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Critique de gerardmuller


Blanche ou l'oubli / Louis Aragon (1897- 1982)
Dans ce volumineux roman (600 pages) de Louis Aragon publié en 1967, il faut attendre la page 69 pour savoir qui s'exprime à la première personne et se trouve être le narrateur, un homme qui cherche à comprendre les raisons de sa rupture avec sa femme Blanche trente années auparavant.
Geoffroy Gaiffier alors s'épanche en réminiscences de trente années où s'enchevêtrent les plans temporels, sa mémoire ressemblant à un puzzle où le passé et le présent cherchent leur place sans compter les effets pervers de l'oubli et le jeu des couleurs, le tout en une sorte d'autobiographie allégorique.
D'entrée on découvre le personnage de Marie-Noire, une femme bien faite et élégante, une allégorie représentant la femme aimée dans le passé, plongeant le narrateur dans la solitude et qui n'a plus que l'encre noire de l'écriture pour revivre et s'obstiner à ne pas vouloir oublier cette femme, Blanche, qu'il a tant aimé.
Geoffroy se remémore :
« J'avais perdu le goût d'une certaine flânerie de la tête et du coeur. Tout se passait comme si j'avais eu des lèvres neuves, un autre corps, une raison d'être, la perpétuelle arrière-pensée d'un printemps. J'avais rencontré cette femme, ma femme. »
L'auteur fait de nombreuses références au roman de sa compagne, Elsa Triolet paru en 1959, « Luna Park », dont il reprend le personnage de Blanche, et également à l'Éducation Sentimentale de Flaubert où l'on retrouve le jeune Frédéric Moreau, Marie Arnoux dont il est amoureux, ainsi que son ami Charles Deslauriers et Rosanette la maîtresse de Jacques Arnoux, époux de Marie. Sans oublier l'évocation émouvante d'Élisa Schlésinger, la muse de Flaubert tout au long de sa vie. L'Éducation Sentimentale est comme le reflet de la vie de Flaubert.
Ce roman très original dans la veine surréaliste, expérimental à vrai dire, le dernier de Louis Aragon, a tout d'un exercice de style en même temps qu'un essai sur la mémoire, la fiction alternant avec un dialogue intérieur du narrateur. On découvre que Geoffroy est en fait dans l'impossibilité de raconter, ayant oublié le sens de la vie, l'ordre des mots et même la, syntaxe. Blanche a tout emporté. Linguiste et traducteur à la retraite, il médite sur les raisons de l'échec de sa relation amoureuse avec Blanche, cette femme qui l'a quitté il y dix-huit ans. C'est donc Marie-Noire, une femme imaginaire, qui va permettre à Geoffroy de faire une recherche pour comprendre. Et peu à peu c'est Marie-Noire qui va prendre la parole et devenir narratrice, créant une confusion entre créature et créateur.
Ainsi il est évident que le souvenir est périssable et n'est pas digne de confiance pour reconstituer le passé. Il apparait que ce n'est pas le résultat qui compte dans cette restauration, mais le cheminement permettant d'y parvenir. En vérité dans ce roman, tout repaire temporel est aboli, et les souvenirs surgissent dans le plus parfait désordre.
Un roman, pour moi relativement difficile à lire, où l'on cherche désespérément des repères pour adhérer à l'intention de l'auteur qui nous perd dans les méandres d'un délire de réminiscences et d'oublis.
Une dernière recommandation avant d'aborder la lecture de ce roman, il faut avoir lu ou lire auparavant certaine oeuvres, comme celles de Flaubert (Madame Bovary, L'Éducation sentimentale, salammbô), De Stendhal ( le rouge et le noir, La Chartreuse de Parmes), Lautréamont (les chants de Maldoror), Hölderlin (Hyperion) Elsa Triolet (Luna Park) et d'autres encore, moins présents certes. Référence est faite par l'auteur tout au long de son roman à des personnages emblématiques de ces oeuvres pour illustrer son propos.
Extrait 1 : « Quand j'ai connu Blanche, elle portait un petit chapeau de feutre, cloche, très enfoncé, d'un feutre extraordinairement tendre, léger, mou…Elle aimait s'habiller en noir, elle s'asseyait d'une façon que n'avait personne, se penchait pour m'écouter, la joue sur sa main, le coude sur le genou… J'avais envie d'enlever son manteau, d'ouvrir sa robe…C'était une rencontre de hasard… »
Extrait 2 : « J'ai inventé Marie-Noire pour, par ses yeux, regarder Blanche sans souffrir. Parce que tout ce vertige d'apprendre, de savoir, cet appétit de communiquer avec autrui, des peuples, des espèces, comment n'en n'aurais-je pas vu qu'ils échouaient devant Blanche ? Devant l'être le plus proche, la créature ouverte à mon âme, ou je le croyais, ma tentation du jour et de la nuit, mon but, ma femme, j'étais soudain comme la main devant le miroir qui croit toucher une main et ne touche que le mur de verre… Marie-Noire est une hypothèse. L'hypothèse est le point de départ de l'imagination. L'hypothèse Marie-Noire avait pour but de m'expliquer Blanche. »
Extrait 3 : « La nuit, il vous vient des idées qu'on n'aurait pas le jour ! »
Extrait 4 : « Les rêves sont l'image fuyante de ce que nous cherchons… et la mer à marée basse au loin refait le bruit éteint des baisers. »
Et pour finir un ultime message d'amour à Elsa Triolet (1896-1970) décédée 12 ans avant Louis Aragon :
« Elsa, je l'ai cherchée toute ma vie. (référence à la phrase d'Hölderlin « Ce que nous cherchons est tout ») . Avant elle, dès l'enfance, avec cet instinct d'avant l'âge qui me jetait à des jeunes filles caressantes…Elsa, à qui je ne suis qu'à trente et un an parvenu, après tous les voyages du corps, tous les égarements de l'âme…Elsa m'est tout. le tombeau où j'irai la retrouver (la chercher) porte déjà près du sien mon nom, moins la seconde date…J'ai été son ombre… Aujourd'hui je vis, je vis contre l'oubli. Pour un peu de temps… Et soudain je tressaille : j'ai touché la douleur. L'essentiel de l'être. Ce qui fut nous ce qui est toujours elle, Elsa, la douleur.»
Magnifique dernier chapitre intitulé « Après dire ». Une confession, un aveu, une douleur à jamais.




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