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Citation de MegGomar


Sa mère lui conseillait la prudence, opter pour un cursus
d’enseignante en province. Elle avait abouti à cette conclusion après de
longues réflexions. En ces temps incertains, les plus âgés se voyaient
éjectés de leur boulot et les plus jeunes peinaient à en trouver. Le poste
de leur père lui-même, que l’on croyait sanctuarisé, était sujet au doute, il
y avait en outre encore une sœur et un frère à charge tandis que l’avenir
économique du pays continuait de s’obscurcir. Pour Kim Eunyeong,
pour le reste de la famille, sa mère avait donc souhaité que l’aînée des
enfants suive un cursus lui offrant toutes les chances de déboucher sur
une situation assurée. De plus, les droits d’inscription en fac pour
devenir enseignante étaient moins élevés que pour d’autres études. Au
fond, le seul point épineux concernait la société elle-même : les métiers
de la fonction publique ou de l’enseignement étaient devenus très
recherchés et le niveau requis pour y accéder avait grimpé. Les notes de
Kim Eunyeong lui ouvraient sans problème les universités de Séoul, mais
semblaient un peu justes pour un cursus d’enseignement.
Kim Eunyeong caressait depuis des années le rêve de devenir
productrice dans les médias et avait, fort logiquement, choisi des études
de journalisme. Elle avait dressé la liste des facultés accessibles avec ses
résultats et elle bûchait dur. Quand sa mère lui délivra son conseil – se
diriger vers l’enseignement –, Kim Eunyeong n’hésita pas une seconde à
répondre qu’elle ne comptait pas le suivre.
— Je n’ai pas envie de devenir institutrice. Je veux faire autre chose.
Et puis, pourquoi devrais-je quitter la maison et partir en province ?
— Il faut voir sur le long terme. Tu sais, il n’y a pas de meilleur métier
pour une femme qu’institutrice.
— Qu’est-ce qu’il y a de si mirifique dans le métier d’institutrice ?
— Tu termines tôt la journée, tu as toutes les vacances scolaires, tu
peux arrêter un temps et reprendre. C’est idéal pour élever des enfants.
— C’est certainement un bon métier pour élever les enfants. Dans ce
cas, c’est un bon métier pour tout le monde, pas seulement pour les
femmes. Les enfants, est-ce que les femmes les font toutes seules ?
Maman, tu diras la même chose au benjamin, tu voudras aussi qu’il
choisisse l’enseignement ?
Les deux sœurs n’avaient jamais entendu des sermons du genre : Il
faut bien choisir son partenaire dans un mariage, ou : C’est important de savoir
bien cuisiner, et ainsi de suite. Pour aider des parents surmenés, elles
avaient appris à être indépendantes. Cela n’avait jamais voulu dire qu’elles
devaient apprendre à faire le ménage parce qu’elles étaient des filles.
Enfants, elles avaient suivi une éducation fondée peu ou prou sur deux
axes, d’abord les habitudes ou attitudes dans la vie quotidienne, du
genre Tiens-toi droite, Range tes affaires, Ne lis pas la nuit, Salue tes aînés,
Prépare ton cartable en avance… et ensuite : bien travailler à l’école.
Apparemment, plus aucun parent coréen ne considérait que les filles
pussent ne pas bien travailler à l’école ni aller aussi loin dans leurs études
que les garçons. Ça faisait un bon moment qu’elles allaient à l’école,
portant l’uniforme et le cartable, à l’instar des garçons. Désormais, elles
réfléchissaient à leur orientation scolaire, faisaient des projets
professionnels, se donnaient à fond et entraient en concurrence pour
réussir. L’opinion publique à cette époque laissait entendre de plus en
plus souvent qu’être une fille ne devait pas être un obstacle pour atteindre
ses buts. En 1999, alors que Kim Eunyeong atteignait ses vingt ans, fut
instaurée la loi interdisant la discrimination hommes / femmes. Et en
2001, quand à son tour Kim Jiyoung eut vingt ans, un ministère de
l’égalité des sexes fut créé. Pourtant, à chaque étape décisive de la vie,
l’étiquette femme revenait pour brouiller la vision, retenir la main tendue,
faire marche arrière. C’était tout à fait déroutant.
— Et puis qui sait si je me marierai un jour ? Si j’aurai un enfant ?
Eh, peut-être que je mourrai avant ? Pourquoi devrais-je renoncer à ce
que je veux au nom d’un avenir que personne ne connaît ?
Sa mère tourna la tête et fixa la carte du monde accrochée au mur, les
coins usés par le temps, sur laquelle étaient collés quelques petits cœurs
rouges et verts. Kim Eunyeong avait donné autrefois à sa sœur ces
autocollants de journal intime pour qu’elle marque les pays où elle
souhaiterait se rendre. Kim Jiyoung avait apposé ses petits cœurs sur des
pays connus, États-Unis, Chine, Japon ; quant à Kim Eunyeong, elle
avait choisi les pays nordiques, Danemark, Suède, Finlande. Quand sa
sœur lui avait demandé les raisons de ce choix, elle lui avait répondu que,
pour sûr, il n’y aurait pas beaucoup de Coréens là-bas. Sa mère aussi
connaissait le sens de ces autocollants.
— Tu as raison. Je n’avais pas vraiment réfléchi. Oublie ce que je t’ai
dit et prépare ton concours avec sérieux.
Alors que sa mère s’apprêtait à partir, hochant lentement la tête, Kim
Eunyeong l’a interpellée d’un Maman ?
— C’est à cause des frais de scolarité qui sont moins chers ? Ou parce
que l’avenir est plus ou moins assuré ? Que je peux gagner de l’argent
dès la sortie de la fac ? Parce que papa a des soucis en ce moment et qu’il
y a encore deux jeunes enfants à élever ?
— Oui, en partie. Disons que c’est à peu près la moitié. L’autre
moitié, c’est que je pense sincèrement que c’est un beau métier,
institutrice. À présent, je trouve que ce que tu dis est plus juste.
Sa mère avait répondu avec franchise et Kim Eunyeong n’ajouta rien.
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