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Citation de Partemps


(extraits du Journal, II)

La foi prend toutes les formes imposées, elles sont rigides mais variées. Le témoin universel pour la foi, ce n’est ni Jésus ni Mahomet ni les prophètes, mais l’arbre. Il est la présence constante de ce qui s’élève, à l’intérieur duquel la sève monte et descend, il est réversible et pas seulement dans l’imagerie ancienne, il pompe la lumière de Dieu à travers la croûte céleste, par les racines... Il l’est naturellement puisque les boutures prennent, quel que soit le sens que l’on choisit pour enfoncer en terre le morceau de branche coupée. Les racines ont le même développement que les branches et si on veut verser de l’engrais au pied de l’arbre, il faut le faire à l’aplomb des extrémités des branches les plus extérieures. Si l’arbre est au centre de ma vision, c’est qu’il représente ce qui en moi contient et distribue la force. Pour Van Gogh, il est torche, pour Mondrian, il est le passage obligé vers l’abstraction. Le mien, les miens, en ce moment, attrapent la lumière par leurs branches hautes, tout en étant comme immobilisés par le froid. Il n’y a pas du tout de vent et l’herbe est un peu blanche ; c’est l’immobilité presque complète qui permet de saisir l’essence du mystère, peut-être comme le squelette, le crâne, qui permet d’approcher l’idée de la mort, mais le crâne ou le squelette, ou tout être figé, contient le vertige de l’interrogation. Tant que l’homme s’affaire, il ne confie rien, il masque ; d’une certaine façon, on pourrait, comme on retourne l’arbre, retourner les évidences et dire que du côté de la vie est la mort et que du côté de la mort est la vie. Il n’y a peut-être que cette intime connaissance, mise ensuite à toutes les sauces et couverte de tous les oripeaux, broderies, tissages divers de fils d’or et d’argent, de perles, de pierreries, de papier... Autre chose : l’image des noix enterrées et de l’écureuil. Nous vivons sur des territoires de mémoire – mémoire et surimpression, couches nombreuses superposées –, évoluer sur le territoire comme un écureuil, comme un sourcier, c’est un art, sentir la baguette vibrer là où le trésor demande à être exploité... Nous sommes tous installés sur des mines d’or : les branches du marronnier éclairées prennent l’aspect de branches fondues dans un métal précieux, cuivre jaune, laiton, vermeil. Seule cette transformation permet d’assister à l’avènement de la lumière. La splendeur émerge tout doucement de la nuit, du brouillard, de l’indifférencié ; par expérience, je sais que c’est une splendeur passagère, comme celle de la jeunesse, c’est parce qu’elle est passagère qu’elle provoque l’émotion. Avec la lumière, la crainte de la nuit, avec la nuit, la distance des étoiles et l’attente du jour, une douleur possible et qui pourrait être insupportable si on ne dormait pas pour supporter l’attente. Effroi profond à l’idée que le soleil pourrait ne pas se lever – des hommes l’ont certainement éprouvé –, la croix, l’arbre simplifié, c’est l’homme, c’est nous.
Avant de m’endormir, hier, lu quelques pages de Tanizaki, Éloge de l’ombre, et le passage concernant les objets aux reflets sombres, les reflets d’or dans la laque distillant la lumière de la lampe au cœur d’une chambre ténébreuse. La lumière douce (comme celle d’une lanterne) de la lampe à abat-jour posée à ma gauche et éclaire doucement mes pots – deux verts vernissés, de couleurs différentes, l’un, le plus large, vert clair, l’autre, rapporté du Limousin, d’un vert plus bleu – les autres pots, couleur de terre claire, l’un en terre véritable, les autres en plastique – mais de formes agréables. Présence donc, non seulement des plantes (fleur de la passion qui pousse entre les pots de bégonias), mais présence des pots, admirables eux aussi, comme les poteries posées en haut des cheminées. Nécessité sans doute de retourner au musée de Beauvais pour aller regarder encore une fois les poteries, les vases en terre aussi, qui m’ont fait réellement jouir une fois. Cette relation forte avec le pot et son contenu, relation qui est à la portée de tout un chacun, du plus humble au plus riche, mais surtout le plus humble, qui n’importe où, en ville, sur un balcon, un rebord de fenêtre, aligne ses géraniums, ses plantes médicinales, son herbe à chat. Le pot contenant la plante – particulièrement les bégonias samsonianas car ils aiment pousser serrés – est rassurant de la façon la plus essentielle et primitive, comme un ventre maternel. Dans le terreau, bien au chaud, la plante se développe comme un fœtus qui aurait le droit de sortir à l’air libre ses petits moignons et puis de grandir et s’étaler en parasol protecteur des plus petits. L’alignement lui-même, comme tout alignement de chiffres sur une page, de notes de musique, d’oiseaux sur une branche, rassure parce que c’est l’amorce de la répétition. Répétition création, de l’un engendrant toujours de l’autre, à l’infini. La permanence, donc, inscrite dans la présence du pot, de son amicale patience.
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