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Critiques de Sandrine Collette (3297)
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Et toujours les forêts

Le voilà mon premier coup de coeur de l'année et cela pourrait être MON coup de l'année tout court tellement j'ai été percutée par l'intensité de ce roman dès les premières lignes, terribles, sur l'enfance perdue de Corentin.



Et puis l'Apocalypse. Une implosion, un incendie, un monde rendu stérile, sans couleur, sans soleil, sans plante, sans animaux, une population humaine décimée, la sixième extinction. Corentin a survécu.



Oui, le genre post-apocalyptique est fort encombré et a donné lieu à de grands romans, des chefs d'oeuvre même. La Route ( Cormac McCarthy ), Ravage ( Barjavel ), Je suis une légende ( Richard Matheson ), Les Derniers hommes ( Pierre Bordage ), Dans la forêt ( Jean Hegland ), La Peste écarlate ( Jack London ). La liste est longue, j'affectionne tout particulièrement les romans post-apo. Et ce n'est pas le énième. Il est même plutôt inclassable, même si il est question de survivants errants sur la route, même s'il est question de forêts refuge.



Sandrine Collette opte pour la lignée intimiste, rien n'est spectaculaire, tout est crépusculaire. A peine comprend-on que l'apocalypse est climatique. L'auteure joue sa propre partition en se recentrant sur le personnage de Corentin, comme dans un huis-clos de mots pour dire le vide, la solitude, la disparition des couleurs dans ces jours devenus sauvages que va connaître Corentin. J'ai été prise aux tripes par le destin de cet personnage accroché à la vie, pris dans un combat intérieur entre l'animal et l'humain, au bord de la démence, à la fois lâche et courageux, combatif et désabusé. Que faire de cette vie, de cet espoir qui ne meurt pas, de cet amour à donner encore ? Il n'est pas le seul à m'avoir bouleversé, il y le merveilleux personnage de l'Aveugle, ce chiot rescapé devenu compagnon indispensable.



Si ce roman est aussi puissant, c'est parce qu'il est porté par une écriture superbe, tellurique et poétique, un tour de force. Les phrases sont courtes, avec des renvois à la ligne. Des phrases saccadées, qui claquent, cueillent l'émotion sans esbroufe, sans pathos. Authentiques avec leur syntaxe parfaite pour rythmer le parcours de vie de Corentin et son évolution psychologique dans ce chaos.



«  La seule couleur était celle du sang.

Corentin s'en aperçut en s'écorchant la main à un morceau de bois, un soir qu'il faisait du feu. Cela roula sur sa paume. Cela coula sur ses doigts. Dans son esprit chaviré, cela prit des teintes d'automne flamboyantes, des lueurs de rubis, des incandescences d'un vermillon inouï. Cela refléta le soleil disparu.

Il fut émerveillé.

Il comprit que cela n'existait pas, avant.

A présent, il savait créer la couleur. Il la portait en lui. Malgré tout le malheur, la chose n'avait pas pu détruire ce qu'il à avait à l'intérieur.

Pas la foi.

Pas son âme.

Mais le rouge.

Mais le sang.

Parfois le long de l'autoroute, il piquait sa peau de la pointe du couteau pour être sûr que c'était toujours là. Deux ou trois gouttes écarlates. Il riait tout bas en les regardant. »



Ecriture et récit sont en symbiose parfaite pour nous faire vibrer jusqu'à l'os. Sandrine Collette ne nous prend pas qu'aux tripes, ses mots résonnent jusqu'à notre tête pour nous pousser à la réflexion sur notre société qui gaspille et consomme, responsable du fléau qui s'abat sur Terre. Il ne s'agit pas pour elle de faire de Et toujours les forêts un roman idéologique ou politique, mais à l'heure où l'Australie brûle, ce récit instinctif prend de l'ampleur et terrifie.



Un grand roman noir où brûle la flamme de la résilience, porté par une écriture sublime, épique et époustouflant, bouleversant d'humanité.



Lu dans le cadre du jury Grand prix des lectrices Elle 2020 - catégorie roman.

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On était des loups

°°° Rentrée littéraire 2022 # 48 °°°



« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes, ça ne faisait pas de différence on était le monde. C’est pour ça que je vis  : toucher du doigt, du bord du cœur le territoire sauvage qui survit en moi et quand les loups hurlent dans la montagne, je sais que je ne suis pas seul. »



Le narrateur, Liam, homme des bois et trappeur, a décidé de vivre à l’écart du monde humain. D’un retour de chasse, il découvre sa compagne tuée par un ours. Leur fils de cinq ans, Aru, a survécu. Liam ne sait pas quoi faire de cet enfant qu’il ne comprend pas et qu’il considère comme un poids pour vivre selon ses souhaits autarciques et misanthropes, un enfant qui lui rappelle sans cesse la mort de celle qu’il adorait. Va-t-il le garder auprès de lui, s’y attacher et l’inscrire dans sa vie, l’abandonner ou même pire ? C’est l’enjeu de leur chevauchée dans des grands espaces de forêts et lacs qu’on imagine être dans les Appalaches ou le grand Nord canadien.



«  En vrai c'est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s'accrocher à moi, pour que j'ouvre une brèche une possibilité la largeur des mes bras et cette quête-là, cette prière muette je n'y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. »



Pour porter le cheminement de Liam, Sandrine Collette a choisi un long monologue à la langue primitive et viscérale. Les phrases sont rugueuses, très peu ponctuées. On se fond totalement dans l’intériorité de Liam. On découvre ces pensées dans un flux désordonné qu’il s’emballe, rumine. Liam dit ce qu’il pense, ce qu’il fait. On l’entend littéralement parler tant l’oralité de sa langue est parfaitement retranscrite. L’écriture épurée de l’autrice surligne la force émotionnelle qui se dégage du récit, ce qui rend la lecture intense. Liam est animé par des pulsions destructrices qu’il livre sans filtre au lecteur ( souvent déstabilisé par la violence des propos ) dans une urgence prégnante.



Derrière son décor de roman américain où la nature rude semble indifférente aux combats des hommes pour survivre, plus le récit avance plus il se rapproche de la structure archétypale du conte : des épreuves pour les héros, ici le père et son fils, une forêt, un ogre. Un conte très sombre qui résonne de thématiques contemporaines en questionnant sur la paternité, sur l’instinct paternel.



Liam, c’est l’antipode du père de La Route ( chef d’oeuvre de Cormac McCarthy ). Lui a eu une enfance terrible, on ne lui a pas appris la tendresse. La tension est permanente avec son enfant qui le suit terrifié, tout peut basculer d’un moment à l’autre. Comme toujours chez Sandrine Collette, la famille est le premier lieu de la relation à l’autre, qu’il s’agisse d’amour ou de domination. Rester humain est un combat contre la bête tapie en soi.



