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Citation de Charmichael


Comme celle de 1914-18, la Guerre mondiale de 1939-45 a profondément ébranlé la société occidentale.
Ce que l'événement et ses suites ont manifesté correspondait à des changements moins visibles qui s'étaient depuis longtemps opérés dans les structures économiques et sociales autant que dans les esprits.
La montée des fascismes européens, le sursaut, en France, d'un libéralisme faiblement teinté de socialisme, l'écrasement de la révolution espagnole — aspects divers d'une même crise — avaient réuni les conditions de l'énorme affrontement sanglant qui mit aux prises, presque partout à la surface du globe, des millions de combattants dont tous n'étaient pas volontaires.
L'événement devait outrepasser les limites qui lui avaient été tacitement reconnues et dérouler, à son tour, une série de conséquences imprévues. Quand on sortit du cauchemar, on s'aperçut que des valeurs depuis longtemps mises en doute étaient bien mortes. Le temps du nihilisme, dont on attendait et redoutait la venue, cette fois nous le vivions. La faim, les ruines, les exactions, les tortures, les millions de cadavres, l'assassinat délibérément perpétré de masses humaines dans les camps de concentration ou les grandes cités urbaines et qui devait culminer dans l'anéantissement instantané des habitants d'Hiroshima, tendaient à l'homme européen une image de lui-même qu'il ne reconnaissait pas. Les croyances, morales, philosophies, métaphysiques qui représentaient la conquête dure et patiente des meilleurs esprits de tous les siècles avaient été consumées dans l'événement. On avait vu fleurir l'exaltation des instincts biologiques et raciaux, les fanatismes religieux et nationaux, la confiance aveugle en Dieu ou dans le Destin. L'homme d'Occident reprenait pied, hagard, dans un univers saccagé.
Les plaies furent assez rapidement pansées, les ruines relevées. La Science et la Technique, démobilisées, prenaient un nouveau départ qui menait à une restauration des richesses, à leur augmentation dans des proportions considérables. Avec la domestication de l'énergie atomique, de nouveaux horizons s'ouvraient, prometteurs de merveilles. L'homme, aujourd'hui en passe de voyager dans le Cosmos, jouit sur sa planète de conditions de vie qu'il n'a pas encore connues. Aux nations rivales, dont les antagonismes avaient conduit en moins de cinquante ans à des incendies gigantesques, se substituaient de grands empires continentaux qui maintiennent "l'ordre" et "la paix" dans leurs sphères d'influence respectives.
Pourtant, la confiance n'est pas revenue. Le nouvel équilibre mondial, précaire, est sans cesse à la merci d'une pesée un peu plus forte sur l'un des plateaux de la balance. Les conquêtes de la Science et de la Technique effraient plus qu'elles n'enthousiasment: au terme d'une série de causes et d'effets qui n'obéissent pas tous à la volonté des hommes, elles peuvent immédiatement mettre en question l'humanité toute entière, cette humanité qui comprend encore un milliard d'hommes sous-alimentés. Tout se passe comme si le mal dont souffrait l'Europe et qui l'a menée au bord du suicide, au lieu de se résorber, avait fait tache d'huile. Après les nations d'autrefois, ce sont maintenant les empires dont dépend le sort du monde qui s'abandonnent aux fanatismes conquérants, aux patriotismes bornés, aux menaces d'anéantissement réciproque. Un "équilibre de la peur" s'est instauré, dans la perspective redoutée d'un suicide généralisé qui agit en même temps comme une terrible tentation.

(Introduction : L'artiste et son temps)
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