Cette apparition conquérante, à la Jeanne d’Arc, dans un appartement où tout était luxe, calme et volupté, venait de mettre à bas, en un instant, les idées simples et fausses que, depuis l’adolescence, je m’étais faites des femmes. La fille d’Anne sortait du vieux cadre doré, acquis par héritage, où était enfermée l’image conventionnelle de l’épouse, de la fiancée ou de la maîtresse. La preuve : rien, chez elle, ne répondait au vocabulaire usuel. Elle défiait mon dictionnaire portatif et ma grammaire stendhalienne. Il aurait fallu inventer des mots pour obvier aux négations : elle n’était pas d’une beauté académique ; elle n’était pas d’une grâce aimable ; elle ne ressemblait pas aux filles de son âge ; elle n’était pas caustique, attendrissante, fière, libertaire, coquine, légère, narquoise, elle était tout cela ensemble, mais à la puissance dix. J’étais amoureux.