Une nouvelle fois, je suis totalement séduite par le travail formel de Sandrine Collette tout autant que par sa capacité à décrire la fragilité de l’être humain avec une âpreté incisive capable de faire surgir de la poésie et de l’émotion. Ce roman initiatique se lit avec les tripes et le coeur. Décidément un de mes auteurs français préférés, cela se confirme.
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On était des loups

Vivant dans la montagne, à l'écart du monde, Liam poursuit un loup qui a eu l'audace de venir rôder autour de ses enclos. En rentrant de cette chasse, il s'attend à voir émerger son fils de cinq ans, courant les bras écartés et les yeux pétillants vers lui. A la place, il retrouve sa femme inerte, à même le sol, couverte de sang et de griffures d'ours. Où est son fils ?



« On était des loups » emmène le lecture en pleine nature, sur une montagne aussi belle qu'impitoyable, en compagnie d'un homme qui a choisi de vivre en marge de la société. Même là, il évite de passer trop de temps auprès de sa femme et connaît à peine ce fils qu'il n'a pas vraiment vu grandir, trop occupé à vivre comme une bête au milieu de ses montagnes.



« On était des loups » invite à partager les pensées de ce chasseur qui se retrouve seul avec un gamin dont il ne s'est jamais occupé. Dans sa tête, c'est le chaos total, d'abord des questions logiques… Comment lui expliquer pour sa mère ? Comment élever un gamin seul dans un environnement aussi hostile ? Qui s'occupera du petit quand il ira chasser ?… puis des pensées plus horribles… Faut-il l'abandonner ? le tuer ?



« On était des loups » est l'histoire dans un homme qui n'a pas les qualités requises pour être père, ni l'envie de l'être. Un roman sur le deuil et sur la paternité qui invite à suivre les pas d'un homme sur le chemin montagneux qui le conduira vers son humanité.



À chaque roman de Sandrine Collette (« Et toujours les forêts », « Les larmes noires sur la terre »), il me faut toujours un peu de temps pour m'habituer à son style, mais après quelques pages…BAM…me voilà entouré d'une tension palpable, capturé par le flux des pensées de cet homme certes taiseux, mais dont elle déroule les sentiments à la première personne grâce à de longues phrases quasi dénuées de ponctuation. Le lecteur se retrouve ainsi en apnée, dans la tête de ce personnage dévoré par le chagrin et horrifié par la tâche inhumaine qui l'attend : devenir père !



Mon deuxième coup de coeur de la rentrée littéraire après « Arpenter la nuit » de Leila Mottley.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Et toujours les forêts

Une grande réussite que ce roman post-apocalyptique, à la croisée entre « Malevil » de Robert Merle et « La route » de Cormac McCarthy.

Quelque part sur terre, des amis étudiants se réunissent pour faire la fête et s’alcooliser sous le macadam d’une Grande Ville qui asphyxie. Imperceptiblement les saisons se sont décalées, l’air s’est raréfié, la température monte anormalement, la sécheresse se répand, la planète crève dans l’indifférence pourtant elle avertit.

Alors que la fête souterraine bat son plein, soudain à la surface tout craque, tout rompt dans un grondement terrifiant. Un souffle incendiaire inexpliqué a réduit la surface du globe en cendres. Sauvés de la grande extinction, sidérés et apeurés le retour risqué à la surface est une épreuve. Il faut dire que le spectacle est horrifique : la ville est ravagée, le paysage calciné et cendreux, l’air enfumé. Au milieu d’odeurs nauséabondes la terre se consume, dans un gris uniformisé, définitivement désertée par la lumière solaire. Se retrouvant seul, Corentin doit organiser les moyens de sa survie dans cet univers inhospitalier. Il n’a alors plus qu’une obsession : retrouver Augustine, son arrière grand-mère. Celle qui l’a recueilli, lui, l’enfant maudit, non désiré et abandonné par sa mère errant de famille d’accueil en famille d’accueil, de rejet en manque d’amour,avant qu’elle ne le recueille enfant dans sa vieille maison aux abords des forêts et l’enveloppe d’un amour pudique mais bien réel. Au coeur d’une nature nourricière et réparatrice elle distille « une sorte de douceur âpre, de rugosité bienveillante ». Enfin une main aimante enserre la sienne.

Dans ce chaos monochrome c’est elle qui envahit ses pensées et devient sa raison de survivre. Appréhendant pourtant ce qu’il va y découvrir, et ignorant si elle a survécu il décide de retourner « aux forêts ».

Une sombre odyssée commence alors accompagné de son chien « l’aveugle » au bout de laquelle il trouvera sa nouvelle destinée et parviendra à se sédentariser. La « chose » est passée mais le souffle mortifère poursuit sa destruction et insuffle « dans l’air et sur la terre des poisons pour les tuer jusqu’au dernier »

Pluies acides, orage de neige qui tombe en lames de glace, chaleur excessive viendront achever ce qui tient encore debout.

Slalomant entre les cadavres, manquant de ressources primaires, de lumière, de moyen de locomotion, l’espoir de reviviscence au-delà de la grisaille, de la destruction de l’humanité, de celle de la faune et la flore, entretient sa combativité.

Sandrine Colette nous tient en haleine, il y a une «  urgence » dans le style avec des phrases saccadées, brutales, lapidaires utilisant des « mots-coups de poing » des retours à la ligne qui tranchent avec le reste du texte et font écho à une certaine froideur, un détachement des personnages. Dans cette complexité existentielle l’affect doit être mis en sourdine. Au cours de ces années de combat l’entraide s’oppose à l’affrontement avec des groupes de rares survivants. La nuance n’existe plus , c’est la vie ou la mort. Et l’Homme toujours l’Homme pour détruire la vie encore et encore même lorsqu’il n’y a plus rien à détruire. Et toujours les forêts comme refuge et espoir. La reconstruction de la civilisation dans des conditions aussi archaïques et inamicales sera-t-elle possible?

La fin est inattendue, déstabilisante et poignante. Cette « fable écologique » que l’on espère non prophétique (...) est glaçante et captivante❤️
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On était des loups

Chante avec les loups ❤️

« … et je sens sa main dans la mienne soudain une toute petite main chaude et je sais que c’est ce que j’ai de plus précieux au monde ».

Quelle est forte Sandrine Colette. Quelle émotion en refermant ce livre ! Cette relation entre un père aimant mais rustre qui n’a pas les codes de la paternité et son petit garçon de cinq ans noue la gorge. L’authenticité des personnages est tellement touchante.

