AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


C’était l’éclat. Le chiot sautillait, lumineux, parmi les pattes poussiéreuses et usées des rares habitants qui traînaient encore là-bas : la misère encourage la fissure, l’élagage ; elle égratigne lentement, à l’air libre, la peau de ceux qu’elle a fait naître ; elle en fait du cuir sec, la craquelle, impose une morphologie à ses créatures. Ce n’était pas encore le cas du chiot, il irradiait la joie d’être en vie, d’une lumière n’ayant pas encore souffert la triste opacité d’une pauvreté qui, j’en suis convaincue, était davantage un manque d’idées que de quoi que ce soit d’autre.
On n’avait pas faim, mais tout était gris et poussiéreux, tout était si trouble qu’en voyant le chiot j’ai immédiatement su ce que je souhaitais pour moi : quelque chose de radieux. Ce n’était pas la première fois que j’en voyais un, j’avais d’ailleurs mis au monde mes propres petites créatures, et on ne peut pas vraiment dire que la plaine ne brille jamais. Elle resplendissait avec l’eau, revivait bien qu’elle se noyait, tout en elle cessait d’être plat, elle se cambrait de grains, de campements, d’Indiens culs par-dessus têtes, de captives déchaînées et de chevaux qui nageaient avec leurs gauchos sur le dos, tandis que tout près les dorados sautaient, rapides comme l’éclair, avant de disparaître dans les profondeurs, vers le cœur du lit en crue. Et dans chaque fragment de ce fleuve qui grignotait les rives se reflétait un morceau de ciel ; on avait du mal à croire à un tel spectacle, à cette façon qu’avait le monde tout entier d’être entraîné dans un vertige boueux qui chutait lentement et tourbillonnait sur des centaines de lieues en direction de la mer.
C’était d’abord la lutte des hommes, chiens, chevaux et veaux, fuyant ce qui asphyxie, ce qui engloutit, la force de l’eau qui tue. Quelques heures plus tard, la guerre était finie, elle était longue et large, cette meute ; il était aussi sauvage que le fleuve lui-même, ce bétail déjà perdu, entraîné plutôt que guidé, les moutons emportés à saute-mouton et tout le reste ; les pattes en l’air, devant, dessous, derrière, comme des toupies sur un axe horizontal ; ils avançaient en rangs rapides et serrés, entraient vivants et ressortaient en kilogrammes de viande pourrie. C’était un torrent de vaches en rapide chute horizontale : ainsi se précipitent les fleuves dans mon pays, à une vitesse qui est aussi un approfondissement, et me voilà revenu à la poussière du début, celle qui opacifiait tout, et à l’éclat du chiot que j’ai vu comme si je n’avais jamais vu un éclat et comme si je n’avais jamais vu des vaches nager, ni leurs cornes étincelantes, ni toute la plaine éclatante de lumière comme une pierre humide au soleil de midi.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}