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Citation de Partemps


À bord, on nous reçoit bien, quand même, et les officiers s’intéressent à toutes les choses que je rapporte.

Mais je ne tiens pas en place et, dès midi, je retourne à terre auprès de mes amis sauvages.

Il vente toujours, et le vent d’ailleurs doit être familier à cette île de Pâques, située dans la région où l’alizé austral souffle le plus fort. Pourtant il ne reste plus au ciel que des lambeaux tourmentés du sombre vélum de ce matin, et le soleil paraît, dans du bleu profond, un brûlant soleil, car nous sommes ici tout près du tropique.

Quand j’arrive à la grève, je m’aperçois que, dans l’île, c’est l’heure de dormir, l’heure de la sieste méridienne, et mes cinq amis, qui sont là par politesse à m’attendre, assis sur des pierres, ont des yeux très somnolents.

Je dormirais bien quelques minutes, moi aussi ; mais où trouver un peu d’ombre pour ma tête, dans ce pays qui n’a pas un arbre pas un buisson vert ?

Après hésitation, je vais demander au vieux chef l’hospitalité d’un moment, et, marchant à quatre pattes, je m’insinue en son logis.

Il y fait très chaud et il y a encombrement de corps étendus. C’est que, sous cette carapace, qui a tout juste la contenance d’un canot renversé, le chef habite avec sa famille : une femme, deux fils, une fille, un gendre, un petit-fils ; plus, des lapins et des poules ; plus, enfin, sept vilains chats, à mine allongée et hauts sur pattes, qui ont plusieurs petits.

On m’installe cependant sur un tapis de joncs tressés et, par déférence, les gens sortent un à un sans bruit pour aller se coucher ailleurs ; je reste sous la garde d’Atamou, qui m’évente avec un chasse-mouches en plumes noires, et je m’endors.

Une demi-heure après, quand je reprends conscience de vivre, je suis complètement seul, au milieu d’un silence où se perçoit le bruit lointain de la mer sur les récifs de corail ; et, de temps à autre, une courte rafale d’alizé agite les roseaux de la toiture. À ce réveil, dans ce pauvre gîte de sauvages, me vient d’abord la notion d’un dépaysement extrême. Je me sens loin, loin comme jamais, et perdu. Et je suis pris aussi de cette angoisse spéciale qui est l’oppression des îles et qu’aucun lieu du monde ne saurait donner aussi intensément que celui-ci ; l’immensité des mers australes autour de moi m’inquiète soudain, d’une façon presque physique.

Par le trou qui sert de porte, un rayon de soleil pénètre, éclatant, vu du recoin obscur où je suis couché ; sur le sol de la case, il dessine l’ombre d’une idole qui en surveille l’entrée — et les ombres saugrenues de deux chats à trop longues oreilles, qui rêvent, assis là sur leur derrière, regardant au dehors… Même cette traînée de lumière et son éclat morne me semblent avoir quelque chose d’étranger, d’extra-lointain, d’infiniment antérieur. Dans cet ensoleillement, dans ce silence, au souffle de ce vent tropical, une tristesse indicible vient m’étreindre au réveil : tristesse des premiers âges humains peut-être, qui serait confusément demeurée dans la terre où je m’appuie, et que surchaufferait à cette heure le toujours même soleil éternel…

Bien entendu, cela passe vite, s’efface comme un caprice d’enfant, dès le plein retour de la vie. Et, sans bouger encore, je m’amuse à examiner les détails de la demeure, tandis que des souris, malgré ces deux chats en sentinelle, font le va-et-vient tranquillement à mes côtés.

La toiture en roseaux qui m’abrite est soutenue par des nervures de palmes ; — mais où donc les ont-ils prises, puisque leur île est sans arbres et ne connaît guère d’autre végétation que celle des herbages ?… Dans, ce réduit, qui n’a pas un mètre et demi de haut sur quatre mètres de long, mille choses sont soigneusement accrochées : des petites idoles de bois noir, qu’emmaillottent des sparteries grossières ; des lances à pointe de silex éclaté, des pagaies à figure humaine, des coiffures en plumes, des ornements de danse ou de combat, et beaucoup d’ustensiles d’aspect inquiétant, d’usage à moi inconnu, qui semblent tous d’une extrême vieillesse. Nos ancêtres des premiers âges, lorsqu’ils se risquèrent à sortir des cavernes, durent construire des huttes de ce genre, ornées d’objets pareils ; on se sent ici au milieu d’une humanité infiniment primitive et, dirait-on, plus jeune que la nôtre de vingt ou trente mille ans.

Mais, quand on y songe, tout ce bois si desséché de leurs massues et de leurs dieux, à quelle époque peut-il remonter et d’où leur est-il venu ?… Et leurs chats, leurs lapins ?… Je veux bien que les missionnaires les leur aient amenés jadis. Mais les souris qui se promènent partout dans les cases, personne, je suppose, ne les a apportées, celles-là !… Alors, d’où arrivent-elles ?… Les moindres choses, dans cette île isolée, soulèvent des interrogations sans réponse ; on s’étonne qu’il puisse y avoir ici une faune et une flore.
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