Liam vit dans la montagne retiré du monde avec sa femme Ava et son fils Aru. Traquer, chasser, dépecer, tanner, forger, dormir à la belle étoile dans une liberté absolue c’est son quotidien, une vie à l’état sauvage qui n’est pas faite pour un môme, c’est pourquoi ce gosse, il n’en voulait pas. Ce trappeur vit auprès des animaux en pleine nature « pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi… ». Un soir à son retour il retrouve sa femme morte. Vide immense, désarroi. La colère le submerge. Il se retrouve seul avec son fils et sait qu’il n’a pas les qualités requises pour être père. On suit ses errances et celles de son petit au cœur de la nature sauvage et inhospitalière où le peu d’hommes que l’on croise sont plus dangereux que les loups.

Lentement on assiste à la naissance d’un père, on voit la part d’humanité de Liam prendre le dessus sur sa part d’animalité. Ce livre interroge sur la place de l’homme dans la nature et au sein de la famille, c’est un magnifique roman sur la survie, la liberté et les grands espaces où vastes forets et grands lacs défilent en fond d’histoire. C’est surtout un roman sur le refus de la paternité, l’instinct paternel. On suit le cheminement intérieur de Liam vis à vis de ce fils qu’il aimait jusqu’à présent « de loin ».

Il est écrit avec les tripes.

La tendresse ici ne s’exprime pas, ne se montre pas ou maladroitement mais l’attachement est fort. Leur entente tacite, leurs regards complices, les mots et pensées abruptes de ce père conscient de ne pas savoir y faire bouleversent.

Les événements lui donneront raison c’est pas un endroit pour un môme. Dans leur solitude réciproque père et fils vont pourtant s’apprivoiser, s’entraider et peut-être trouver enfin leur juste place…
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Des noeuds d'acier

J'ai passé un moment très angoissé en plongeant dans ce roman. L'histoire est très noire, très troublante, et pourtant très addictive. En effet, ce roman se dévore car, on connait en gros l'issue de l'histoire, mais comment en arrive t-on là?

Dès les premières pages, notre curiosité est piquée, l'auteure nous donne immédiatement envie d'en savoir plus.

Le récit est douloureux et la douleur ne fait qu'augmenter au fil des pages. Un environnement de folie pure, elle est physique, psychologique, elle est partout, elle alterne avec l'espoir, le désespoir, la solitude...



Un roman qui est donc très oppressant, mais c'est aussi un huit-clos rondement mené, un roman qu'on ne peut plus lâcher avant la dernière page;
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On était des loups

Tailler dans la pierre un coeur de père…



Que j'aime les auteurs dont les écrits retranscrivent sans filtre les pensées, les émotions les plus personnelles et intimes, comme si nous étions, nous lecteurs, branchés directement sur le cerveau et l'âme du protagoniste nous prenant plus directement aux tripes et au coeur. le maître en la matière, à mes yeux, est le grand Antonio Lobo Antunes dont une phrase, sans aucune ponctuation, peut faire tout un chapitre à elle seule. Lire à voix haute permet alors de trouver le fil sur lequel tirer pour faire de ces méandres complexes, mélopée sauvage et brouillonne, un récit plus clair, hypnotisant et percutant. C'est tout simplement captivant et permet de voir que nous pensons sans arrêt, sans point ni virgule, passant très souvent du coq à l'âne. C'est tout simplement touchant car nous n'avons pas l'image que veut renvoyer le personnage en communiquant avec d'autres personnes, nous avons sa mise à nu, brute et sans masque.

Sans aller jusqu'à cette extrémité, Sandrine Collette nous livre avec « On était des loups » le poignant monologue d'un homme taiseux et taciturne, Liam. Et nous trouvons ainsi un écrit structuré à l'aune des pensées les plus viscérales qui surgissent, des émotions qui affleurent, même les plus inavouables, une langue rugueuse, intime, primitive, aux mots entrechoqués, aux mots parfois crus, aux mots toujours sincères. Aux mots poétiques aussi.



« Pour l'instant le bleu de ses yeux ressemble à une tâche de myrtille sauvage, celles qui couvrent les sous-bois au début de l'été et que je rapport à Ava pour qu'elle les mette en bocaux ».





Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser et traquer un loup qui rôde autour de la maison, il devine aussitôt qu'il s'est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l'attend pas devant la maison comme d'habitude. D'habitude, le petit l'attend et dévale la pente pour se jeter dans ses bras, rare moment de connivence avec cet enfant qu'il ne connait pas vraiment, sa femme Ava s'en occupant exclusivement. D'ailleurs, la maman également est absente, pas là à biner, à jardiner. Personne. Dans la cour, il découvre les empreintes d'un ours. À côté, sous le corps inerte et ensanglanté de sa femme, il trouve son fils. Vivant. Au milieu de son existence qui s'effondre, Liam a une certitude. Ce monde sauvage, cette montagne aussi majestueuse qu'impitoyable, n'est pas fait pour un enfant, ce d'autant plus qu'il se sent incapable de s'en occuper. Décidé à confier son fils à d'autres que lui, à son oncle et à sa tante qui sont à six jours de marche, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux. le voyage ne se passera pas du tout comme prévu. le voyage se fera initiatique, lente chevauchée que l'on croirait presque épopée américaine tant la nature est imposante et défile au fil des trots des deux chevaux. Un territoire sauvage que Liam aime profondément.



« C'est pour ça que je vis ici, pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi et à ces moments-là quand les loups hurlent dans la montagne je sais que je ne suis pas seul ».





Sandrine Collette retranscrit avec intelligence les sentiments de ce père qui ne sait pas faire, qui a du mal, ayant lui-même subi une enfance marquée du sceau de la violence et de l'absence d'amour, nous vivons l'évolution de ces sentiments au fur et à mesure du récit. Ces ressentis sont, de plus, analysés à l'aune de sa douleur du moment, à l'aune de ce deuil terrible, Liam est fou de rage et de douleur. L'auteure nous raconte la façon dont il passe de géniteur à père. Tout n'est pas blanc ou noir en matière de sentiments intimes, nous voyons sans cesse les tiraillements entre un amour viscéral pour son enfant, amour qu'il ne sait pas accueillir et le désir de ne plus l'avoir avec lui ce môme inutile, au point même d'avoir des envies horribles et inavouables. Et que ces moments durant lesquels Liam tente maladroitement de se rapprocher de lui sont troublants…



« En vrai c'est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s'accrocher à moi, pour que j'ouvre une brèche une possibilité la largeur de mes bras et cette quête là, cette prière muette je n'y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. »



Qu'il semble rustre Liam, qu'il semble taciturne, taiseux, animal, violent. le type d'homme que nous n'aimerions pas rencontrer. Et pourtant il m'a touché aux larmes. D'une part par ce qu'il a subi enfant et qui explique ses maladresses. Il a d'ailleurs bien conscience de répéter peut-être le même schéma familial. D'autre part, car il sait voir et ressentir ce que la plupart d'entre nous ne savent plus voir et ressentir, cette osmose avec la nature. Ce tout formé avec les éléments, la faune et la flore, que Sandrine Collette narre avec une intelligence et une sensibilité surprenantes qui a fait vibrer une corde en moi.



