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Critique de Tricape


S'il y a un fait que vous ne pouvez pas renier c'est celui d'avoir vécu.

On aimerait en savoir un peu plus sur le parcours de l'auteure née au Liban en 1977, vivant à Paris depuis 1989 et qui signe cet étrange et poétique roman.

Le narrateur est un homme dans la cinquantaine. Alma, la femme de sa vie, vient de mourir. Il ne peut supporter l'idée même d'aller à son enterrement. Revirement total de celui qui avait "vécu plusieurs années sans mettre les pieds dehors". La rupture est radicale : il nettoie comme un maniaque obsédé de propreté son appartement, affronte la robe bleu nuit de la disparue, sort et jette ses clés dans une bouche d'égout. Il vivra désormais dans la rue, en évitant soigneusement de repasser par celle où il a vécu. On pense au parcours d'un de ces évaporés japonais (johatsu).

On peut tout quitter, sauf son passé : inexorablement il revient hanter les jours et les nuits du vagabond. le SDF organise sa vie dans la rue à partir de l'observation de différentes femmes, ayant chacune ses habitudes, chacune recluse dans sa solitude. Il leur invente une vie qu'elles ont peut-être et ne manquerait pour rien le rendez-vous qu'il a le lundi avec Leila, le mardi avec Emma, le mercredi avec Ella et le jeudi avec... le cimetière du Père Lachaise. Il y a d'autres femmes que le narrateur observe ; toutes sont apparemment seules, leurs prénoms riment tous avec celui d'Alma.

Notre homme est attachant, cultivé, non-violent. Très sensible aux bruits et aux odeurs, il poursuit tout au long du roman un monologue intérieur poétique dont on se demande comment l'auteur a pu imaginer les arcanes. Une vague évocation de la jeunesse qu'il a vécue au Liban laisse transparaître, comme en filigrane, des souvenirs propres de l'auteure. L'impression que laisse ce portrait devrait marquer durablement les lecteurs qui regarderont peut-être après cette lecture les gens de la rue sous un angle différent ("On ne connaît pas l'hiver avant d'en avoir passé un dehors").

Il ne s'agit pas du tout de misérabilisme, mais de respect pour celui qui, désarçonné par un coup du destin, soigne sa détresse en y consentant et aurait pu s'en repaître jusqu'à la folie s'il n'avait observé, puis rencontré, d'autres solitudes que la sienne. le narrateur prend des risques en survolant le paysage de son passé : "Je suis le funambule sur le fil tendu au-dessus des abysses de la mémoire. Il ne faut pas que je tombe." Merci à Dina Abdallah pour le vertige qu'elle nous procure dans cet étrange roman.

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