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Citation de Charybde2


En 1880, les Karayuki-san avaient émigré un peu partout en Asie du Sud-Est, l’argent de leur traite apportait un soutien considérable au Japon dans sa guerre contre la Russie. En 1911, quand Krokop se mit à produire du pétrole, ces demoiselles des mers du Sud ne tardèrent pas à rappliquer. Les billets de banque des colonies du Détroit que les michés tels que Ti Kim ou Tzo Da-Dy dépensaient chez la gent crocodilienne, l’argent du prêt que le père d’A-hung avait contracté pour son vélo Fuji, la menue monnaie qui servait à Tso Ta-tsi et sa bande pour acheter masques et jouets, tout cela contribua à la formidable puissance de feu grâce à laquelle l’armée impériale envahit la région. Kameda l’acupuncteur et Watanabe le dentiste aimaient aller jeter leur ligne dans le port, ils discutaient de leurs prises avec les pêcheurs du village, ils mesuraient aussi la profondeur en eau du port, ce qui permit à la marine japonaise d’y jeter l’ancre ; Sasaki le photographe faisait maintes promenades en montagne, maintes sorties en mer, il prenait des clichés en noir et blanc de femmes splendides et d’animaux dans des attitudes majestueuses, son méticuleux travail exposé dans la vitrine de son studio était laissé à l’admiration des villageois, mais il envoyait aussi la topographie des lieux au quartier général de Tôkyô. Les marchands ambulants Oshida et Kobayashi avaient arpenté les ruelles sordides et la campagne, ils se rappelaient les adresses mieux que le facteur, et mieux que des boas savaient la taille des porcs, des moutons et de la volaille de chaque maison. Avant l’invasion du 16 décembre 1941, ces Japonais et les Karayuki-san quittèrent précipitamment le pays, trois ans et huit mois plus tard, Maïtre Hsiao donnerait son ultime leçon à l’ombre d’un upas, il commenterait le quatre-vingt-neuvième chapitre de L’investiture des dieux : « Le dernier roi des Shang fait éventrer trois parturientes », l’épisode du Voyage en Occident où Huit Tabous transformé en silure s’ébat avec les filles de la grotte aux toiles d’araignée, il se rappellerait l’obscène brutalité des Monstres, la fausse compassion de Kameda et de Watanabe, la feinte humilité d’Oshida et de Kobayashi, la mort tragique de la moitié de ses élèves, alors il cracherait du sang, les enfants s’alarmeraient et, deux heures plus tard, il trépasserait brutalement.
Trois mois après qu’ils eurent débarqué, une troupe de Monstres, accompagné de Kobayashi, se rendirent chez le Biscornu pour prélever l’impôt de six dollars par tête, celui-ci avait senti le vent et s’était carapaté, assis sur la terrasse les soldats tiraient avidement sur les Three Castles roulées qu’ils avaient extorquées. Kobayashi jouait de l’harmonica accroupi sous des festons de grands carthames et d’ipomées à fleurs rouges, il avait fini de jouer deux airs quand, boum, il s’écroula, les quatre fers en l’air, les membres tout raides, une flèche empoisonnée était plantée dans son cou, il était toujours dans la position du joueur d’harmonica. Les soldats mitraillèrent à l’aveuglette avec leurs Arisaka 92, puis quittèrent les lieux en hâte, quand ils revinrent, la tête de Kobayashi avait été tranchée, et l’harmonica avait disparu on ne sait où.
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