Vous ne la connaissez pas, pourtant elle a tenu le monde entre ses mains. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Gertrude Bell a dessiné les frontières de l'Orient, dans ce désert sauvage où tout a commencé : le pays entre les deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate.
Aventurière, archéologue, espionne, parlant l'arabe et le persan, elle fut la femme la plus puissante de l'Empire britannique, mais aussi une héroïne tragique. Idéaliste comme son ami et frère d'âme Lawrence d'Arabie. Impérialiste et courageuse comme le jeune Winston Churchill. Enfant aimée et incomprise d'une riche famille victorienne. Amoureuse éperdue. Et une énigme pour nous : celle des femmes que l'Histoire a effacées.
Olivier Guez lui rend sa gloire et nous offre une épopée flamboyante : de la découverte de gigantesques gisements pétroliers aux jeux de pouvoir cruels entre Britanniques, Français et Allemands, des négociations sous les tentes bédouines aux sables de Bagdad où se perdent nos rêves.
Le roman de Gertrude Bell dessine la vaste fresque de la première mondialisation, quand le plus grand empire de tous les temps s'approprie une contrée mythique et maudite, terre d'Abraham, du déluge et de Babel, tombeau d'Alexandre le Grand : la Mésopotamie.
Romancier, essayiste, ancien journaliste, Olivier Guez est notamment l'auteur de la disparition de Joseph Mengele (Grasset, 2017, prix Renaudot). Il a reçu le César allemand du meilleur scénario pour le film Fritz Bauer, un héros allemand. Il vit à Rome.
En savoir plus : https://www.grasset.fr/livre/mesopotamia-9782246818953/
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Tous les hommes rêvent, mais inégalement. Ceux qui rêvent la nuit dans les recoins poussiéreux de leur esprit s'éveillent au jour pour découvrir que ce n'était que vanité ; mais les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts, pour le rendre possible. C'est que j'ai fait.
Je ne suis pas de ceux que l'on peut résumer en trois mots.
Il est aisé de faire perdre sa foi à un homme, mais il est difficile de le convertir à une autre.
S'il est vrai que dans le Moyen-Orient arabophone, le nomade et le sédentaire n'appartiennent pas à des races distinctes mais se situent seulement à des stades sociaux et économiques différents, on pouvait s'attendre à leur trouver des traits communs dans le mode de pensée, et il était concevable de relever des ressemblances dans ce que ces peuples produisaient. Dans les débuts, lors de nos tous premiers contacts, nous découvrîmes une unanime transparence ou rigidité de foi, quasi mathématique dans sa restriction, et qui nous inspira de la répulsion par les formes désagréables qu'elle prenait. Les Sémites, dans leur spectre visuel, ne connaissent pas la demi-teinte. C'est un peuple de couleurs primaires, principalement le noir et le blanc, qui ne regarde du monde que ses contours. Ce peuple particulier a le doute en aversion, le doute, cette couronne d'épines moderne que certains de nos penseurs portent avec tant de grâce.
L'appel du désert, pour les penseurs de la ville, a toujours été irrésistible: je ne crois pas qu'ils y trouvent Dieu, mais qu'ils entendent plus distinctement dans la solitude le verbe vivant qu'ils y apportent avec eux.
On affirme, en Orient, que le meilleur moyen pour traverser un carré est d'en parcourir trois côtés.
Une idée folle (celle que le mariage est chose normale, qui donne à l'homme une compagne de lit, naturelle, économique, assurée, toujours prête) s'ils ont grandi avec elle et bien qu'ils n'aient que vingt ans, la voilà mise déjà mise sur un piédestal et hors conteste, du seul fait qu'ils s'en servent. Au doute actif, ils préfèrent la mollesse de la croyance.
Il est humiliant de voir que notre expérience livresque de tous les pays et de tous les siècles nous laisse encore avec des préjugés de blanchisseuse, sans l'habileté verbale d'une blanchisseuse pour s'entendre avec les étrangers.
Dans les années de temps de paix, la discipline signifie la recherche obstinée non d'une moyenne mais d'un absolu, l'étalon du cent pour cent où quatre-vingt-dix-neuf sont abaissés au niveau de plus faible de la revue. L'objectif est de faire de l'unité une unité, de l'homme un type, afin que leurs efforts soient calculables et que le résultat collectif soit le même en grain et en masse. Plus profonde est la discipline, plus basse la valeur individuelle, plus sûre aussi la performance.
Nous étions ensemble pleins d'amour, à cause de l'élan des espaces ouverts, du goût des grands vents, du soleil et des espoirs dans lesquels nous travaillions. La fraîcheur matinale du monde à naître nous soûlait. Nous étions agités d'idées inexprimables et vaporeuses, mais qui valaient qu'on combatte pour elles. Nous avons vécu beaucoup de vies dans le tourbillon de ces campagnes, ne nous épargnant jamais; pourtant, quand nous eûmes réussi et que l'aube du nouveau monde commença à poindre, les vieillards revinrent et s'emparèrent de notre victoire pour la refaire à l'image de l'ancien monde qu'ils connaissaient. La jeunesse pouvait vaincre, mais n'avait pas appris à conserver, et était pitoyablement faible devant l'âge. Nous balbutions que nous avions travaillé pour un nouveau ciel, une nouvelle terre, et ils nous ont remerciés gentiment et ont fait leur paix.