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3.61/5 (sur 49 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Nantes , le 27/10/1867
Mort(e) à : Paris , le 06/03/1905
Biographie :

Georges Grassal de Choffat, dit Hugues Rebell, est un écrivain français.

À dix-neuf ans, il publie à compte d'auteur un recueil de poèmes "Les Jeudis saints" (1886) et un roman "Les Méprisants" (1886). Son père meurt l'année suivante, lui laissant une fortune de 500,000 francs. Il va la consacrer à ses passions : les livres rares, le luxe, et les femmes.

En 1892, il loue un appartement au palais Veniere à Venise et commence à écrire les poèmes de son premier livre important, "Les Chants de la pluie et du soleil" (1894), dédiés à son ami René Boylesve, ainsi que son roman "La Nichina". Il poursuit en 1893 à Naples et termine à Munich. "La Nichina", achevé à Mantoue, est publié en 1896 et remporte un gros succès de librairie.

En 1896, il rencontre Juliette qui sera Juliette Fournier, l'héroïne de "La Câlineuse" (1899), roman autobiographique dans lequel le personnage de Pierre Chaperon évoque l'écrivain Jean Lorrain.

En 1898, il publie "La femme qui a connu l'Empereur", roman d'histoire contemporaine. Considéré comme un auteur érotique, voire pornographique, en 1902, il publie son livre le plus célèbre, "Les Nuits chaudes du Cap français", qui lui a valu le prix Nocturne en 1966.

Il est également auteur de "Journal d’une enfant vicieuse" (1903), un roman érotique, publié sous le pseudonyme de Madame de Morency et du "Fouet à Londres" (1905) - sous le nom de Jean de Villot.

Hugues Rebell était également connu comme un polémiste proche du royalisme dans "Union des trois aristocraties" (1894) (celles du nom, de l'argent et du talent), ce qui lui valut d'être remarqué par Charles Maurras et l'Action française.

Harcelé par ses créanciers, miné par l'arthrite, il est désormais pauvre et presque mourant. Pour fuir les huissiers, il quitte son appartement du boulevard des Batignolles à Paris pour un immeuble sordide du 10 rue des Francs-Bourgeois. Il ne sort plus guère que la nuit.

Il y meurt d'une péritonite en 1905, ruiné mais au milieu de ses livres précieux dont il refusait de se séparer.

Le Prix Hugues Rebell est remis chaque année à Nantes depuis 1991, par l'association Les livres de l'Ouest, afin de faire la promotion des livres de la région.
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Bibliographie de Hugues Rebell   (22)Voir plus

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Hugues Rebell : Le fouet à Londres
Après avoir retracé une brève biographie de l'auteur, Olivier BARROT présente le livre "Le fouet à Londres" d'Hugues REBELL paru chez Viviane HAMY. Ce disciple de SADE y traite des plaisirs supposés de la flagellation. Hugues REBELL a été redécouvert par Hubert JUIN.

Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
La pluie commença de tomber tout à coup, une pluie froide de novembre. La nuit était venue, parsemée de lunes bleues et d'étoiles clignotantes, de girandoles rouges et de lettres de feu ; pleine d'ombres lentes ou précipitées, de roulements de voitures et de clapotements de chevaux. Encore une fois le monde se renouvelait, disposait ses clartés et ses ténèbres.
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J'ai baisé sur ta bouche une âme ancienne,
Et tes cheveux m'ont donné l'odeur d'un autre siècle.
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A propos, vous connaissez Jacques de Tavannes ? Présentez-moi donc un jour. Il a du talent, ce bougre-là, beaucoup de talent. Mais, sacré Dieu ! je ne lui ferai pas faire le portrait de ma maîtresse. Il a une façon de vous découvrir les défauts de l'objet aimé qui, ma parole, vous coupe l'aiguillette !
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Pauvre Morny ! le petit Thiers a bien fait de déboulonner ta statue de Deauville.
A quels divertissements de rustres assisterais-tu aujourd'hui !
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Ils pénétrèrent dans ces antiques villas, sans toit, ouvertes au soleil, étalant à tous leur secret et leur âme béante. Une volupté endormie depuis des siècles se réveillait à leurs pas et venait les étreindre. Les fresques roussies qui s'effaçaient aux murs laissaient voir encore les scènes d'églogue sur lesquelles s'étaient reposés des yeux juvéniles d'amants et les bacchanales qui avaient réjoui des passions plus violentes.
Ici, des adolescents regardent s'envoler d'une cage l'oiseau de Vénus, la colombe; et leur rapprochement, leurs mains pressées, leurs regards curieux, leur bouche entrouverte, accusent assez le symbole; là, un taureau fougueux enlève Europe; plus loin, une nymphe se débat entre les bras d'un satyre, et ses efforts pour se délivrer ne parviennent qu'à la mieux offrir à son ravisseur.
Miss Helen ne savait guère des anciens mythes que ce qu'on en apprend aux jeunes filles et ce qu'elle en avait découvert elle-même, au hasard de ses promenades dans les musées. C'était comme un monde ardent, pâmé, anéanti ou furieux de désir, une foule soupirante ou tumultueuse de couples enlacés, de chairs découvertes, tendues, gonflées de jouissance, qui se révélaient tout à coup à ses yeux de vierge, tandis qu'Ascalona, de sa parole enivrée, ajoutait encore à cette vision lointaine une image plus proche et plus pressante du plaisir. Elle qui, avec assurance, lisait, regardait tout, elle qui avait travaillé avec des peintres et connu la liberté des ateliers, elle détournait maintenant la tête devant certaines fresques, rougissante, honteuse, devenue tout à coup d'une timidité farouche en présence de cet homme qui voulait la prendre, qui jouissait de son trouble et épiait dans ses yeux un signe de défaillance. Elle était bien décidée à ne point lui céder, et cependant, peu à peu, elle s'abandonnait au charme de cette heureuse lu- mière qui traînait sur les pavés de mosaïque et prêtait un air joyeux aux figures peintes sur les vieux murs. Puis elle retrouva son audace. Parfois même, elle s'attardait, frappée de la grâce d'une composition ou curieuse d'une scène libre. Ascalona lui sembla plus beau. Elle excusait presque des licences, des vivacités de paroles, certaines caresses furtives. Mais son bonheur était un peu inquiet, comme autrefois, lorsqu'elle allait à un bal sans la permission de Scamler; le silence de toutes ces maisons peintes et décorées, riantes et pourtant à demi démolies, pleines de dieux et de satyres en rut, l'effarait comme un enchantement. Il lui sembla que tout un peuple d'ombres amoureuses s'agitait et conspirait sa défaite. Elle se sentait poussée à je ne sais quel abîme inconnu. Pourrait-elle résister ?