« le chant des loups nous appelle parce que c'est notre chant et aussi loin qu'on puisse remonter il y a l'éclat d'un animal en nous, c'est pour ça que ça m'émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. Ce n'est pas du chagrin c'est une émotion profonde viscérale racinaire et ceux qui ne ressentent pas ça ils ont tout oublié, ce sont des gens déjà morts ».





Le livre n'est ni moralisateur, ni manichéen. L'amour paternel de ce loup solitaire est approché à petits pas avec nuances. le récit est d'une rare humanité dans toute son animalité. Ces élans d'amour dont certaines personnes ne savent que faire, dont elles ont un peu honte, qu'elles gâchent sciemment en les transformant en brutalité, indifférence feinte, vulgarité sont présents dans ce livre, palpables au point de résonner en nous et peut-être de mieux comprendre l'autre dans son impulsivité. Des formes d'amour refoulées, mal gérées que Liam va apprendre petit à petit à montrer, à canaliser, à extérioriser alors que la présence de l'enfant met à jour ses propres failles.



Et que dire de cet enfant, Aru, aussi blond que le père est brun, dont les yeux bleu ciel semblent refléter la pureté, l'innocence que le père n'a jamais connue. Un enfant qui a perdu sa mère et qui se retrouve seul avec ce père si inquiétant, si peu rassurant. Un enfant terrifié, pétri de culpabilité contenue, pourtant courageux, confiant, qui va faire de son père, un vrai père. Cet enfant-là, je dois l'avouer, m'a fait briller les yeux à de multiples reprises dans sa façon d'être, sa façon de s'adapter à ce père singulier, et sa manière de venir panser la blessure intime de Liam, ses multiples et profondes failles. C'est lui ce petit bout d'homme qui va savoir tailler dans la pierre un coeur de père.



« Il y a des jours où je sens avec une force infinie que c'est le même qui fait de moi un homme je veux dire avec de l'humanité et pas seulement une machine vivante ».

Finalement n'est-ce pas là l'effet que font les enfants à leurs parents le plus souvent, de devenir des hommes et des femmes avec de l'humanité, pas seulement des machines vivantes, de devenir meilleur ? Et de pouvoir se dire alors que l'enfant fait de nous ce que nous devons peu à peu : « Les choses sont à leur place, je crois ».





Une lecture haletante sur une relation père-fils particulière dans un décor majestueux, une lecture qui se veut universelle sur la construction identitaire qui se joue entre parents et enfants, une lecture salvatrice profondément humaine permettant de mieux comprendre l'autre, dans toute sa fragilité et sa noirceur. L'écriture de Sandrine Collette est sublime et arrive à dégager une étonnante poésie, une poésie farouche, malgré la rudesse, la rugosité, l'âpreté du récit, beaucoup d'émotions malgré la noirceur. Un combo inoubliable !

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Les larmes noires sur la terre

Et bien et bien, quel roman ! J’en reste sans voix. C’est noir terriblement noir mais brillamment écrit, une plume précise, alerte, vivante, immersive à souhait. Un roman dur, cruel, sombre...



Moe a vingt-six ans quand elle décide de quitter son île avec son bébé sous le bras. Elle rêve de liberté la petite Moe, d’espoir, d’une vie meilleure. Mais Moe connaîtra l’enfer et le monde cruel des hommes. Là dans la Casse, les maisons sont remplacées par des voitures-dortoirs-poubelles. Un refuge pour les sans abris et les cas sociaux, Moe et son tout petit s’empaqueteront dans la misère la plus noire. Quand les Hommes sont amputés du cœur, quand la lumière s’éteint la nuit comme le jour, des grilles constamment fermées, ne reste que le demain, le plus tard auquel se raccrocher. La liberté coûte très cher, le bonheur inaccessible, l’espoir introuvable.

Moe se liera néanmoins d’amitié avec un petit groupe de femmes aussi cabossées qu’elle qui traînent leur maigre vie comme un chien en laisse sous la pluie. Seule l’amitié les tiendra debout, la cohésion a un clan, l’humain contre les bêtes...



Un roman très immersif dans lequel je me suis plongée sans relâche malgré sa noirceur. L’histoire tient la route en tous points, les personnages sont attachants et parfaitement travaillés. On ne quitte pas si facilement les larmes noires sur la terre. Très beau titre pour un roman qui semble pleurer des larmes noires ou des larmes de sang de tout son long.



Merci à mes amis Babelio qui m’avaient gentiment recommandé ce roman après ma déception de Juste après la vague.
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On était des loups

Le narrateur Liam vit loin du monde, dans une région de montagnes et de forêts encore sauvages, où il subsiste de la chasse et de la trappe, laissant seuls à la maison, pendant ses longues et très fréquentes absences, sa compagne Ava et son fils de cinq ans, Aru. Mais un jour, l’attend à son retour le corps sans vie de la jeune femme, tuée par un ours dont elle a juste pu protéger l’enfant. Déchiré entre son rôle de père et la gageure d’élever seul un bambin dans l’isolement de ces contrées inhospitalières, l’homme décide de se séparer de son fils et s’engage avec lui dans un périple dont les péripéties vont pourtant s’acharner à contrecarrer ses plans…





D’emblée, l’on pense à John Haines, le poète et écrivain américain qui, lui aussi, choisit la solitude dans une nature âpre et sauvage – dans son cas, l’Alaska –, subsistant en quasi autarcie de la pêche, de la chasse et de la trappe au rythme de tâches éprouvantes et physiques, la moindre négligence l’exposant à d’imparables dangers si loin de tout secours. Mais, contrairement à l’auteur du récit Les étoiles, la neige, le feu, le personnage imaginé par Sandrine Collette est un homme rustre, issu de la misère et de la maltraitance, qui, tel un loup quittant la meute, n’a trouvé de salut qu’en fuyant ses congénères, leur méchanceté et la rage qu’elle déclenche en lui.





