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Critique de Marie-Nel


Sofia Aouine, je ne la connaissais pas du tout et n'avais jamais vu son roman. Je suis donc très contente d'avoir pu la découvrir et la lire avec ce prix. C'est un premier roman, j'ai trouvé le style très original, l'auteure a réussi à se mettre à la place d'un ado de treize ans, avec son langage et sa façon de parler, ses attitudes, ses réactions, tout sonne vrai et rien que pour ça seulement, ce roman est remarquable.

 

J'ai donc fait la connaissance de ce garçon, Abad, il a treize ans, il vit à Paris, dans le quartier de Barbès, il est d'origine libanaise, avec une mère renfermée et silencieuse, et un père qui a quitté le domicile familial suite à un accident qui l'a rendu invalide. Voilà Abad devenir l'homme de la famille. Abad va ainsi nous raconter son quartier, la vie de chacun, de ses voisins, au collège avec ses copains. Il est très lucide sur le monde qui l'entoure, et ainsi nous parle de la violence qui existe, la drogue, le sexe, la radicalisation. Et puis, ce sont aussi les premiers émois, les premières oeillades pour guetter des filles qui se déshabillent. La vie n'est pas facile pour Abad, qui a un regard très mature sur sa situation et celle des gens qui l'entourent.

Finalement, quand on regarde bien ce garçon, il est entouré de beaucoup de femmes qui auront de l'importance pour lui, dans sa construction. Il y a une jeune fille qu'il surnomme Batman, dont il tombera amoureux, sa psychologue, Ethel Frutterman, dont on apprendra également le passé douloureux  et qui poussera Abad dans ses réflexions ; il y a la vieille voisine, Odette, qui lui fera prendre goût à la lecture et à la musique ; et Gervaise, une prostituée africaine qui espère pouvoir retourner au Cameroun où elle a laissé sa fille Nana. Ces personnages féminins sont très importants pour Abad, et bien qu'il joue les gros durs, ces femmes permettront de révéler sa grande sensibilité. On va ainsi suivre Abad dans sa vie de tous les jours, avec les bêtises que peut faire un adolescent, et en même temps soumis aux dures réalités de la vie.

 

Je me suis vite attachée à ce jeune homme. On n'a qu'une envie en le lisant, c'est de le protéger, de lui venir en aide, même si on se doute que sa forte personnalité refusera que l'on vienne à son secours. Il est débrouillard, n'a pas sa langue dans sa poche, dit ce qu'il pense même si ça ne plaît pas. Il m'a fait penser à tous ces gamins qui poussent tout seuls, où la rue est leur seconde maison, ils savent tout sur tout le monde, connaissent pas mal de combines et semblent n'avoir peur de rien.

On s'attache également à d'autres personnages, surtout que l'auteure nous raconte leurs vécus, je pense à la psychologue, Ethel, au passé familial lourd, et aussi à Gervaise. le parallèle d'ailleurs avec la Gervaise de Emile Zola est à faire, elle aussi a une petite fille qui s'appelle Nana, elle aussi vit dans la rue, elle aussi vient de milieux défavorisés. J'ai beaucoup aimé ce rapprochement très significatif.

L'attachement aux personnages se fait notamment grâce au choix narratif de l'auteure, qui est à la première personne du singulier. Je suis toujours plus sensible à ce « je » qui me permet de me mettre dans la peau du personnage et de me sentir au plus près de ses pensées et de ses envies. Je ressens alors très intimement ses émotions. Je trouve cette façon d'écrire plus intimiste, et cela donne un autre rendu de lecture.

 

Et surtout, ce qui frappe tout de suite le lecteur dès les premières pages, c'est le style de Sofia Aouine. Comme je le disais plus haut, elle a très bien réussi à se mettre dans la peau de son jeune héros, mais à tel point, qu'elle a exactement retranscrit sa façon de parler, ses mots, son argot. le style est donc parfois très cru, à la limite de la vulgarité, comme le peuvent être des jeunes entre eux. C'est percutant, corrosif, ça remue, ça questionne. Je n'ai pas toujours compris tous les mots d'argot, mais je devinais facilement leur signification selon le contexte. Tout est savamment dosé par l'auteure, des phrases longues mélangées à des phrases plus courtes, des descriptions juste ce qu'il faut  pour bien se mettre dans l'ambiance, pas de lourdeurs. Des émotions dans les mots. Quand elle parle d'un autre personnage que Abad, le style est plus éloquent. J'ai déjà lu des romans parlant de la situation de ces gamins dans les rues, mais je ne me souviens pas en avoir lu un du point de vue direct de l'un d'entre eux. Et ce qui marque surtout cette lecture, c'est le style, la façon de parler plus vraie que nature. Certains n'aimeront pas et ne trouveront pas ça très « littéraire » mais je trouve justement que c'est ce qui fait la force de ce livre et ce qui fait qu'on a du mal à l'oublier.

 

C'est avec un mélange de tendresse et aussi de virulence, que Sofia Aouine nous fait passer des messages importants sur la vie de ces quartiers en marge de la société, avec tout un panel de personnages qui ne veulent qu'une chose, vivre. J'ai été souvent bien émue devant leur histoire personnelle, quand on connait leur passé, on ne peut que comprendre leur présent, mêlé parfois de haine et de violence. le récit n'est jamais larmoyant ou dramatique, l'auteure décrit tout cela avec tellement de naturel et de poésie, avec des touches d'humour, cela donne un récit très juste et agréable à lire. de tels sujets n'ont pas dû être faciles à aborder par l'auteure, et elle s'en sort très bien. C'est son premier roman, et je trouve que c'est une plume très prometteuse, elle a beaucoup de potentiel.

 

Le roman est assez court, et il se lit très bien et très facilement. On est vite embarqués dès le début dans la lecture, on suit Abad et ses aventures et on a vite envie de savoir ce qui va lui arriver. Des chapitres sont consacrés à la vie d'autres personnages, ils pourraient même servir de base à un nouveau roman, je pense notamment à la psychologue et à Odette ou encore Gervaise et ce qu'elle a vécu au Cameroun. La fin reste ouverte, on arrive à un moment important de la vie d'Abad, qui va être complètement transformée, j'aurais aimé en savoir plus, mais je la trouve tout de même porteuse d'espoir.

Pour conclure, j'ai passé un très bon moment avec ce roman, je n'oublierai pas de sitôt ce jeune garçon et surtout je note Sofia Aouine dans mes auteurs à suivre. J'aimerais beaucoup la lire à nouveau, je suis curieuse de savoir de quel sujet elle parlera et comment elle le fera. C'est une auteure au talent très prometteur, que je vous recommande de lire.


Lien : http://marienel-lit.over-blo..
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