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Citation de MegGomar


Un soir où s’était déroulé un cours exceptionnel à son institut, elle
sortit très tard. Elle bâillait à l’arrêt du bus quand un garçon lui dit
bonjour, cherchant à attraper son regard. Un visage qu’elle avait déjà vu,
sans le connaître, sans doute un garçon avec lequel elle avait un cours en
commun. Elle inclina légèrement la tête, embarrassée. Il était à quelques
mètres de Kim Jiyoung et s’approchait de plus en plus. Des gens qui se
tenaient entre eux s’en allant les uns après les autres vers leurs bus, il se
retrouva juste à côté d’elle.
— Vous prenez quel bus ?
— Pardon, pourquoi ?
— Vous semblez attendre que je vous raccompagne.
— Moi ?
— Oui.
— Pas du tout, non, vous pouvez partir.
Elle eut envie de lui demander qui il était, s’il la connaissait et d’où,
mais la peur vague qu’elle ressentit fut plus forte et elle renonça à
poursuivre la conversation avec cet inconnu. Elle resta donc à observer
les phares des voitures tout en évitant son regard. Quand son bus arriva
enfin, Kim Jiyoung demeura d’abord sur place, comme si elle ne l’avait
pas vu, et courut au dernier moment pour monter dedans. Le garçon,
suivant Kim Jiyoung, fit de même. Jetant des coups d’œil dans la vitre où
se reflétait le dos de l’intrus, elle mourait de peur à l’idée que ce dernier la
surveillait autant de son côté.
— Tenez, asseyez-vous là. Tout va bien ?
Une femme, visage fatigué, probablement rentrant chez elle après le
travail, venait de céder sa place à Kim Jiyoung qui, pâle comme un linge,
était prise de sueurs froides. Kim Jiyoung voulut lui demander de l’aide,
elle saisit son doigt et lui envoya un regard brûlant. La femme ne comprit
pas et réitéra sa question.
— Vous êtes malade ? Voulez-vous que je vous accompagne à
l’hôpital ?
Kim Jiyoung secoua la tête. Elle baissa la main pour que le garçon ne
s’aperçoive de rien et, avec le pouce et l’auriculaire, mima un téléphone.
Le regard de la femme alla du visage de Kim Jiyoung à son signe de
doigts, elle sembla dubitative puis sortit de son sac son téléphone qu’elle
lui glissa, discrète. Kim Jiyoung baissa la tête pour masquer ce qu’elle était
en train de faire et envoya un message à son père : C’EST JIYOUNG. VIENS
À L’ARRÊT DE BUS. VITE, S’IL TE PLAÎT.
Le bus approchant de son arrêt, Kim Jiyoung, angoissée, chercha des
yeux son père. Mais il n’était pas là. Le garçon se tenait à un pas derrière
elle quand la porte s’ouvrit. Elle avait peur de descendre, mais elle ne
pouvait pas non plus rester dans le bus pour se retrouver à une heure
tardive dans un quartier inconnu. Ne me suis pas s’il te plaît, ne me suis
pas, ne me suis pas… Priant ainsi en son for intérieur, elle posa le pied
dehors. Le garçon descendit à son tour. Seuls eux deux étaient
descendus à cet arrêt. Aucun passant ne se montrait. La pénombre était
dense, à cause d’un lampadaire en panne. Le garçon s’approcha de Kim
Jiyoung, figée là, comme statufiée, et lui murmura :
— Toi, tu t’assieds tout le temps devant moi. Tu me fais passer les
polycopies avec un putain de sourire. Tu me fais le coup tout le temps,
genre tu me plais, je suis partante, etc., c’est quoi cette façon de me traiter
comme si j’étais un obsédé ?
Elle ne savait pas. Elle n’avait aucune idée de qui était derrière elle ni
quelle tête elle faisait en distribuant des polycopies, ni de ce qu’elle disait
à celui qui barrait le couloir pour lui demander de libérer la voie. À cet
instant, le bus, qui avait redémarré, s’arrêta. La femme de tout à l’heure la
héla, en descendant :
— Mademoiselle, votre foulard ! Vous avez oublié votre foulard !
Elle courait vers l’arrêt de bus, brandissant un foulard qui, à première
vue, ne ressemblait en rien au foulard d’une lycéenne. Le garçon
s’éloigna à grands pas en lançant un « Putain de salopes ! ».
Quand la femme atteignit l’arrêt, Kim Jiyoung s’affaissa et éclata en
sanglots. Son père apparut au même moment, sortant d’une ruelle en
courant. Kim Jiyoung leur expliqua brièvement ce qui s’était passé.
Qu’apparemment il s’agissait d’un garçon de sa classe mais qu’elle n’avait
aucun souvenir de lui, qu’apparemment il avait cru qu’elle éprouvait
quelque chose pour lui. La femme, Kim Jiyoung et son père s’assirent
côte à côte sur le banc de l’abribus. Son père dit à la femme que, sorti à la
hâte, il n’avait pas pris son porte-monnaie, qu’il était désolé de ne pas
pouvoir lui offrir un taxi pour son retour chez elle, qu’il ne manquerait
pas de lui témoigner sa reconnaissance. La femme secoua vivement les
mains et répondit :
— Le taxi est encore plus dangereux. Votre fille a été réellement
choquée je crois. Réconfortez-la.
Pourtant Kim Jiyoung se fit pas mal gronder par son père ce soir-là.
Pourquoi aller dans un institut aussi éloigné ? Pourquoi entamer la
conversation avec n’importe qui ? Pourquoi une jupe si courte ?… Elle
avait grandi de la sorte. Avec ce refrain de tout le temps devoir faire
attention, s’habiller correctement, se comporter sagement, éviter les
quartiers dangereux, les heures dangereuses, les personnes
potentiellement dangereuses. La faute était du côté de celle qui n’avait
pas su percevoir le danger ni l’éviter.
Sa mère a contacté la femme et a insisté, disant qu’elle souhaiterait lui
offrir rien qu’une petite somme ou un menu cadeau, un café sinon, ou
un sachet de clémentines ? Mais la femme a repoussé toutes les offres.
Kim Jiyoung a fini par penser que c’était à elle de la remercier et lui a
téléphoné. La femme lui a dit qu’elle était heureuse que rien de mal ne
soit arrivé et a ajouté :
— Ce n’est pas votre faute.
Elle a continué, disant qu’il y avait trop d’hommes bizarres dans ce
monde, qu’elle-même en avait connu. Pointer du doigt la responsabilité
des hommes et non celle de Kim Jiyoung a fait monter les larmes aux
yeux de celle-ci. Elle n’a pas pu répondre, étouffant ses sanglots. À
l’autre bout du téléphone, la femme a conclu :
— Mais le monde contient plus d’hommes bons que de mauvais.
Kim Jiyoung a quitté l’institut. Pendant longtemps, dès que la
pénombre descendait, elle n’a plus osé s’approcher de l’arrêt de bus. Elle
a effacé le sourire de son visage, elle a évité de croiser les regards des
inconnus. Elle avait peur de tous les hommes et il lui est même arrivé de
pousser un cri en croisant son frère dans l’escalier. Dans chacun de ces
moments, les paroles de la femme lui sont revenues à l’esprit. Ce n’est pas
ma faute, le monde contient plus d’hommes bons que de mauvais. S’il n’y avait
pas eu ces mots délivrés par cette dame, peut-être n’aurait-elle pas
échappé à cette terreur avant très longtemps.
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