Comme la chaleur était pesante, ils s'assirent dans l'une de ces maisons, sous des auvents qu'on avait placés pour protéger des fresques, à la place peut-être où, jadis, l'on dressait le lit pour le maître et ses jeunes courtisanes. Miss Helen était songeuse. Ascalona se rapprocha d'elle, et, incapable de dominer son désir, impatient de goûter à cette grâce rose qui l'affolait, il embrassa la jeune fille dans une forte étreinte et mordit à ses lèvres. Elle eut un cri, rompit, de ses bras nerveux, l'enlacement et, souple, lui échappa. Mais il courut après, l'atteignit encore.
- Je vous veux, lui murmurait-il, melant son souffle au sien.
- Vous mentez. C'est votre femme que vous aimez. Vous m'avez insultée devant elle.
- Oh ! C'était la douleur de me voir repoussé par vous qui m'affolait. Mais je n'aime que vous. Et je vous veux. D'ailleurs, vous m'avez promis. Vous vous êtes donnée !
- Non, non, dit-elle, d'une voix faible; laissez-moi. Plus tard !
- Maintenant !... Vous m'avez fait trop de mal. Il faut que votre baiser efface tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai perdu à cause de vous.
Il se mêlait une fureur à sa passion; cette fois, il ne la lâchait pas. Il lui serrait tellement les mains qu'elle gémissait de douleur. Il la poussa contre un banc de marbre, le long d'une figure grimaçante de satyre.
- Oh non ! disait-elle avec frayeur, oh non, pas ici ! Ce serait une honte.
À mesure qu'il la sentait plus désarmée, il devenait moins féroce; ses mains, qui l'avaient meurtrie, se faisaient caressantes; et sa voix, si éclatante dans l'invective, trouvait des accents d'adoration et de prière; les mots grâcieux et chantants de la galanterie napolitaine lui venaient aux lèvres. Il l'appelait de tous les noms tendres qui, en le flattant, diminuent l'être aimé, amollissent son courage, le font plus semblable à ces fleurs et à ces délices sans âme auxquelles on le compare, et qui ne peuvent point se refuser.
- Ô grappe mûre, disait-il, que je boive à pleines lèvres ton vin, que je m'enivre de ta liqueur. Viens, ma rose ! Que ton parfum pénètre mon corps, me défende du mal comme un talisman.
- Ne me prenez pas ainsi, suppliait-elle. vaincue, mais se défendant encore, ayez pitié !
Peu à peu elle cessa ses plaintes, se laissa entraîner, la face détournée d'Ascalona, l'oreille aux écoutes. Une voix se lamentait au loin.
Avec une flamme d'espoir dans les yeux miss Helen s'écria :
- Quelqu'un vous appelle !
- Tu ne sais pas comme tu seras heureuse. continuait Ascalona sans l'entendre. Comme tu me remercieras d'avoir courbé ton orgueil !
Miss Helen reprit :
- C'est votre femme qui vous appelle. Tenez ! Je l'entends qui entre.
Cette fois, Ascalona écouta.
- Marco ! faisait la voix. Je veux te parler. Je sais que tu es ici. C'est inutile d'essayer de te cacher.
- Salope, dit-il, qui ne peux pas nous laisser à notre bonheur. Oh ! Tu vas voir !
Il lui abandonna les mains et courut du côté de la voix. Mais, en partant, il eut une crainte; miss Helen voulait-elle l'abandonner ? Comme il allait franchir le seuil de l'atrium, il se retourna vers la jeune fille. Miss Helen, lassée de la lutte, s'était assise à la place où ils étaient tout à l'heure; elle semblait l'attendre. Elle lui fit un sourire attristé. Peut-être regrettait-elle la menace troublante de son baiser ? Peut-être songeait-elle aux injures dont, l'avant-veille encore, il l'accablait elle-même, et qu'il retournait à présent à sa femme.
« Pourvu, dit-il, qu'elle ne s'enfuie pas, pendant que j'en finis avec la coquine. »
