LES COPAINS
Chapire VIII - Les copains
— Bénin !
— Quoi ?
— Tu es bien sûr de ta route ?
— Mais oui !
— Parce que je trouve que ça monte de plus en plus. Tu n’as pas l’intention de nous faire bivouaquer sur une montagne ?
— Je t’ai déjà dit que la maison est sur la pente même du Testoire, à douze cent cinquante, ou treize cents… Tu n’y arriveras pas en te mettant sur le cul et en te laissant glisser.
De vrai, ça commençait à grimper assez dur. On ne savait plus guère où on mettait le pied, et on butait à chaque instant. Puis il y avait de plus en plus d’eau. Des filets invisibles gargouillaient un peu partout.
— J’ai les chaussettes mouillées.
— Tu les sécheras au feu.
— Ne récrimine pas contre cette eau ! Quand tu l’auras goûtée, tu m’en diras des nouvelles ! Ah ! ce n’est pas du pipi de robinet ! Les roches du Meygal lui donnent une saveur unique.
— Quand j’ai de l’eau dans mes chaussettes, je me fiche bien du goût qu’elle a.
Le terrain était si pénible que la file tendait à se disloquer. Chacun se tirait d’affaire de son côté, et comme il pouvait, au milieu des ronces, des chicots et des trous. On s’ingéniait à préserver les bouteilles et la vaisselle. Les personnes elles-mêmes avaient moins d’importance.
Bénin s’arrêta :
— Ne nous lâchons pas !… ne semons pas les derniers !… ça serait affreux. Tout le monde est là ?
Les traînards se rapprochèrent.
— Quatre… cinq… six… Et Martin ? Où est Martin ?
— Tiens ! c’est vrai !
— Toi, Omer, tu étais l’avant-dernier… qu’est-ce que tu as fait de Martin ?
— Ma foi… il marchait encore derrière moi il y a trois minutes… je pensais qu’il me suivait.
— Oh ! le pauvre diable ! Il est peut-être tombé, ou il nous a perdus… Il y a eu un petit tournant tout à l’heure…
Tous se mirent à crier :
— Martin ! Martin !
Leurs cœurs battaient vite ; leurs gorges se serraient. Ils avaient beaucoup de peine, soudainement.
— Martin ! Hé ! Martin !
— Attendez !… je vais redescendre un peu… Vous, continuez à crier !…
Omer, dégringolant la pente, disparut bientôt derrière les feuillages. De temps en temps, les copains poussaient un appel. Lesueur avait posé son sac sur une roche moussue.
— Les voilà !
C’était Martin, et Omer à ses trousses, comme un mouton que le chien ramène.
— Alors, mon vieux ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
— Rien de grave, hein ?
On lui tapait sur l’épaule ; on le regardait avec affection. Lui souriait, mais ses lèvres tremblaient visiblement, et ses yeux en amande s’étaient un peu dilatés. Il finit par dire, d’une voix d’enfant qui a eu peur :
— Vous alliez plus vite que moi… je suis resté en arrière… et au tournant, je me suis trompé… il y avait une petite éclaircie… j’ai cru que c’était le chemin…
— Oui, je l’ai trouvé en plein fourré, immobile. Il ne savait plus que faire. Pauvre vieux !
— Il est peut-être fatigué. On va lui décharger son sac !
— Merci… non ! non !
— Tu nous ennuies… Et puis tu marcheras en tête, entre Bénin et Broudier. Ton ancien ministre te surveillera.