Sous ces dehors brutaux, cet homme, que l’on pourrait dire revenu à une forme de primitivité presque animale dans sa vie toute entière consacrée à la simple subsistance en milieu naturel, est en vérité étranger, contrairement à bon nombre de ses semblables « civilisés », à toute forme de cruauté gratuite. Lui ne se comporte en loup que pour survivre et se nourrir. Et s’il fait d’abord montre d’une dureté extrême, tout en se résolvant à un choix impossible, en ce qui concerne son fils, c’est dans un réflexe de défense paniquée, leur dépendance mutuelle les mettant gravement en péril l’un comme l’autre. Au final, le contact des hommes s’avérera au moins aussi dangereux, en tous les cas plus cruel, que celui des fauves, ouvrant la question de qui sont vraiment les plus inhumains et les plus bestiaux…





Epousant, sans filtre ni apprêt, l’écoulement désordonné des pensées de ce taiseux sans éducation qu’est Liam, plus prompt à l’action instinctive qu’à l’introspection et à l’expression de ses sentiments, le récit court au rythme saccadé de phrases tantôt hachées et incomplètes, tantôt sinuant en un fleuve à peine ponctué de virgules, dans une langue dont l’aspect cru et fruste n’exclut pas une certaine poésie. Ainsi introduit dans la tête du personnage, au plus près de ses ressentis, le lecteur n’en est que plus happé par une de ces narrations haletantes dont Sandrine Collette a le secret, et qui, dans nombre de ses romans, resserre sa spirale autour de proies et de prédateurs lancés dans une traque éperdue.





C’est avec le plus grand plaisir que l’on suit l’auteur dans cette nouvelle exploration réussie de ses thèmes favoris, « à la frontière entre humanité et animalité », comme elle l’explique elle-même, et, toujours, dans le cadre inquiétant d’une nature aux beautés âpres et écrasantes.


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Juste après la vague

Waouh !! Je ressors de cette lecture totalement époustouflée et de plus en plus admirative du talent de cette auteure !

Ce roman est pour moi un gros, un énorme, un gigantesque coup de coeur !



Sandrine Collette nous plonge dès les premières pages dans une atmosphère de fin du monde. Six jours après l'effondrement d'un volcan dans l'océan. La mer a tout ravagé.

Seul paysage... l'océan à perte de vue.

Et il y a cette famille qui a survécu au grand raz-de-marée: un couple et ses neuf enfants. Juste eux, perdus au milieu de cette immensité.

Dans l'attente et l'espérance d'une décrue possible, la famille se soude et observe.

Mais non, la mer ne l'entend pas ainsi et au contraire, elle ne cesse de monter.

Seul issue possible: partir. Trouver les terres hautes. Sauf qu'avec une barque trop petite, certains devront rester et attendre qu'on revienne les chercher.

Commence alors l'incroyable histoire d'une famille déchirée. D'un côté, les trois enfants restés sur l'île et de l'autre, le périple de la famille partie en pleine mer.



J'ai adoré lire cette histoire ! Comme d'habitude, Sandrine Collette trouve les mots justes pour planter son décor. Elle nous y entraîne avec une force prodigieuse. Cette atmosphère apocalyptique, avec la mer comme une entité vivante, effrayante, implacable, nous fait frissonner.

On va de surprise en surprise. Malgré un climat oppressant, comme si le monde s'était arrêté, Sandrine Collette à une imagination débordante. On ne s'ennuie pas une seconde.

Je me suis attachée à ces trois gamins abandonnés sur l'île. On vit avec eux leur détresse et cette question qui les obsède: pourquoi eux ?

Douze jours à attendre le retour du père. L'auteure montre parfaitement que la notion du temps n'est pas la même quand on est enfant. Un temps qui leur paraît interminable !

Tout au long de l'histoire on se demande si à leur place on auraient préféré rester sur l'île ou être sur la barque. Car c'est aussi périlleux d'un côté comme de l'autre.

La survie est la préoccupation de chacun.



J'ai vraiment aimé la relation entre les différents membres de la famille.

L'attachement et le lien de Maddie pour ses enfants est extrêmement bien décrit. L'auteure trouve encore une fois des mots puissants pour retranscrire cet amour maternel, un amour inconditionnel.

Elle montre aussi comment l'instinct de chacun se révèle être bon ou mauvais lorsqu'il s'agit de sauver sa peau.

La fin est un peu prévisible mais elle n'enlève en aucun cas l'immense plaisir que m'a apportée cette lecture.



Ce roman mérite une vraie vague de succès ! Avec les Six fourmis blanches, je le classe au top des romans de l'auteure.

Amis lecteurs, jetez-vous à l'eau sans plus attendre !



Un énorme merci à Babelio pour ce superbe roman et merci de m'offrir également l'opportunité de vivre une rencontre avec cette auteure que j'affectionne énormément.
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On était des loups

J'attendais avec impatience ce dernier livre de Sandrine Collette. J'ai lu tous ces autres livres et je les ai tous aimés. Je crois que celui-ci est mon préféré. Comme à son habitude la nature est au premier plan et surtout la proximité de l'homme avec la nature . C'est l'histoire d'un père désabusé et dans sa relation avec son fils .On ne se parle pas ,il n'y a rien à dire ,il suffit de se regarder. C'est comme un animal sauvage dont la progéniture serait née infirme .Tout une palette d'émotions (colère,peur haine ) magnifiée par un style unique . Chaque phrase est taillée au scalpel .Quel empathie,quel humanisme,quelle poésie.

Roman inoubliable, d'une clarté magnifique comme le paysage en couverture.

Gros coup de cœur 💙
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On était des loups

Un rendez-vous manqué avec le dernier livre de Sandrine Collette, On était des loups.



Le narrateur, jamais nommé, est un homme sauvage, reclus de la société. Il vit dans la brousse avec sa femme Ava et son fils de cinq ans Aru. Il vit de la chasse et voue une haine sans précédent aux hommes et à la société. Son langage est cru, simplet tel un ours des cavernes. Lorsqu'un beau jour, il retrouve sa femme morte après l'attaque d'un ours, il ne lui reste plus que ce second choix : son môme, Aru. Second choix oui car sans hésiter, l'homme sauvage aurait préféré que l'ours s'en prenne à son fils et garder sa femme. Décidé à se débarrasser de ce môme encombrant qui entrave sa liberté sauvage, il se met en route pour le refiler au premier venu.



Ce roman aux allures de nature-writing est anxiogène au possible. Aucun chapitre et très peu de ponctuation, j'ai eu l'impression de lire une seule ligne qui dure des pages et des pages. L'histoire est monotone et le langage du narrateur gonflé de ressentiments, de puérilité bestiale. Je me suis ennuyée tout le long du livre où il ne se passe rien. On est juste plongé dans un long monologue introspectif sans souffle, sans nuance d'un homme à qui on n'aura jamais appris l'art d'aimer.



Certains y verront certainement une prouesse, un livre remarquable, sensible à ce style peu commun.



#Onétaitdesloups #NetGalleyFrance
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Ces orages-là

Sandrine Collette revisite et parfait son style habituel pour un roman hautement psychologique et introspectif.