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Beaucoup de gens attirés par la curiosité avaient pris parti, subi l'ivresse sauvage du combat.
Ascalona voulut s'approcher de ce grand choc sombre d'où personne ne s'échappait, et où personne, non plus, n'osait maintenant s'aventurer. Lisabetta essaya en vain de le retenir.
- Je le veux, dit-il.
- Alors, je te suis.
Et elle s'accrocha à son bras.
Ils se poussèrent dans cette mêlée d'ombres, entre les ruelles rouges de l'incendie.
Il y avait dans cette multitude, jusqu'aux abords du palais, des hommes qui, sans entrer encore dans la bataille, attendaient, comme une réserve toute prête, le moment d'y prendre part.
À présent, au risque d'être étouffés, de recevoir un coup détourné ou d'être brûlés par les débris embrasés qui tombaient à chaque instant, ils se contentaient d'être spectateurs, ou plutôt ils essayaient de l'être, car il devenait fort difficile dans la poussière, l'obscurité ou l'éblouissement des flammes, de distinguer l'ensemble du combat. C'était comme une suite d'engagements particuliers où chacun paraissait lutter pour soi, sans s'occuper du voisin.
Ascalona parvint, avec beaucoup de peine, devant la porte du palais. Quelque chose de monstrueux, comme une bête informe, environnée de langues et de flèches de feu, s'en échappait avec grand fracas. Ascalona reconnut avec étonnement la calèche du marquis, attelée de ses vieux petits chevaux et que Malaspina, terrifié, l'œil hagard, conduisait lui- même, fouettant son attelage de toutes ses forces et criant :
- Place ! Épargnez les femmes, épargnez les enfants !
La calèche renfermait la comtesse Labriola et la petite Raffaele. Par je ne sais quelle folle inspiration, comme on entourait la voiture, la comtesse, se croyant menacée, baissa la glace, saisit sa carabine et fit feu. Il y eut un cri, un écroulement de corps. Dans ce tas sombre, elle avait atteint une chair vivante. Mais aussitôt la calèche fut prise d'assaut; le vieux marquis arraché de son siège; Raffaele, la comtesse, tirées brutalement de la voiture; leurs vêtements mis en pièces. On entendit des plaintes désespérées; une minute la jeune femme et la fillette apparurent toutes nues, et leurs jambes se dé- battirent au milieu de mains furieuses. Ces sauvages étalèrent des sexes déchiquetés, l'arc bandé des croupes sanguinolentes, des nudités ridicules et infâmes semblables à des viandes d'abattoir; et ils tiraient, ils pressaient les peaux souillées comme des halles souples dont s'amusent les enfants. Ascalona tenta de porter secours aux malheureuses, mais vingt personnes le séparaient d'elles. Soudain il aperçut, au-dessus des groupes, la tête de la comtesse, dont les yeux, agrandis, exprimaient une effrayante angoisse. Les plaintes avaient cessé. Les deux corps inanimés et tout sanglants, passèrent près de lui, les pieds en avant, comme roulés par un torrent fangeux. La canaille les avait enlevés aux meurtriers pour quelque divertissement infâme. On se les disputait. Aux ongles, aux dents de misérables il en restait parfois des lambeaux. L'incendie mettait sur ces chairs meurtries des clartés rouges; et des êtres, ivres de férocité, essayaient de les étreindre. Vainement Ascalona voulut s'opposer à l'indigne profanation: déjà les corps étaient loin de lui; on se les passait, on se les renvoyait. On eût dit un jeu barbare. quelque jonglerie obscène avec des poupées grimaçantes. Devant ces horreurs, Ascalona eut en une seconde le souvenir voluptueux de la petite comtesse, le liant de ses grands cheveux sombres ou se découvrant l'épaule pour l'offrir au baiser. Elle était si jolie lorsqu'elle fixait sur lui ses beaux yeux, où il lisait un commandement et une prière, et qu'elle disait du bout des lèvres, ne sachant trop si elle devait être encore maîtresse : « Embrassez-moi là, voulez- vous ? » Et quand elle riait sous ses caresses !... Les larmes lui voilaient le regard; il détourna la tête. Lisabetta l'observait avec curiosité.
