Pourquoi lire Maupassant ?
Esprit libre, Maupassant refusa toujours d’être affilié à une quelconque école littéraire ou à quelque groupuscule que ce soit. Récusant toutes les étiquettes mais aussi les honneurs tels que la légion d’honneur ou une place à l’Académie française (ce qu’il avouera finalement regretter dans une lettre à Zola), le jeune normand dont Edmond de Goncourt dressait un portrait peu flatteur bénéficie pourtant aujourd’hui d’une place de choix dans la littérature : celle d’un homme qui réussit à traverser le XIXe siècle sans appartenir à aucun de ses courants majeurs. Non qu’il fut rétif aux conseils : admiratif de Louis Bouilhet, il se rapproche ensuite de Flaubert, grand ami de sa mère, qu’il considère comme son maître. Celui-ci le pousse à travailler son style en quête de la perfection. Maupassant exclut donc de son écriture les explications détaillées et documentées que l’on retrouve chez Balzac ou Zola et leur préfère la sobriété et la concision. De fait, ses romans sont plus courts que ceux de ses contemporains et il a surtout écrit beaucoup de nouvelles. Celles-ci mettent en scène un petit nombre de personnages autour d’une situation souvent traitée avec une ironie très moderne qui fait encore mouche aujourd’hui.
Dès ses premiers textes, tels que la nouvelle cruelle « Boule de Suif », Maupassant affirma son rejet des épanchements du romantisme au profit de ce qu’il appela le « roman objectif ». Ses deux premiers romans,
Une vie et
Bel-Ami, entrent dans cette catégorie : le narrateur refuse toute plongée dans la conscience de ses personnages et toute analyse de leurs motivations. Des faits, rien que des faits. C’est d’un point de vue externe et impartial que Maupassant narre la vie de ses personnages. Cette objectivité lui permet de présenter une observation fine de la société de son temps, qui le rapproche du réalisme. D’abord intéressé par les classes défavorisées, comme les paysans de ses célèbres nouvelles « Aux champs » ou « La ficelle », Maupassant s’attache ensuite à observer les élites comme dans
Mont-Oriol. Son œuvre offre donc un panorama complet de la vie à son époque.
À partir de son troisième roman, il nuance son objectivité et introduit des analyses psychologiques subtiles de ses personnages, ce qui permet de très beaux portraits, tels que celui de Madame de Burne dans
Notre coeur. Mais contrairement à Zola, dont la démarche se veut scientifique, Maupassant revendique sa définition d’un réalisme différent du naturalisme, une « vision personnelle du monde » que le romancier cherche à transmettre. La sienne est marquée par l’influence du pessimiste Schopenhauer, d’où une prédilection pour les destins tragiques et les éléments macabres. Car Maupassant est aussi l’un des pères du fantastique et de l’horreur avec ses contes d’angoisse tels que « Le Horla », manifestant un goût pour les fantômes et les histoires mystérieuses. Sa carrière littéraire fut courte, de 1880 à 1891, mais lui permit de publier un volume de vers, six romans, plus de trois cents nouvelles et environ deux cents chroniques et essais.
Le saviez-vous ?
• En 1868, en vacances à Étretat, il sauve de la noyade le poète anglais Charles Agernon Swinburne et découvre sur la plage une main coupée. Cette vision lui inspire sa première œuvre « La main coupée », qu’il publie sous le pseudonyme de Joseph Prunier.
• Il a refusé de devenir franc-maçon en arguant : "Je ne veux m'incliner devant aucun dogme, devant aucune prime et aucun principe, et cela uniquement pour conserver le droit d'en dire du mal".
• Il fut journaliste pour
Le Gaulois, correspondant à Alger, et signait ses articles « Maufrigneuse » du nom d’un personnage de Balzac.
• En 1887, Maupassant effectue une ascension en ballon depuis l’usine à gaz de La Villette. Il a financé lui-même la construction de l’aéronef et l’a fait nommer « Le Horla ».
• Ses derniers mots avant de mourir auraient été « Des ténèbres oh ! des ténèbres ! ».