Ces orages-là dresse le portrait d’une jeune fille, Clémence qui essaye de se reconstruire à la suite d’une relation toxique. Thomas, prédateur hors pair est surtout un grand pervers manipulateur. Son truc à lui, ordonner à Clémence de courir en culotte blanche dans la forêt. Si Thomas la retrouve, elle est morte. Diabolique n’est ce pas.



Clémence est meurtrie, perdue, plus proche de la mort que de la vie. Elle souffre. Le martyr, la peur au ventre.



Pas d’intrigue donc ici. Pas de suspens comme en connaît l’auteure. Mais un roman qui dissèque plutôt très bien l’âme humaine après une relation destructive. Le personnage de Gabriel apporte cette touche lumineuse qu’on appelle la résilience et qui permet à l’histoire de ne pas sombrer trop loin dans les abysses ténébreuses.



C’est bien écrit. C’est évocateur. C’est révélateur. Il m’en aurait fallu peut-être plus pour me surprendre ou me voir m’attacher à Clémence. Il y a dix ans, j’aurai certainement eu envie de la serrer dans mes bras. Jeune, l’emprise est quelque chose de redoutable mais qui avec le temps et l’expérience me semble moins probable. D’où mon incapacité actuelle à la cerner pleinement et à me sentir à l’aise dans ce roman.
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Des noeuds d'acier

A force de voir passer des avis enthousiastes concernant "Et toujours les forêts" de Sandrine Collette, je me suis naturellement intéressé à sa bibliographie pour me rendre compte que son tout premier roman avait reçu le Grand Prix de la Littérature Policière 2013.

Dans ces conditions autant commencer par le commencement, un écrivain se bonifie avec le temps et la pratique non ? Et si le coup d'essai est un coup de maître, que demander de plus ?

Le résumé en dit juste ce qu'il faut, il s'agit d'un thriller, une séquestration et on ne va pas rigoler...

Il ne m'a pas fallu longtemps pour être conquis par le style narratif de l'auteure qui est simplement envoûtant, c'est fluide et efficace, on ne se perd pas en détails superflus, chaque paragraphe, chaque phrase nous aspire dans une "fuite en avant" d'une effroyable logique.

Ce que j'ai avant tout apprécié c'est que l'auteure n'en fait pas des tonnes, c'est sordide, certes, mais sans outrance aucune, ce n'est pas nécessaire pour nous tenir en haleine, c'est brillant.

Une histoire en mode "immersion" en compagnie de Théo, un gars pas spécialement sympa ni charismatique mais dont les états d'âmes au gré de sa captivité vont se révéler passionnants jusqu'au bout avec une dernière partie littéralement étouffante.

Un thriller que l'on peut qualifier de "psychologique" sans hésiter, un suspense habile que l'absence d'outrance nous rend très crédible, j'ai dévoré ce livre et je reprends rendez-vous sans hésiter avec Sandrine Collette.
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Il reste la poussière

Je viens de refermer Il reste la poussière de Sandrine Collette.

Une centaine d'avis... alors une dizaine de lignes suffiront ici pour exprimer mon ressenti.



Alors oui, sur la quatrième de couverture, il est dit que nous sommes en Patagonie, Argentine.

Un prologue superbe d'une violence exacerbée. J'adore les prologues... et là pour le coup ,j'ai été servie.



Je me suis crue sur les hauts plateaux afghans assistant à une partie de bouzkachi, jeu guerrier millénaire, mais cette fois les cavaliers ne galopent pas après une chèvre décapitée ou un veau éviscéré mais un marmot qui tient à peine sur ses jambes et qui est, lui, bien vivant, Rafael.

C'est violent mais c'est une bonne mise en bouche pour avertir le lecteur qu'ici dans les steppes patagoniennes on ne rigole pas tous les jours!

Ici, dans l'estancia de la famille, la devise semble être trime ou crève sous le regard acéré d'une mère tyrannique!

Ici, « le bonheur est contre-nature ».

Pas de place ni le temps pour les sentiments, l'affection, mais quelques heures mensuelles pour se prendre une bonne biture à San Leon et cela pour les plus grands, les plus besogneux.

Autres temps, autres lieux, autres moeurs...

Ce roman de part son atmosphère et son ambiance a convoqué à ma mémoire le souvenir d'une autre lecture, Le sillage de l'oubli de Bruce Machart.



Bref, j'ai aadoooré.

Une écriture tendue à la hauteur des enjeux qui se jouent dans cette famille sert le récit.

Si j'avais été scotchée par Des noeuds d'acier, bluffée par Un vent de cendres, j'ai été atomisée par Il reste de la poussière!

Par contre, je n'ai plus qu'une hâte, arracher Les six fourmis blanches de la bibliothèque de ma fille, elles m'attendent depuis un petit moment déjà.

Mais peut-être que je ferais mieux de lire Les cavaliers de Joseph Kessel...

Dire au revoir aux gauchos et partir retrouver les tchopendoz, les joueurs de bouzkachi!

Au final, je vais garder ma cravache, elle pourrait bien me servir encore.
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Et toujours les forêts

Pour découvrir cette auteure, Sandrine Collette, dont je vois souvent passer les livres sur Babelio, avec le plus souvent des avis très positifs (je pense notamment à la critique de Sandrine pour « Juste après la vague » ou encore celle de Céline pour « Six fourmis blanches »), j'ai choisi ce roman « Et toujours les forêts », tout simplement car il s'agit d'un récit post-apocalyptique. Et j'aime profondément ce genre littéraire.



Chaque livre dit post-apocalyptique comporte sa singularité, son ambiance, sa touche personnelle. Certains s'engagent dans la voie de l'exploration spatiale (pour les plus récents, entre autres, Cantique pour les étoiles de Simon Jimenez, le roman de Jeanne de Lidia Yuknavitch ; mais nous pourrions même citer les grands romans de la SF plus classiques, tel que Fondations d'Asimov, dans lesquels la Terre n'est plus et son peuplement plus qu'un lointain souvenir), tandis que d'autres livres, plus réalistes peut-être, nous montrent à voir la vie sur Terre après la catastrophe que cette dernière soit nucléaire, écologique, épidémique. « Et toujours les forêts » se situe dans cette deuxième mouvance et n'est pas sans rappeler fortement Malevil de Robert Merle, le mur invisible de Marlène Haushofer, la Constellation du chien de Peter Heller, Dans la forêt de Jean Hegland, et la Route de Cormac McCarthy. Comme dans Malevil, la catastrophe est un feu (nucléaire sans doute mais rien n'est indiqué) qui a tout dévasté, seules les personnes se trouvant par chance sous terre, dans les caves, dans les sous-terrains à ce moment-là, ont pu survivre. Comme dans le mur invisible la solitude est terrible et les conditions de survie revenues à l'âge médiéval. Nous retrouvons la présence salvatrice d'un chien qui m'avait émue aux larmes dans La constellation du chien. La forêt comme refuge, berceau et possibilité d'enracinement comme dans le beau Dans la forêt. Et enfin, même si c'est le seul que je n'ai pas lu, le roman est sombre, d'une noirceur extrême, et les êtres humains aussi sauvages que des bêtes, comme apparemment dans La route.



