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Citation de Cannetille


À l’intérieur du POC, le seul signe d’une quelconque vie était le marché. La rue principale, qui séparait les ethnies shilluk et nuer, était le lieu d’échange. Parfait exemple de l’humour humanitaire, nous avions surnommé cette rue les Champs-Élysées. Seules les femmes pouvaient sortir du camp pour aller faire un peu de commerce en ville, car elles ne seraient pas accusées de rébellion. Les soldats postés en dehors se réservaient également le droit de les violer quand elles empruntaient le chemin d’un kilomètre à travers la brousse, entre le camp et la ville. Tout ce qui se trouvait sur le marché était ce que ces femmes avaient pu rapporter. Sur une photo, on en voyait une, triste et cadavérique, derrière son étal pitoyable de paquets de cigarettes locales, de gâteaux secs et rassis importés du Soudan, ainsi que quelques oignons qu’elle avait réussi à faire pousser. Habillée d’un drap bleu noué sur une épaule, elle contemplait les passants tout en essayant de surveiller son étal d’un œil vigilant. C’était son seul gagne-pain, ou son « moyen d’existence », comme disaient les humanitaires. La tristesse de ce terme ne m’affectait pas autant à l’époque. C’était le jargon. On encourageait des gens partout dans le monde à développer leurs « moyens d’existence ». Pour cette femme sur la photo, avec son maigre étal, je ne donnais pas cher de son existence. L’autre particularité frappante de cette photo était la couleur. La terre argileuse de cette région du monde, nommée Black Cotton Soil, ou sol de coton noir, était d’un gris anthracite qui accentuait l’atmosphère glauque. En saison des pluies, ce sol devenait un bain de boue qui rendait toute circulation, même à pied, extrêmement difficile. En arrière-plan, des tentes blanches, mais couvertes de cette boue grise à cause des précipitations. Entre la femme drapée de bleu, les abris et les passants, on avait affaire à une multitude de couleurs, mais contaminées par la terre. Dans ce camp, ces nuances de tons n’étaient qu’une illusion parmi d’autres. La faible saturation de la photo réduisait les couleurs au silence, tout comme les personnes qui les arboraient.
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