Le pétulant banquier, la porte refermée, se rapprocha des visiteurs et baissant la voix :
– La Mafia, reprit-il, ce n’est pas une association, c’est un peuple, c’est la Sicile tout entière et rien que la Sicile. Tous en ce pays nous sommes, non affiliés, mais complices de la Mafia.
– Comment tous ? s’exclama le propriétaire. Pas vous, j’imagine ?
Eserrato appuya sa main sur le bras de l’actionnaire et avec une nuance de crainte :
– Ne parlez pas ainsi… je suis Mafioso et je m’en flatte.
La nourrice hindoue donne son lait à son nourrisson, mais une autre servante lave, habille et couche le bébé. En outre, un domestique mâle porte l’enfant quand on le sort. Total : trois serviteurs pour un petit être de trois mois, et le nombre de ces dévoués travailleurs qui font si peu de chose, augmente proportionnellement avec l’âge du maître. Si bien qu’à cinquante ans… il faut un bataillon pour servir un homme.
En Chine, les pronoms personnels n’existent pas.
Cette absence si remarquable dans les anciennes langues
grecque et latine, ne présentait chez les peuples de l’Hellade et du Latium aucun inconvénient, ils avaient obvié à cela par la modification
de la terminaison des différentes personnes du verbe,
tout comme ils se passaient d’articles au moyen de la déclinaison
des substantifs.
Les Chinois ont eu recours à une combinaison autrement compliquée.
Ils ont le mot : soi-même.
Et voici comment ils l’accommodent pour lui faire signifier :
Je, tu, il, nous, vous, ils :
soi-même = Je
2e soi-même = Tu
3e soi-même = Il
grand soi-même = Nous
2e grand soi-même = Vous
3e grand soi-même = Ils
– Eh bien, bougonna Cigale en montrant le poing à son livre : second soi-même, tu me rases.
Le lendemain, dès le matin, la boutique fut remplie de consommateurs. C’était un dimanche et chacun sait que, ce jour là, on boit pour tout le reste de la semaine. Les carafons se vidaient, les verres s’entrechoquaient. Un relent d’alcool flottait dans l’air.
Moi, Max Trelam, correspondant du Times, le puissant journal anglais, je tiens à déclarer qu’en écrivant ce récit, j’ai l’intention d’élever un monument à la gloire d’un homme dont la profession n’a point l’heur de plaire au plus grand nombre.
Cet homme est un espion.
Oui, un Espion… mais un espion étrange, inexplicable, peut-être unique.
D’abord, il n’a jamais été brûlé, selon l’expression usitée, alors que ses collègues professionnels ont tous succombé à un moment donné.
Ensuite, il a une audace, une clairvoyance incroyables. Sa puissance de raisonnement est telle que, secondée par un sens de l’observation que je n’ai rencontré au même degré chez personne, il arrive mathématiquement à prévoir ce qu’une circonstance donnée déterminera comme action chez un personnage d’un caractère connu.
Mais surtout, l’étrangeté de cet espion est sa loyauté. Ses actes, il les signe, avertissant ses adversaires qu’il est sur leur piste.
— Je croyais, señor, que le mètre et le système métrique avaient été inventé en 1789, sous la Révolution française.
Il avait profité de ses études, l'aimable bambin. Massiliague le toisa et d'un air de pitié :
— À Paris, oui, mon agnelet, à Paris où l'on retarde toujours, mais à Marseille, il a toujours existé, ton système métrique. Le Marseillais, maître du monde, a donné son nom, mètre, à l'unité de mesure, et il a ajouté, pour désigner le système : trique, afin de rappeler que, quand il s'est levé, le grand Napoléon a battu, triqué, toute l'Europe...
À cette audacieuse affirmation, tous ouvrirent de grands yeux. Scipion ne sourcilla pas et, d'un air détaché, laissa tomber ces mots :
— C'est même pour proclamer la gloire de Marseille, pitchoun, que le chant national français, il s'appelle la Marseillaise.
La pensée domine le monde, se rit des calculs étriqués des souverains, des classes privilégiées. Elle triomphe parce qu'elle émane de l'âme de l'humanité.
— Topez là. C'est vous qui êtes mon patron maintenant. Et comment vous nommez-vous ?
Un sourire indéfinissable passa sur les lèvres du jeune homme.
— Je n'ai pas de nom, dit-il enfin. Tu m'appelleras « Docteur », cela suffira.
Un instant, le Parisien demeura muet, puis faisant claquer ses doigts avec ce geste inimitable que les écoliers du monde entier ont emprunté au gamin de Paris :
— Chic, papa, s'écria-t-il... Une fillette sortie de l'eau, un médecin sans nom, c'est comme un feuilleton... Seulement, moi, ça me gênerait trop... Je peux vous donner un sobriquet, hein ?
— Si cela te plaît !
— Décidément vous êtes un brave homme... Désormais Cigale est l'ami du docteur...
Le gamin s'arrêta une seconde... mais presque aussitôt :
— Je suis bête comme un canard chinois... le surnom est tout indiqué.
Et avec une gravité comique :
— Ne vous troublez pas, je vous baptise... le mystère vous convient... Eh bien soyez le Docteur... Mystère.
Il est temps de le dire, je suis correspondant du Times, le puissant journal anglais, et mes tribulations ont commencé le jour où j’écrivis les lignes suivantes :
« Moi, Max Trelam, correspondant du Times, je veux élever un monument à la gloire d’un homme, dont la profession n’a pas l’heur de plaire au plus grand nombre.
« Cet homme est un Espion.
- Mais vous ne comprenez donc pas que vous êtes dans ma main; que, si vous me poussez à bout, demain je ferai vendre vos meubles, et vous serez sans abri, sans asile ?
- Vous pouvez même ajouter: sans argent...