Entrelacement de plusieurs références, et non des moindres, Sandrine Colette n'a pas à rougir de s'être essayée à ce genre, son livre est un grand livre, un véritable coup de coeur pour ma part. Et qui a sa touche personnelle, qui apporte sa pierre au foisonnant édifice de ce genre littéraire. D'un réalisme à couper le souffle. D'une beauté noire poignante. D'un pessimisme absolu heureusement teinté d'un espoir grandissant. Et quelle plume, âpre, fluide, touchante ! J'ai fini le livre bouleversée même si le noir, le gris au mieux, les couleurs du livre, ont quelque peu déteint sur mon humeur tant j'étais dans l'histoire.



« Les vieilles l'avaient dit, elles qui voyaient tout : une vie qui commençait comme ça, ça ne pouvait rien donner de bon. Les vieilles ignoraient alors à quel point elles avaient raison, et ce que cette petite existence qui s'était mise à pousser là où on n'en voulait pas connaîtrait de malheur et de désastre ».



Dès le début le roman nous happe tant l'enfance de Corentin est glaçante, terrible, comme placée sous le sceau de la malédiction. Survient la Catastrophe lorsque, jeune homme, il fait la fête dans les catacombes parisiennes. Un brasier qui a tout dévasté, rendu le monde totalement stérile, sans plus aucune couleur, sans plante, sans animaux, sans soleil, sans bruit. Corentin a survécu. Leurs fêtes alcoolisées souterraine l'éloignant du monde l'avaient sauvé, ce monde qu'il ne voulait pas n'imaginant pas un instant que ce serait lui, le monde, qui ne voudrait plus des hommes.



Il y avait bien eu des alertes, des signes avant-coureurs que personnes ne prenaient vraiment aux sérieux, surtout en ville, peut-être faisait-il juste plus chaud chaque année, les saisons étaient déréglées, les températures montaient, les insectes écrasés sur les pare-brise étaient devenus que des souvenirs.



« Mais ça ne se voyait pas que la nature crevait, dans la ville. Ça ne faisait rien au macadam, rien aux réverbères. Ça ne changeait pas le chant des étudiants, ça ne changeait pas le bruit des klaxons. Ça n'atténuait pas les rires ni les cris, le grincement des portes qui s'ouvraient et celles qui se fermaient, pas le ronronnement du métro, pas les sonneries des portables. Ça ne modifiait pas la couleur du ciel – parce que personne ne le regardait. Il y avait trop de lumière devant. Des lueurs artificielles. Qu'on éteigne, suppliait parfois Corentin en silence. le monde comme une ampoule. le monde comme une fête, et il était bientôt minuit ».



L'histoire est ensuite celle de l'errance de Corentin après l'Apocalypse, de la vision de quelques survivants entrecroisés, devenus des êtres sauvages, de celle bien plus fréquente des morts, grillés sur place que l'on ne regarde plus tant cela devient habituel, de l'odeur pestilentielle omniprésente, de son retour aux Forêts, là où habite le seul être qui l'ait vraiment aimé, son arrière-grand-mère de près de 100 ans, des essais pour survivre, des années qui passent, des minces espoirs quand la nature essaie de percer de nouveau, des immenses espoirs placés en sa progéniture. Oui ses enfants aux noms d'étoiles. Je n'en dis pas plus, c'est somptueux…et tout au long de ce roman le gris, uniquement le gris, avec seulement parfois une couleur vive, le rouge, celle du sang.



« La seule couleur était celle du sang. Corentin s'en aperçut en s'écorchant la main à un morceau de bois, un soir qu'il faisait du feu. Cela roula sur sa paume. Cela coula sur ses doigts. Dans son esprit chaviré, cela prit des teintes d'automne flamboyantes, des lueurs de rubis, des incandescences d'un vermillon inouï. Cela refléta le soleil disparu. Il fut émerveillé ».



Certaines scènes me resteront longtemps en tête. Prenez celle, hallucinante, de ce rebut de voiture qui fonctionne encore, pneus et tableaux de bord fondus, la voilà à rouler doucement sur l'autoroute devenue bouillie de goudron, à rouler sur ses jantes…je ne sais pas pourquoi m'est venue alors une image, celle du tricycle rouge sur l'autoroute dans Bruit de fond, cette oeuvre de Don de Lillo qui montre du doigt l'absurdité de notre société de consommation et des enfants rois…l'avant et l'après, en signes ténus. Sortes de clins d'oeil. Lorsque les livres se parlent, s'interpellent, et nous lecteurs de frissonner…



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Animal

La peur de l'enfermement (Des noeuds d'acier ), la peur de la vague (Juste après la vague ), la peur de la montagne ( Six fourmis blanches ), des thèmes de Sandrine Collette.

Et puis la peur du souvenir...



Elle déclare dans une interview, chez EmOtions:

-J'ai écrit "Animal", en pensant au film "The revenant", avec Léonardo aux prises avec un ours monstrueux... "Des thèmes récurrents chez moi : les grands espaces, la survie et ... La quête !"



Mara a sauvé une fillette et un garçon, "Nin et "Nun" attachés à un arbre dans la forêt. Et on a peur pour ces 2 enfants...



Quand la petite fille "Nin" a grandi et s'engage dans une course démente au fin fond du Kamchatka, on frissonne pour le sort de l'ours gigantesque poursuivi par le groupe de 7... insensés



"Alors, à l'aube exactement, à l'instant où le ciel se grise, l'ours attaque..."

Seuls 3 chasseurs en sortiront sains et saufs... Mais, qui est vraiment "Nin" et où est "Nun"?



Une chasse sauvage, mais le plus sauvage de ces animaux est... Car Nin a très peur du tigre, depuis son enfance...
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Et toujours les forêts

Sandrine Collette trace le parcours de Corentin, du ventre de sa mère où il tremble déjà de froid, ballotté de maison en maison, ce sera auprès de la vieille Augustine en pleine forêt qu’il trouvera enfin un peu de répit. A cette lisière sombre où sa mère Marie lui a dit « File, merde ». Les derniers mots de sa mère. Les rêves, Corentin très vite n’y croit plus, les rêves ce n’est que des mensonges.