Tant de crimes ne l'épouvantaient pas. Elle n'était occupée que de sa jalousie; et elle s'applaudissait d'un meurtre qui lui enlevait une rivale.
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Sais-tu comment je comprends l’esclavage ? Te doutes-tu de la soumission que j’exige ? Soupçonnes-tu les tortures que je t’infligerai, les humiliations que je t’imposerai ? Sais-tu combien je suis tyrannique et cruelle et que je t’abaisserai à l’état d’un vil valet méprisé ? Est-ce cela que tu veux ? Non, n’est-ce pas ? Tu viens ici pour recevoir une bonne fessée. Alors ne te trompe pas de formule, tu le regretterais.
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- Est-ce que Don Natale aurait une spécialité de pénitents ?
- Sans aucun doute. Quand on confesse à Santa Maria del Carmine, on a toutes les sales consciences de Naples à purifier. Il n'y a, dans ce quartier, que des voleurs, des prostituées et des assassins.
- Et la duchesse Tupputti ?
- Je lui ai toujours conseillé de quitter son palais. Tu vois, la contagion la gagne, elle aussi !
- Alors, un prêtre qui confesse des voleurs, selon vous ?...
- Devient leur complice, c'est évident.
Cependant, le marquis, tout en parlant, était redevenu calme; un sourire effleura ses lèvres; il tira sa montre, puis hâtant le pas :
- Laissons ces sottes, dit-il. Ces visites m'ont glacé l'âme. Je soupire vers la chaleur de la jeunesse... Veux-tu que nous allions voir Barborin ?... Ah ! Voilà ! Tu ne connais pas Barborin ? Eh bien, imagine-toi tout ce que le printemps peut mettre de séduction dans une fleur, et l'été, de saveur dans un fruit. Imagine-toi une enfant qui a toute l'expérience et toute la passion de la femme; une femme, toutes les candeurs et toutes les innocences de l'enfant. Imagine-toi !... Non, n'imagine rien. C'est impossible de se figurer Barborin, lorsqu'on ne l'a pas vue. Viens avec moi, plutôt.
- Est-ce que Barborin a l'âge de la duchesse ?
- Tu plaisantes ! Barborin n'a pas encore dix-huit ans. Ah ! La Providence m'a gâté en me permettant de cueillir cette rose sur ma route, à un âge où l'on doit déjà penser aux cyprès qui ombrageront votre dernière demeure.
- Oh ! Mon cousin...
- Ah ! Vois-tu, je ne me fais pas d'illusion : je ne suis plus un jeune homme, mais combien de jeunes gens, aujourd'hui, ont la verdeur du vieux Malaspina ? Ah ! Je me soigne ferme, mais je me conserve aussi... Et puis, veux-tu que je te dise : ceux de ta génération sont trop brutaux avec les femmes; ils ne savent pas leur plaire. Vous n'avez pas le sens de la caresse, vous autres. Regarde miss Helen, elle n'a pas seulement fait attention à toi.
- Permettez : ni à vous, non plus.
- Parce qu'elle me connaissait. Ces filles-là aiment la surprise d'un nouveau visage. Mais toi, qui étais un inconnu pour elle !... Tu aurais eu le plus grand succès, te dis-je, avec un peu plus de savoir-faire. Tu es beau, tu es jeune, mon ami. Cela ne suffit pas. Tiens, prends modèle sur moi. Tu vas voir le joli petit ménage que nous faisons tous deux. Nous sommes comme deux colombes amoureuses. Cette enfant, tu comprends, a besoin de tendresse, et elle était si mal servie ! Elle était avec le vieux duc de Medina-Cæli. Sec comme du bois, parait-il. On n'en pouvait rien tirer. Mais ça le flattait, cet homme, d'avoir une petite danseuse de San Carlo : il avait réussi à inspirer à sa femme de la jalousie. Maintenant, j'ai rendu la paix à sa femme et la gaieté à sa petite maîtresse. N'est-ce pas une bonne action ?