• Léon Tolstoi dira d'
Une vie « C'est le plus grand chef-d'œuvre de la littérature française, après
Les Misérables ».
Chronologie
5 août 1850 : Guy de Maupassant naît au château de Miromesnil, à Tourville-sur-Arques, fils de Gustave de Maupassant et Laure de Poittevin, rentiers aisés.
1859 : la famille Maupassant s’installe à Paris.
1860 : les Maupassant se séparent, et Laure s’installe à Étretat avec Guy et son jeune frère Hervé.
1869 : Maupassant s’installe à Paris pour étudier le droit.
Février 1875 : Maupassant publie son premier conte, « La Main coupée » sous le pseudonyme de Joseph Prunier, dans
L’Almanach lorrain.
1976 : Maupassant contracte la syphilis.
Mai 1878 : Maupassant entre au journal
Le Gaulois.
Mars 1880 : Maupassant séjourne à Croisset chez Flaubert avec Edmond de Goncourt, Zola, Daudet et Charpentier.
Février 1883 : le premier roman de Maupassant,
Une Vie commence à paraître en feuilleton dans le
Gil Blas. Il paraît ensuite en volume.
Juin 1883 : publication des
Contes de la bécasse.
1884 : Maupassant s’installe à Étretat. Il publie
Les soeurs Rondoli.
1885 : Maupassant publie le recueil
Contes du jour et de la nuit puis
Bel-Ami en feuilleton dans le
Gil Blas, puis en volume. Il voyage en Italie.
Décembre 1886-1887 : Maupassant publie
Mont-Oriol en feuilleton puis en volume.
1887 : Maupassant publie le recueil
Le Horla. Il voyage en Afrique du Nord puis publie
Pierre et Jean dans
La Nouvelle Revue.
1888 : parution du
Le rosier de Madame Husson. Maupassant voyage à Alger.
1889 : Maupassant commence à publier
Fort comme la mort dans
La Revue illustrée. Le recueil
La Main gauche paraît en même temps.
1890 : publication de
Notre Cœur dans
La Revue des Deux-Mondes.
1892 : à Cannes, Maupassant tente de se suicider en se tranchant la gorge.
6 juillet 1893 : Maupassant meurt de la syphilis.
Inspirateurs et héritiers
Maupassant a toujours refusé l’appartenance à une quelconque école littéraire. Il a toutefois été fortement inspiré par
Flaubert, qu’il a fréquenté et qui lui a dispensé ses conseils. Il fut également influencé par la lecture de
Schopenhauer, à qui il rendit hommage dans la nouvelle « Auprès d’un mort » en 1883. Le destin tragique de Jeanne dans
Une Vie peut apparaître comme illustration du pessimisme schopenhauerien. Maupassant entretenait également des rapports amicaux et des échanges d’idées avec
Zola,
Alexandre Dumas fils,
Taine et
Tourgueniev. À l’inverse, il se brouilla avec les frères Goncourt.
Edmond de Goncourt fit d’ailleurs un portrait au vitriol : « C'est l'image et le type du jeune maquignon normand. Sachant qu'on le méconnaît et qu'on le tient volontiers pour un bravache avantageux, loin de déplorer cette fausse interprétation de son caractère, il s'évertue à l'autoriser, à ressembler aux caricatures dont il est l'occasion. »
Les œuvres de Maupassant ont donné lieu à des pastiches tels que « Le Boudin » de
Jules Lemaître (1888) ou « Boule-de-zinc » d’Albert Nouveau et Pierre Bossuet (1921). Maupassant apparaît dans le poème « La Grenouillère » d’
Apollinaire. Dans « Au royaume des femmes », nouvelle de
Tchekhov, Lyssévitch fait l’apologie de Maupassant : « Une page de lui vous donnera davantage que toutes les richesses de la terre ! À chaque ligne, un horizon nouveau. Les états d'âme les plus doux, les plus tendres, font place à des sensations fortes, passionnées ». Dans
Mademoiselle Else d’
Arthur Schnitzler, le livre de chevet de l’héroïne n’est autre que
Notre Cœur.