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Citation de LaDameAuChapal


Amis,

Vous a t-on déjà raconté ces histoires fabuleuses nées derrières les portes closes des immeubles parisiens, dans le silence à peine troublé par le martèlement des bottes allemandes sur les pavés froids ? Vous a t-on déjà embrigadé l’esprit avec l’histoire de cet homme qui avait fait tatouer sur ses genoux le visage de la putain qu’il aimait et celui de ce frère de sang qui l’avait trahi et s’était enfui avec elle ? Et l’histoire du Vieux d’après minuit, ce sage qui apparait et disparait tel un fantôme ? Quand on se décide à lire Rue des Maléfices de Jacques Yonnet, (publié auparavant sous le titre Enchantements sur Paris) on doit savoir qu’on en décrochera pas. Que notre sommeil va être peuplé d’étranges images, un peu noires, un peu effrayantes, mais drôles aussi, et touchantes également. Exploration du ventre de Paris, des entrailles de la cloche et des bas-fonds de la Mouffe et de la Maubert, jubilation littéraire et poético-argotique, conte surréaliste, témoignage historique, photographie en noir et blanc d’un monde révolu à jamais, ce livre est une ode fantasque et magique aux gueules cassées des souterrains parisiens, des bouges mal-fâmés, des trimards et des ivrognes du petit jour. Ca sent la bière, la sueur, le crachin, le crachat, le vin rouge, les chiffonniers, les artisans de la galère, l’occupation allemande. Le narrateur, fin connaisseur de la géographie et de l’histoire parisiennes, nous entraine à sa suite pour nous faire vivre des tranches de vie et nous présenter ces étranges personnages qui hantent son quotidien. Dans son journal, on goûte au vin et aux histoires dans le brouillard épais des accordéons tristes. Résistant de la première heure, Jacques Yonnet jongle avec le bruit des bottes allemandes qui battent le pavé parisien. On y est : aux «Quatre-Fesses» avec Elizabeth, chez Pignol, avec Pierrot-la-Bricole, Dolly-Longue-à-Jouir, le docteur Garret et sa poupée vaudou, avec tous les manouches d’un roi Gitan.

Parisiens, vous empruntez tous les jours ces rues de la Rive Gauche, vous regardez ces immeubles qui ont pignon sur rue et vous ne vous êtes dans doute jamais demandé ce qui s’était déjà passé derrière ces ancestrales pierres. Innocentes façades ? Regardez bien… Ici et là un sourire malicieux, un oeil facétieux, des signes inquiétants… La mémoire de la pierre qui se refond dans chaque bâtiment. Car des immeubles détruits, disparus à jamais, il y en eût ! Et Jacques Yonnet décrit fort bien ces antres pitoyables qui s’effondrèrent morceau par morceau sur leurs occupants quand le temps de la disette fut venue.



Les plus fins esprits – même s’ils n’en avaient pas l’air, mais ils avaient l’art et la manière et c’était déjà une finesse n’est-ce pas – ont créé des mondes insoupçonnés pendant que Paris occupé attendait de brûler. Queneau (entre autres, mais Prévert également) disait de ce livre qu’il était le plus grand livre jamais écrit sur Paris. On a beaucoup tendance à utiliser les superlatifs quand sonne l’heure des compliments et n’ayant pas lu tout ce qui se faisait sur Paris, je ne peux que dire qu’il s’agit là d’un tour de force inhabituel, d’un génie littéraire et mystique qui déploie des trésors d’intelligence d’écriture et d’observation pour décrire un monde envoûtant et coloré malgré la noirceur qui le bâtit. En outre, si toutes les routes mènent à Rome, on peut être sur qu’elles partent toutes de Paris. Et nous font voyager en Afrique, à Londres, à Berlin et ailleurs dans d’inépuisables aventures, des chamboulements dantesques et de folles épopées. Tous ces personnages, Zoltan, Danse-Toujours, Le Vieux d’après minuit… tellement incroyables et pourtant vrais, étaient des figures trop rares pour que l’on n’en parle plus maintenant. A présent que les rues de Paris se réveillent sous un autre jour et que les bouges et les maisons closes ont laissé la place à d’autres histoires, on croise encore au détour d’une venelle ou au fond d’une ruelle, ces endroits qui ne payent pas de mine mais qui ont le charme d’un amour de vacances. On y crée ses routines pour quelques mois puis on passe à un autre. On y revient, on en repart, on les fait tous, on bat le pavé : la routine du trimard appartient à la lumière derrière le rideau de fer baissé. Qu’importe le flacon…

Mais quand on commence à s’attacher aux bas-fonds parisiens, il y a quelques insomnies à prévoir. Je viens de finir de lire Nuits de Montmartre suivi des Bas-fonds de Berlin de Joseph Kessel que je rapproche de Rue des Maléfices. Sans doute parce que Kessel est l’un des plus grands reporters de son temps – de tous temps – qu’il a côtoyé tous les milieux, des plus fastes au plus mal famés, et qu’il témoigne dans son livre de ses aventures avec ses dangereux amis voyous, truands, assassins et autres grands escrocs. De la même manière, il décrit en petites «historiettes» (mot paradoxalement d’apparence innocente) des incursions dans le monde souterrain des criminels et des catins en tous genres. On pense aussi à Robert Giraud et (entre autres) à son Vin des rues, à ses Lumières des zincs et bien d’autres… Je relie également les tatoués de Jacques Yonnet à l’article d’Olivier Bailly sur le film de Pomerand et Giraud : Tatouages. Grande histoire ces tatoués…

En fait, tout ce beau monde qui se croise dans les rues et les bistrots, on peut le retrouver au fil de ces livres et ces films, uniques témoignages d’un temps à jamais perdu et bien trop méconnu. Car, très chers parisiens, ne vous en déplaise, et sans nostalgie mal placée d’un temps que je n’ai pas connu, je trouve que Paris a abandonné ce petit bout d’âme, cette petite flamme à l’odeur un peu bizarre d’alcool frelaté, cette franche marade entre copains de cordée aux comptoirs bien lustrés et surtout, ces légendes incroyables et surréalistes des bas-fonds. Mais comme je n’ai pas encore exploré tout Paris, je ne demande qu’à être guidée…*

Pour plonger dans ce monde, je ne peux que conseiller le blog d’Olivier Bailly : Le copain de Doisneau au sujet de Bob Giraud et ses comparses. Lisez le blog et explorez les liens, il y a de quoi faire… D’abord ici où l’on croise dans une excellente interview feu Jean-Paul Clébert et son Paris insolite.

Rue des Maléfices de Jacques Yonnet aux Éditions Phébus – Libretto. Avec en prime, des photographies de Doisneau, éternel témoin en noir et blanc des chroniques secrètes parisiennes.

* ceci est un message subliminal
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