Ils allèrent ensemble chez Barborin. Curieux et inoccupé, le lieutenant s'était décidé à suivre le vieux Malaspina dans ses courses inutiles. Ils montèrent donc une petite ruelle en pente qui donnait sur la rue de Tolède, tout encombrée d'épluchures de légumes, d'écorces d'oranges et de fiasques brisées. Le chemin qui conduisait à cette étoile de la Danse ressemblait assez à celui du paradis : glissant et semé d'embûches. Barborin n'avait point l'ambition de nos amoureuses de Paris, qui se font bâtir et meubler des palais : peu lui importait l'écrin où elle enfermait ses grâces, pourvu qu'on sût les y découvrir. Le mystère même de cette rue obscure servait ses amours.
Malaspina et le lieutenant, en pénétrant dans la maison de la danseuse, furent comme étourdis par un tonnerre roulant de vociférations que dominaient des aboiements, le cocotement d'une poule en détresse et les battements d'ailes d'un colombier. Des enfants, des chiens se faufilèrent entre leurs jambes : une grande fille se laissa glisser de haut en bas sur l'appui de l'escalier, vint tomber à leurs pieds, et ils durent s'aplatir contre la muraille pour céder le passage à une troupe hurlante qui dégringolait sur eux.
Des hommes entraînaient par le bras ou poussaient par les épaules une femme échevelée qui leur résistait de toute sa force, tendant les poings, à demi-étouffée par une main qui se collait à ses lèvres dès qu'elle voulait parler. Elle parvint pourtant à se dégager une minute, et, détournant la tête, elle se mit à injurier, d'une voix enrouée de rage, quelque ennemie invisible.
- Truie dégoûtante ! Fumier pourri ! Tu ne me voleras pas mon homme, entends-tu, vache ! Ou je jure Sainte-Anne que je te fais sortir les tripailles !
- Passons, dit le marquis au lieutenant qui considérait l'insulteuse avec un sourire amusé, et essayait d'entrevoir ses traits à travers les cheveux qui lui couvraient le visage.
Malaspina tambourina longtemps à la porte massive, aux solides ferrures, qui défendait Barborin des visites indiscrètes. Après un quart d'heure d'attente, lorsque la maison fut redevenue tranquille, un pas se fit entendre
l'intérieur.
- Qui est là ? demanda-t-on.
- Moi, Malaspina !
- Imbécile ! Quelle idée de venir me réveiller ainsi, répliqua une voix zézayante et chanteuse, bien napolitaine.
- Ouvre ! cria Malaspina.
- Tu parles comme si tu étais le roi. Je n'aime pas ça, moi.
- Ma chère petite Barborin, voyons, ne sois pas méchante.
- Qu'as-tu à me dire ?
- Mille choses. J'ai d'abord un joli garçon à te montrer.
Un verrou fut tiré et la porte s'entrebâilla, suffisamment pour laisser voir une petite frimousse rose, poudrée jusqu'aux sourcils, des lèvres riantes, un nez à l'aventure et un joli sein, impudiquement heureux, qui prenait l'air au-dessus d'une chemisette lâche, glissée très bas et toute prête à tomber davantage.
- Montre ton joli garçon, papa !... Ah! je le vois. Il n'est pas mal, mais tu sais, j'ai mieux chez moi.
- C'est bien. Laisse-nous entrer.
- Cependant, si je suis avec quelqu'un ?
- Tu le renverras.
- Et si on ne veut pas s'en aller ?
- Je ferai déguerpir moi-même l'impoli, et plus vite qu'il ne voudrait, sois-en sûre.
- Ah ! Ah ! Ah ! Laisse-moi rire !... Et si c'était Ascalona ?
- Avez-vous entendu ? dit le lieutenant.
- Qu'est-ce que c'est que cet Ascalona ? demanda le marquis dont la mémoire était assez infidèle.
- Un homme qui ne souffre pas que l'on canule ses femmes !
- Le Camorriste ! ajouta le lieutenant.
- Ah ! Un Camorriste. Eh bien, je vais le faire arrêter, ton Camorriste, tu vas voir ça !
- Viens donc le prendre ! dit Barborin.
Et elle poussa l'énorme porte qui se ferma d'un coup et fit tressaillir toute la maison.
