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Citation de sonatem


[La petite fille aux pieds nus]

... une ombre permanente était apparue, un brouillard s’était étendu dans les âmes, faisant taire tout commentaire et interdisant toute lumière...

[Lettre à Dieu]

Depuis la première lettre que j’avais pensé T’écrire à l’âge de neuf ans, quatre-vingts autres sont passés ! Et je me suis sentie rougir, aussi bien à cette époque qu’il y a deux nuits, pour cette même idée qui ne m’a jamais abandonnée. Cela me semblait être un blasphème que je n’avais jamais prononcé, peut-être un manque de pudeur ou une folie lucide. Mais maintenant je T’écris vraiment, tant que je vois. Je T’écris à Toi qui ne liras jamais mes gribouillis, ne répondras jamais à mes questions, à mes pensées ruminées pendant toute une vie.

Des pensées élémentaires, petites, celles de l’enfant qui est en moi, qui n’ont pas grandi avec moi et n’ont pas vieilli avec moi, et n’ont donc pas beaucoup changé. Peut-être que je ressens une urgence à mettre sur la page ce que j’ai accumulé dans mon esprit parce que le destin est en train de me priver de la vie. J’ai déjà de la peine à déchiffrer mon écriture tordue et les lignes ivres, mais j’ai hâte, le temps presse. Je constate que chaque mot et chaque ligne tendent vers le haut de plus en plus et qui sait si elle n’arrivera pas jusqu’à Toi, que Tu sois là ou que Tu sois fait de silence, d’invisibilité et sans image pour Ton peuple auquel j’appartiens. Fille d’une mère qui ne T’a pas plus adressé la parole à Toi qu’à ses six enfants et à un mari coupable parce que pauvre.
...
Je me demande depuis toujours, et je n’ai pas encore la réponse, à quoi servent les prières si elles ne changent rien ni personne, si Tu ne peux rien faire et si Tu n’entends pas, ne vois pas ou si Tu es l’invention d’un esprit supérieur, inimaginable, à moins que ce ne soit Toi qui T’es inventé Toi-même ? Moi, qui ai toujours écrit d’un jet, jour après jour, maintenant je m’arrête soudain la main suspendue ou le regard fixe dans le vide, c’est dans le vide que je Te cherche.
Nous n’avons, nous, ni Purgatoire ni Paradis, mais l’Enfer, je l’ai connu, où le doigt de Mengele indiquait la gauche qui était le feu et la droite qui était l’agonie du travail forcé, les expérimentations et la mort de faim et de froid.

Les cas de survie sont advenus sans mérite, ou si ça se trouve, aux dépens de la vie d’autrui, ou au service de l’ennemi. Pourquoi n’as-tu pas brisé ce doigt ? Dans la chapelle Sixtine, Tu tends le Tien vers Adam – homme en hébreu – sans l’effleurer comme ce médecin qui était le Oui et le Non, en prenant Ta place, Tu as permis qu’il Te remplace ! Et qu’il dirige cet index de feu contre des millions d’innocents qui T’invoquaient et T’adoraient comme ma mère. Tu ne craignais pas qu’ils Te renient ou alors Tu avais retourné le doigt contre Toi-même en suivant le destin de Ton peuple élu ? Nous, une fois sortis de cet Enfer, nous avons été abandonnés à nous-mêmes, mais Tu n’es pas mortel : n’es-Tu pas Notre Éternel Unique ? Paroles en l’air, consolatrices, faites d’espoir, nécessaires comme le pain pour qui a faim, et le monde ne manque pas de faim, pas plus qu’il ne manque d’abondance pour quelques-uns.
...
Oh, Toi, Grand Silence, si Tu connaissais mes peurs, de tout, mais pas de Toi. Si j’ai survécu, ça doit avoir un sens, non ?
Je Te prie, pour la première fois je Te demande quelque chose : la mémoire, qui est mon pain quotidien, pour moi, infidèle fidèle, ne me laisse pas dans le noir, j’ai encore à éclairer quelques jeunes consciences dans les écoles et dans les amphis universitaires où, en qualité de témoin, je raconte mon expérience depuis une vie entière. Où les questions les plus fréquentes sont au nombre de trois : si je crois en Toi, si je pardonne le Mal et si je hais mes tortionnaires. À la première question, je rougis comme si on me demandait de me déshabiller, à la deuxième j’explique qu’un Juif ne peut pardonner qu’en son propre nom, mais que je n’en suis pas capable parce que je pense aux autres, qui ont été exterminés, et qui ne me pardonneraient pas, à moi. Ce n’est qu’à la troisième que je peux apporter une réponse certaine : pitié oui, envers n’importe qui, haine jamais, c’est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre et c’est ce dont je Te remercie, dans la Bible Hashem, dans la prière Adonai, et dans la vie de tous les jours, Dieu.
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