politique…Dommage cependant que cette édition conséquente (631 pages) ne reproduise pas les entretiens que réalisa Max Aub avec les collaborateurs et amis de Buñuel qui auraient pu encore enrichir le portrait du cinéaste. Les lignes que consacre Aub à la situation politique et culturelle de l'Espagne sont pertinentes et indispensables si l'on veut mieux cerner la personnalité de Buñuel dont cet extrait dit toute la complexité :

« Finalement, tous les films de Buñuel (les moins commerciaux) ne sont que l'expression de sa pensée, la réalisation de ses désirs, la cristallisation de son subconscient et curieusement tout cela a beaucoup à voir avec les faits quotidiens. Buñuel a toujours vécu deux vies, la sienne, normale, paisible, bourgeoise, sans soucis économiques ou sentimentaux- la vie d'un fils de famille dans le monde occidental-; l'autre, tout aussi réelle que la première, celle de cet homme convaincu de l'iniquité de notre société, de la présence du mal chez l'homme, de la non existence de Dieu. Sade a eu et continue d'exercer sur lui une influence fondamentale. C'est une vérité incontournable.
Cela étant dit, c'est l'union de ces deux mondes, de ces deux façons de construire sa vie, qui fait que son existence soit d'un intérêt majeur et qui fait de lui, un personnage. »

J'arrête ici ce billet sur cet ouvrage dont il y aurait encore tant à dire, il mériterait une thèse. Il y a le François Truffaut sur Hitchcock, il y a le Aub sur Buñuel. Indispensable pour comprendre le cheminement personnel et intellectuel du cinéaste, il est aussi indispensable si l'on veut comprendre la première moitié du siècle, l'histoire de l'Espagne, La Génération de 98, le bouillonnement des Années Folles à Paris, et l'exil républicain.
Aub n'érige pas une statue au Commandeur, il montre l'homme tel qu'il est, avec beaucoup de tendresse. L'ouvrage, inachevé, remonté sans cesse par Aub, puis par les éditeurs, finit par ressembler à un documentaire toujours en préparation dans la salle de montage, ce qui donne du sel à l'ensemble.
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