- Peste infernale ! s'écria le marquis.
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« Je vais donc préparer tout à l’heure deux fortes verges à ton intention et me procurer des cordes, — je sais déjà où les prendre pour t’attacher sur le banc, comme tu y étais habitué. Le reste me regarde et tu verras si je saurai m’y prendre pour te rappeler tes gouvernantes ! Seulement, ce qu’il nous faudra en plus, c’est un bâillon ; car des cris comme ceux que tu poussais à Paris, pourraient attirer du monde à la grange si tu ne pouvais te retenir. J’ai pris mes précautions : il y a dans la table à ouvrage de tante une petite pomme en bois servant à repriser les bas et les chaussettes. Cela fera un excellent bâillon ; je te l’introduirai dans la bouche et, en attachant un mouchoir par-dessus, tu ne pourras pas la cracher. De cette façon, je ne serai pas influencée par tes cris et je pourrai aller jusqu’au bout de ma besogne. »
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Comme elle parlait, la porte s'ouvrit. Une large et ventripotente matrone, fière comme un suisse de cathédrale, portant une chaîne d'or sur sa robe sale, apparut et éleva sur eux une chandelle.
- Eh bien, tu te presses, la mère ! dit Stellina. Veux-tu que je prenne racine ?
- Si tu crois qu'on entend, petite, au milieu du bruit qu'ils font tous.
Stellina se tourna vers Fortiguerri.
- Entre : tu prendras avec nous un verre de vin clair, et on te donnera une couverture, car tu dois avoir froid dans ce costume.
Puis, considérant le lieutenant qui passait devant la lumière :
- Oh ! Mais il me semble que je te connais. Je t'ai vu déjà. Mais où donc ? On voit tant d'hommes !... Ah! je sais maintenant. N'es-tu pas le galonné que j'ai déshabillé chez Lisabetta ? Tu es son amant, n'est-ce pas ?
- Son amant, c'est un peu dire !
- N'en rougis pas. C'est une belle fille... Toi aussi tu es beau. Tiens, j'ai envie de t'embrasser.
Et elle lui prit les lèvres dans un baiser. Le lieutenant parut un peu surpris de cette vivacité.
- Si tu étais un saint, expliqua-t-elle, je te brûlerais un cierge. Mais, puisque tu es un homme !...
Ils pénétrèrent dans une chambre où tous les actes de l'existence étaient représentés. Une femme, accroupie, se retroussait derrière une porte; des joueurs, protégés par un rideau, interrogeaient leurs cartes tandis que des rires et des craquements partaient d'un lit et que, toute seule, à l'écart, sans s'occuper de personne, une vieille face de marinier, roulant de gros yeux, suçait de sa bouche édentée un morceau de caciocavalli. Puis ce fut une cuisine encombrée de bassines d'eau sale et un cellier rempli de bouteilles vides, fleurant le vin renversé; et, tout à coup, ils tombaient dans une tempête de cris, de chansons, de claquades, d'applaudissements, de baisers, de coups de poing, d'éructations d'ivrogne que dominaient, comme des arpèges de violon et de harpe, de frais gazouillis de rires féminins.
La maigre lumière d'une petite lampe, au milieu de cette vaste salle, laissait de l'ombre partout. On ne voyait que des épaules lourdes, des masses obscures, qui se mouvaient, se confondaient dans la fumée bleuâtre des cigarettes; un instant apparaissaient une face sanguinolente, ricaneuse ou féroce, des nudités rougeâtres, une main qui se levait pour raccrocher, pour frapper, pour caresser; et tout se perdait ensuite dans une nuit grouillante et tumultueuse.
Ils furent poussés, jetés presque sur un banc où des femmes, animées d'une gaieté cruelle, maintenaient, étendu et le froc levé, un vieux capucin, aux yeux effarés, que Fortiguerri s'étonna de rencontrer dans une assemblée pareille. Elles avaient détaché son cordon et lui donnaient de temps à autre de violentes cinglades sur les fesses.
