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Critique de Ingannmic


Jean Meckert est sans doute plus connu sous son pseudonyme Jean Avila, notamment par les lecteurs de la Série Noire, qui publia à partir de 1950 nombre de ses oeuvres. Les Editions Joelle Losfeld ont la générosité de nous offrir une séance de rattrapage en rééditant ses premiers romans, dont certains étaient jusqu'à présent introuvables, à l'instar de "La marche au canon", écrit, suppose-t-on, au début des années 40.
L'intrigue en est réduite à presque rien : un jeune soldat part faire la guerre (la seconde). Il n'a même pas le temps de connaître un semblant d'affrontement avec l'ennemi que c'est la débandade, un exode désordonné où chacun s'efforce de sauver sa peau.

Cela commence de manière presque guillerette, l'ironie au départ point à peine lors de l'évocation rigolarde de l'enrôlement, dont la dimension anecdotique culmine avec l'essayage de l'uniforme. Mais une forme d'angoisse s'insinue assez vite bien que de manière subreptice, notamment sous la forme du "mugissement sinistre des sirènes" s'infiltrant dans les conversations au bistrot.

Toute idée de grandeur est absente de la restitution d'une morne routine vampirisée par les gestes pathétiques de la survie au quotidien. Aux atmosphères épaisses et gueulardes des bistrots malpropres où les hommes boivent jusqu'à plus soif dans les odeurs de bière et de tabac, succèdent la promiscuité crasseuse des corps puants, les transports en wagons dans lesquels les troupes s'entassent comme des bestiaux, la brutalité des bombardements qui en l'espace de quelques minutes, laissent derrière eux leur lot de cadavres et d'estropiés…

Nulle grandiloquence non plus dans l'évocation de la soudaine vulnérabilité de ces hommes dépassés par un conflit dont le sens et le but leur échappent, ramenés à l'état d'enfants apeurés, auxquels on fait perdre l'habitude de penser. de chaque page du texte sourd l'ampleur de l'absurdité et de la violence de la guerre, du décalage entre rhétorique patriotique et réalité du terrain, de la fracture entre élites décisionnaires et peuple qui subit.

En revanche, comme la voix de Jean Meckert est prégnante et singulière ! Il met sa gouaille et sa poésie au service d'un sens aigu de l'observation, utilisant des détails ou des images qui parfois surprennent mais se révèlent toujours justes, et surtout très évocateurs. Avec un parler populaire qui donne à son discours une apparente -mais fausse- naïveté, il exprime à la fois son immense tristesse et sa rancoeur face à l'injustice faite à sa jeunesse et à celle de ses camarades. le rythme heurté, sans temps mort, qui anime son texte, le rend à la fois très vivant et quasi hypnotique, tandis que le caractère parfois désuet que peut prendre sa parole pour le lecteur d'aujourd'hui accentue son pouvoir immersif.

"La marche au canon" est d'ailleurs inspiré de la propre expérience de l'auteur qui, lors de sa mobilisation transcrivit, sur le vif, ses impressions.

"On était de pauvres gars. On avait nos volontés vivantes perdues sous le poids des forces vieilles".
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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