Sida
Découverte en matière de lutte contre le
sida :
Jean-Claude CHERMANN, Directeur de l'unité 322 des rétrovirus à l'INSERM de Marseille, a découvert un anticorps qui permet de "bloquer" le
virus. - Interview du professeur
Jean-Claude CHERMANN sur cette découverte.
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Il y a parfois, dans la vie, des moments où l’on se dit : « Game over. Ma vie s’arrête là. » Un drame, un accident grave, une nouvelle dont on est persuadé, sur l’instant, qu’elle marque le point final à tous les rêves que l’on a pu former. Cette impression, cette certitude, Jean-Claude Chermann l’a eue au détour d’un virage. Il venait de quitter le cours de travaux pratiques de l’université. Il se souvient d’avoir pris son scooter, puis… plus rien. C’est Dany, celle qui deviendra son épouse, qui raconte la suite : « Je suis allée le voir à l’hôpital. Il était dans une grande salle qui ressemblait à un immense mouroir. Lorsqu’on m’a indiqué son lit, je me suis approchée… Il était méconnaissable. Je ne le lui ai pas dit sur le moment, bien sûr, mais je ne l’ai reconnu que grâce à sa voix et à ses mains qui étaient restées intactes. Étrangement, je ne voyais pas qu’il était abîmé. J’étais amoureuse, mais cela, il ne le savait pas. Je l’admirais. Je l’admirais pour toutes ses qualités, pour tout ce qu’il avait fait pour s’en sortir
Pour combattre la navette HIV, on a construit notre propre vaisseau. Pour l’instant, il nous manque des pièces, très chères à fabriquer, mais le plus important, ce sont les plans, et on les a. L’anticorps, l’antigène, le concept, on a tout… On compte progresser par étapes. La première, faire un kit pour dépister les non-progresseurs, il est en cours de développement. La deuxième, mettre au point un anticorps thérapeutique (en bonne voie) suivi d’un vaccin thérapeutique, c’est-à-dire qui soigne (par production d’anticorps protecteurs). La troisième, faire un vaccin prophylactique (qui prévient l’infection). Ce sera un vaccin par voie orale, pour assurer une protection dans le sang et dans les muqueuses.
Le virus ne venait pas d’Afrique, il avait été apporté en Afrique, où il s’était rapidement développé. Les quatre premiers cas de sida ont été repérés à Los Angeles en 1981. Premiers cas en 1981, ça veut dire que l’infection remonte à dix ans[42]. Alors je me suis posé la question : que s’est-il passé dans les années 1970 ? Réfléchissez, un événement qui va changer le monde… Le Bœing 747 ! Donc je me mets à faire une hypothèse pour m’amuser et afin de ne culpabiliser personne : le virus vient du fin fond de la France profonde ! Ce virus étant ancien, on l’a dit, c’est donc un virus qui au départ était non mortel, se trouvant dans le macrophage et pas encore dans les lymphocytes.
Quand on est chercheur, on peut en rêver inconsciemment, mais honnêtement, avant que notre découverte soit primée, il n’y avait eu en France que peu de Nobel pour la médecine ! Donc je pensais que c’était quelque chose qu’on ne pouvait pas toucher. Quand on a fait la découverte, bien sûr que nous y avons cru, parce que nous savions que nos travaux méritaient un prix Nobel, mais il y a eu cette bagarre avec Gallo et nous imaginions que le comité Nobel ne trancherait pas.
Quand on sort de « rien », plus que les autres on doute. Toujours. On veut prouver. Toujours. On ne cesse de se remettre en question. Et, le plus souvent, on en sort grandi.
Les Américains avaient marché sur la Lune, mais ils n’avaient pas vaincu le cancer. Cela dit, les conséquences de ce programme furent fondamentales. Les chercheurs avaient démonté les mécanismes de cancérisation de la cellule grâce à la découverte des oncogènes. La biologie moléculaire, née de la découverte de la transcriptase reverse avait progressé à pas de géant, ouvrant des horizons toujours plus vastes.
Connaître le virus était une chose, mais le dépister était fondamental, car cela permettait de prévenir les malades et donc, dans une certaine mesure, d’enrayer la contamination, et surtout d’assurer des transfusions sanguines saines. Je parle ici des enjeux de santé qui m’intéressent, mais il y avait aussi, bien sûr, derrière, un enjeu financier colossal pour celui qui sortirait le premier test.
Celle qui m’a le plus appris était une technicienne, Jeannette Riza. Je la cite, car je pense qu’il faut toujours rendre hommage à ceux qui vous ont appris… Jeannette m’a appris tout ce qu’elle savait, à commencer par l’observation. Savoir REGARDER. Cela peut paraître stupide et évident, mais un chercheur qui oublie cela en se réfugiant dans sa science est un chercheur qui ne trouvera jamais.
Un bon chercheur doit avoir deux qualités : l’intuition et la patience. L’intuition, c’est d’imaginer une hypothèse à laquelle personne n’a pensé. Cela relève presque de la « fulgurance ». La patience, c’est accepter le temps nécessaire entre la naissance de cette intuition et sa confirmation.
Je suis scientifique, donc je vous l’ai dit : je ferme les portes une par une, mais je ne me regarde pas le nombril à chaque étape en me disant que je suis le meilleur. Il me faut deux choses : la question et la réponse. J’avais la première, pas la seconde.