- Épargnez-moi, implorait-il.
- Laissez donc tranquille ce marchand d'absolution, dit Stellina.
- Mêle-toi de tes affaires, Simplicie; tu ne sais pas que ce renégat nous a pris vingt carlins pour dire des messes. Il devait nous donner les bons numéros du loto, et aucun des siens n'est sorti ! Le filou ! Mais sa peau va nous payer.
- Imbéciles, que vous êtes ! s'écria Stellina. Regardez-moi donc la trogne de ce père Bon-Dieu, s'il vous a le nez d'un prophète. Il aurait plutôt besoin que je lui souffle le Saint- Esprit.
Et, s'accroupissant sur le visage du père, elle lui fit baiser ses chairs obscènes et lui lacha, aux narines, un air de sa flûte.
Les femmes éclatèrent de rire. Le moine eut un soulèvement de dégoût.
- Leur diras-tu maintenant, demanda Stellina, pourquoi elles n'ont pas gagné ?
- Le Seigneur est fâché avec vous, gémissait le capucin. Ce n'est pas de ma faute s'il ne veut pas m'exaucer. J'aurais beau passer mes jours et mes nuits en prières, tant que vous serez des fornicatrices, des voleuses...
- Veux-tu clore ton bec ? criaient les femmes en le souffletant et en le claquant de plus belle. Tu n'as pas honte de nous appeler voleuses !
- Tu flaires l'or dans les jupes, fit un homme en s'approchant, mais tu n'oserais pas fouiller nos culottes, dévaliseur de filles.
- Allons ! Allons ! fit la logeuse en s'interposant. Finissez ! Quand vous lui aurez fait venir du sang pleins ses cuvettes et débourré la pipe de vos ongles, son accordéon chantera-t-il davantage les bons numéros ? Moi, je ne veux pas qu'on insulte le clergé dans ma maison. Ça nous porterait malheur. Allons, venez, mon père, voulez-vous un verre de vin ? Ces jeunesses, ça n'a pas de cervelle.
Tandis que le moine s'en allait la tête basse, tout honteux et endolori, Stellina se pendit au cou du lieutenant.
- Voulez-vous un porte-chance ? fit-elle, en voilà un ! Il vous dira les bons numéros, celui-là.
- Qu'est-ce que c'est encore que ce sale mitron-là ! s'écria une sorte de géant, aux énormes épaules, dont une barbe soignée et de longs cheveux fins ennoblissaient les traits grossiers, épais et vulgaires, lui donnant une ressemblance lointaine avec l'image traditionnelle du Christ.
- Tu as donc laissé tes yeux dans le ventre maternel ? dit un petit homme chafouin. Tu ne vois pas que c'est son marchand de plaisir ?
- Ah ! Gouge, s'écria le géant en s'avançant vers Stellina, tu n'as pas assez senti mon bras, l'autre jour.
- Tais-toi, Furiano, répliqua Stellina, tu es stupide. Cet homme-là m'a sauvé la vie. Si tu m'aimes, aime-le aussi. Voyons, donne-lui à boire. Il a la gorge sèche après tant d'émotions.
Et elle fit asseoir Fortiguerri devant une table, s'assit elle-même sur les genoux du lieutenant, tandis que Furiano lançait un terrible coup de poing dans la lampe qui vola par la chambre tout enflammée. Une jeune servante se précipita, ramassa la lampe brisée, essuya l'huile et vint rapporter une chandelle, sans paraître le moins du monde étonnée de l'accident.
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Aux sources du romantisme

Roman fondateur du "Sturm und Drang" paru en 1774 à Leipzig "Les Souffrances du jeune Werther" de Goethe, l'amour désespéré de Werther pour Charlotte (Lotte), est devenu mythique pour plusieurs générations de romantiques européens. Le livre rencontre un succès si vif que Goethe en écrit une suite en 1809 sous le titre :

Les affinités sélectives
Charlotte à Weimar
C'est faux

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Thèmes : littérature , peinture , romantisme français , romantisme allemand , romantisme anglaisCréer un quiz sur cet auteur
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