AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de MegGomar


Il neigeait lorsque Jeong-man quitta l’hôpital. C’étaient les premiers
flocons, nous étions à la mi-novembre. Le taxi, ne pouvant remonter la
ruelle trop étroite, nous déposa non loin du terrain vague. La jambe de
Jeong-man, cassée de la cheville au haut de la cuisse, mettrait longtemps à
guérir. Il faudrait remplacer la ferraille régulièrement, et ce jusqu’à la fin de
sa vie. Le plus embêtant, c’était que, dans son état, il ne pouvait strictement
rien faire. Cette idée me désespérait. Même en s’appuyant sur moi et sur sa
canne, il était incapable de marcher. A l’hôpital, on nous avait prévenus
qu’il ne devait pas sortir si tôt.
— Vous voulez peut-être payer la facture à ma place ? avais-je riposté.
Jeong-man n’avait pas osé me retenir, ni même me regarder dans les
yeux. Il était resté, la tête baissée, l’air fautif. Il faut dire que je n’avais rien
fait non plus pour le déculpabiliser. Il avait commis une faute
impardonnable en se faisant renverser par un camion et en me mettant dans
une situation où j’étais contrainte de payer ses soins. A mes yeux, un chef
de famille qui non seulement ne gagnait pas un sou mais en plus coûtait
cher n’était rien de plus qu’un criminel.
A force de soutenir Jeong-man sous le bras, je me retrouvai bientôt
trempée de sueur. Je ne pouvais pourtant pas l’abandonner dans la rue.
— Putain ! On n’y arrivera jamais comme ça. Allez, viens, je vais te
porter sur mon dos.
Mais dès que je voulus me redresser, je m’écroulai à genoux sous son
poids. Il pesait plus lourd que je ne le croyais. Il neigeait de plus en plus
fort. Essayons encore, ordonnai-je. Je serrai les dents et rassemblai mes
forces pour me relever. L’effort m’arracha un gémissement. Cette fois, je ne
tombai pas, mais je fus incapable d’avancer d’un centimètre. Pourtant il le
fallait. Je respirai un grand coup. Je fis un pas, puis un deuxième. Au bout
de quelques mètres, je m’arrêtai. Jeong-man retenait sa respiration,
tremblant de tout son corps. Chancelante, je me remis en route, puis
m’interrompis de nouveau. De petites bouffées de vapeur blanche sortaient
en chapelet de ma bouche. Je n’entendais que le bruit de ma propre
respiration haletante. Je devais me dépêcher de rentrer avant que la neige ne
se transforme en boue sur le sol. Le temps qu’il me faudrait pour atteindre
la maison me paraissait plus long que toutes les nuits de ma vie mises bout
à bout. Quand ce chemin de calvaire prendrait-il fin ? Y aurait-il au moins
une fin ? J’agrippai plus fort les cuisses de Jeong-man pour l’empêcher de
glisser sur mon dos.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}