Jeune adulte, il part faire ses études en ville, rencontre des jeunes de son âge, fait la fête, arrose ses nuits de whisky, rit d’ivresse jusqu’à l’aube. Tapis au fond d’un tunnel, les amis assistent à un terrible tremblement de terre, à la descente d’un soleil fou qui calcinera tout sur son passage. Les quelques rares rescapés sont ceux qui étaient cachés au sous sol, ils se comptent sur les doigts de la main. Le monde a été détruit, l’humanité n’est plus. Ne reste plus que la poussière, les cendres, les larmes pour pleurer.



Corentin partira sur La route rejoindre son Augustine en espérant qu’elle ait survécu. Ce roman en rappelle bien d’autres qui aborde ce thème apocalyptique d’un personnage central qui marche seul dans un monde dissolu. Peu de rencontres ici, celle qui percute le plus est peut-être celle avec l’Aveugle, ce chiot survivant d’une fratrie en agonie. Un jeune chien qui apaisera et accompagnera notre Corentin dans son périple.



J’ai beaucoup aimé ce roman pour sa force évocatrice. La désolation est rendue vivante à travers le caractère onirique de la plume de l’auteure. Un monde apocalyptique « comme si Hercule, au terme de ses travaux, avait succombé à un rhume. Comme si Dieu avait créé le monde puis avait fait un infarctus. »



C’est puissant, imagé à souhait, d’une précision littéraire impressionnante. J’aurai néanmoins aimé que l’auteure fouille davantage dans les décombres, fasse bouillir la rage des protagonistes, la peur, la désespérance. Ça reste à mon sens assez soft et aurait mérité une explosion intérieure comme Sandrine Collette maîtrise si bien. Néanmoins, ça reste un roman choc, vibrant et intense. Mais n’y aurait-il pas saturation dans ce thème si souvent revisité en littérature... Je me questionne...

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Les larmes noires sur la terre

Chapeau bas madame Sandrine Collette !



Que dire de plus...

J'en perds mes mots, vraiment !

Cette histoire, c'est juste pas possible de lui trouver un qualificatif pour exprimer combien elle m'a touchée au coeur, combien elle m'a prise aux tripes...



Happée dès les premières pages.

Mon attention n'a pas flanchée un seul instant, tout le long de ma lecture.

J'avais hâte de connaitre l'histoire de Moe, de son petit garçon et de toutes ces femmes que l'on découvre au fil des pages de ce roman.

J'ai dû toutefois entreprendre quelques pauses tant la peur m'a tenaillée par moment...



"Allez ! J'tourne la page ! ... Oh nonnnnn... J'peux pas... Trop peur de la suite ! ... Mais si ! Courage ! Sandrine Collette, elle peut pas être aussi méchante !!! ... Mais, mais, ... et si... Ahhhh !!! Trop dur ! J'veux pas savoir ! ... Enfin... Si ! Mais non.... Trop difficile..."

Un petit exemple de ce que j'ai enduré...



Si peur pour elles, si peur pour lui...

Peur pour leur destin.

L'attachement aux personnages est si fort...

Il est intense, gigantesque, immesurable...

On tremble pour eux, vraiment !

Ils vivent pas si loin de nous !



Qui sait si ce n'est pas ce que nous réserve le futur ?

Un futur très proche.

Ici, Sandrine Collette, par le biais des différents portraits des protagonistes de cette histoire, aborde différentes situations , des faits de sociétés, des catastrophes passées et événements marquants qui ont faits notre actualité et chamboulés notre planète.

Là ! hier... aujourd'hui !

Elle nous projette dans quelques années...

Un monde qui est loin de s'être arrangé.



Difficile pour mon ventre de trouver un peu de répit...

Le noeud qui s'y trouvait, a été présent, toujours bien serré, d'un bout à l'autre...



Sandrine Collette m'a bouleversée !

Par son écriture, son style, unique !

Exceptionnel !



En un rien de temps, elle nous plonge dans l'univers, qu'elle a crée.

Elle nous embarque, littéralement !

Impossible de décrocher.

L'art de nous planter le décor ! D'y être ! En seulement quelques lignes...

D'y vivre... D'y survivre, plutôt !

De longues phrases, comme pour nous empêcher de respirer, tant l'atmosphère est austère, hostile, oppressant...

Une longue peine... sans limite, à perpétuité...

Le temps qui passe, interminable, qui nous broie les entrailles, par sa noirceur...



Je n'ai pas pu retenir mes larmes, face à la destinée de ces femmes et de ce petit bout.

Ce rayon de soleil, seule lumière de cette terre si sombre.



Une lecture qui n'a pas fini de me tourmenter !

Merci pour tout ça, madame Sandrine Collette...









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Juste après la vague

A partir d'une situation classique type post apocalyptique - une vague géante à submerger une partie de la Terre, des survivants dans un monde devenu hostile - Sandrine Collette choisit de partir sur autre chose : pas de développement prophétique, moralisateur ou politique, pas de dénonciation de l'impact dévastateur de l'homme sur la planète ( jamais on ne saura la cause initiale de ce tsunami ), non juste une famille au coeur du chaos, 11 personnes face à leur instinct de survie, face à leurs ressources mentales, redevenues des bêtes comme les autres dans une nature pour laquelle ils ne sont plus adaptés.



C'est très habile d'avoir imaginé dans ce décor une famille aussi nombreuse ( les deux parents + neuf enfants ), une infinité de possibles avec cette minuscule société qui va être confrontée à un terrible choix : une embarcation qui ne peut contenir que 8 personnes, 3 enfants à laisser, de ces choix impossibles qui déchirent à jamais. L'intrigue bascule ainsi très vite dans le thriller psychologique lorsque le groupe se sépare entre ceux qui abandonnent et ceux qui sont abandonnés.



L'écriture de Sandrine Collette est d'une grande précision au service d'une puissance d'évocation remarquable, décrivant parfaitement le déchaînement des éléments de cette mer, ses vagues, cette eau qui rend la vie si précaire. Même si c'est parfois répétitif, le lecteur est plongé dans un état de stress et d'angoisse très fort, sentant que tout peut arriver et que les échappatoires vont être limités.



Le talent de l'auteure réside également dans la justesse psychologique des personnages. Des enfants en premier lieu, surtout les trois abandonnés, restant malgré tout des enfants même dans cette situation terrifiante, vivant dans l'immédiateté du moment sans représentation précise de la mort, alors que les parents vivent dans la conscience de cet abandon auquel ils ont été contraints. Justement, le personnage de la mère est magnifique, on ressent toute la souffrance qui l'assaille dans sa chair, son amour inconditionnel pour ses enfants au-delà du tourment de la culpabilité. A chaque instant, je me suis demandée ce que j'aurais fait à sa place, ce que j'aurais ressenti dans cette quasi tragédie antique.



Un thriller psychologique très réussi, intelligemment mené.
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