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Citation de Partemps


Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur.

Le clair-obscur est la juste distribution des ombres et de la lumière. Problème simple et facile, lorsqu’il n’y a qu’un objet régulier ou qu’un point lumineux ; mais problème dont la difficulté s’accroît à mesure que les formes de l’objet sont variées ; à mesure que la scène s’étend, que les êtres s’y multiplient, que la lumière y arrive de plusieurs endroits, et que les lumières sont diverses. Ah ! mon ami, combien d’ombres et de lumières fausses dans une composition un peu compliquée ! combien de licences prises ! en combien d’endroits la vérité sacrifiée à l’effet !

On appelle un effet de lumière, en peinture, ce que vous avez vu dans le tableau de Corésus [1] un mélange des ombres et de la lumière, vrai, fort et piquant : moment poétique, qui vous arrête et vous étonne. Chose difficile, sans doute, mais moins peut-être qu’une distribution graduée, qui éclairerait la scène d’une manière diffuse et large, et où la quantité de lumière serait accordée à chaque point de la toile, eu égard à sa véritable exposition et à sa véritable distance du corps lumineux : quantité que les objets environnants font varier en cent manières diverses, plus ou moins sensibles, selon les pertes et les emprunts qu’ils occasionnent.

Rien de plus rare que l’unité de lumière dans une composition, surtout chez les paysagistes. Ici, c’est du soleil ; là, de la lune ; ailleurs, une lampe, un flambeau, ou quelque autre corps enflammé. Vice commun, mais difficile à discerner. Il y a aussi des caricatures d’ombres et de lumières, et toute caricature est de mauvais goût.

Si, dans un tableau, la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant. Incorrections de dessin, manque d’expression, pauvreté de caractères, vices d’ordonnance, on oublie tout ; on demeure extasié, surpris, enchaîné, enchanté.

S’il nous arrive de nous promener aux Tuileries, au bois de Houlogne, ou dans quelque endroit écarté des Champs-Élysées, sous quelques-uns de ces vieux arbres épargnés parmi tant d’autres qu’on a sacrifiés au parterre et à la vue de l’hôtel de Pompadour [2] sur la fin d’un beau jour, au moment où le soleil plonge ses rayons obliques à travers la masse touffue de ces arbres, dont les branches entremêlées les arrêtent, les renvoient, les brisent, les rompent, les dispersent sur les troncs, sur la terre, entre les feuilles, et produisent autour de nous une variété infinie d’ombres fortes, d’ombres moins fortes, de parties obscures, moins obscures, éclairées, plus éclairées, tout à fait éclatantes : alors les passages de l’obscurité à l’ombre, de l’ombre à la lumière, de la lumière au grand éclat, sont si doux, si touchants, si merveilleux, que l’aspect d’une branche, d’une feuille, arrête l’œil et suspend la conversation au moment même le plus intéressant. Nos pas s’arrêtent involontairement ; nos regards se promènent sur la toile magique, et nous nous écrions : « Quel tableau ! Oh ! que cela est beau ! ». Il semble que nous considérions la nature comme le résultat de l’art ; et, réciproquement, s’il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l’effet de l’art comme celui de la nature. Ce n’est pas au Salon, c’est dans le fond d’une forêt, parmi les montagnes que le soleil ombre et éclaire, que Loutherbourg et Vernet sont grands.

Le ciel répand une teinte générale sur les objets. La vapeur de l’atmosphère se discerne au loin ; près de nous son effet est moins sensible ; autour de moi les objets gardent toute la force et toute la variété de leurs couleurs ; ils se ressentent moins de la teinte de l’atmosphère et du ciel ; au loin, ils s’effacent, ils s’éteignent ; toutes leurs couleurs se confondent ; et la distance qui produit cette confusion, cette monotonie, les montre tout gris, grisâtres, d’un blanc mat ou plus ou moins éclairé, selon le lieu de la lumière et l’effet du soleil ; c’est le même effet que celui de la vitesse avec laquelle on tourne un globe tacheté de différentes couleurs, lorsque cette vitesse est assez grande pour lier les taches et réduire leurs sensations particulières de rouge, de blanc, de noir, de bleu, de vert, à une sensation unique et simultanée.

Que celui qui n’a pas étudié et senti les effets de la lumière et de l’ombre dans les campagnes, au fond des forêts, sur les maisons des hameaux, sur les toits des villes, le jour, la nuit, laisse là les pinceaux ; surtout qu’il ne s’avise pas d’être paysagiste. Ce n’est pas dans la nature seulement, c’est sur les arbres, c’est sur les eaux de Vernet, c’est sur les collines de Loutherbourg, que le clair de la lune est beau.

Un site peut sans doute être délicieux. Il est sûr que de hautes montagnes, que d’antiques forêts, que des ruines immenses en imposent. Les idées accessoires qu’elles réveillent sont grandes. J’en ferai descendre, quand il me plaira. Moïse ou Numa. La vue d’un torrent, qui tombe à grand bruit à travers des rochers escarpés qu’il blanchit de son écume, me fera frissonner. Si je ne le vois pas, et que j’entende au loin son fracas, « C’est ainsi, me dirai-je, que ces fléaux si fameux dans l’histoire ont passé : le monde reste, et tous leurs exploits ne sont plus qu’un vain bruit perdu qui m’amuse. » Si je vois une verte prairie, de l’herbe tendre et molle, un ruisseau qui l’arrose, un coin de forêt écarté qui me promette du silence, de la fraîcheur et du secret, mon âme s’attendrira ; je me rappellerai celle que j’aime : « Où est-elle ? m’écrierai-je ; pourquoi suis-je seul ici ? » Mais ce sera la distribution variée des ombres et des lumières qui ôtera ou donnera à toute la scène son charme général. Qu’il s’élève une vapeur qui attriste le ciel, et qui répande sur l’espace un ton grisâtre et monotone, tout devient muet, rien ne m’inspire, rien ne m’arrête ; et je ramène mes pas vers ma demeure.
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