AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SophieLesBasBleus


Violette a 10 ans lorsqu'en 1982 Paul, son père, meurt brutalement. Pour protéger la fillette, pour lui éviter le chagrin et peut-être aussi parce que les adultes sont persuadés que les mots font davantage de mal que les faits, (ce qui n'est pas dit n'existe pas) on la tient à l'écart de l'hôpital, d'abord, des obsèques, ensuite. La petite fille devra grandir tout autour de ce trou béant que creuse l'absence irrémédiable sans avoir pu dire au revoir à son papa, ni libérer sa peine et la fragmenter au milieu de celle des autres. Trente ans après, cette souffrance empêchée car non-dite continue de saper son existence. Une vieille cassette audio pourrait ouvrir les vannes du deuil non réalisé... si seulement l'antique ghetto-blaster acceptait d'en débloquer l'écoute. Comme un signe et un symbole, les mots qui, peut-être, pourraient recoudre l'enfant et l'adulte restent absurdement enfermés dans une machine vieille de 30 ans...
Cette situation tragi-comique sert de fil conducteur à la narration et trouve son écho dans une écriture tiraillée entre larmes amputées et sourires toniques. Alexandra Alévêque a trouvé, me semble-t-il, le ton le plus juste, la distance exacte, pour tout dire sans enfoncer le récit dans le pathos. Elle parvient ainsi à donner parole et pensée à l'enfant qui sait sans comprendre, qui comprend sans savoir, parce que rien ne lui est explicitement dit et encore moins expliqué. La douleur de la disparition du père, loin d'être allégée par le silence, continue d'encombrer l'adulte car l'enfant a dû substituer ses propres réponses au travail de langage qui permet de donner ses contours au monde mais que les grandes personnes n'ont pas pris en charge au moment opportun.
La construction narrative alterne deux temporalités : celle de l'enfance et celle de l'âge adulte. Ces va-et-vient temporels mettent en évidence la sorte de stagnation dans laquelle étouffe la narratrice, comme bloquée à ses 10 ans, de la même manière que la cassette reste coincée sur la même période, refusant de délivrer les paroles qui elles-mêmes pourront peut-être délivrer Violette. Tout se passe comme si la petite fille de 10 ans continuait d'occuper entièrement un corps de taille adulte et à faire seule ce qu'elle peut pour assimiler la mort de son père.
De grosses bouffées de tendresse et de compassion jaillissent de ce récit gorgé de vie qui tire l'intime vers l'universel et plaide subtilement pour la vérité due aux enfants. La douleur du cheminement vers l'acceptation est sans cesse mise à distance par une façon de raconter pleine d'humour, qui n'occulte rien mais qui refuse aussi l'étalage ostentatoire des émotions. C'est, pour moi, un roman généreux et intelligent par le regard empathique et juste, sans aucun infantilisme angélique, porté sur l'enfant.
Un roman doltoevskien, en quelque sorte !
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}