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Citation de Partemps


4/ JOURNAL I

Les gouttes de pluie s’alignent le long de la branche mince du bambou comme un collier de perles de verre brillantes. Dans le pot du bégonia transplanté dans un mélange de terreau et de terre de forêt sablonneuse, quelque chose pousse. On dirait un gros pois encore replié au bord de son germe. Dans le bac, les pousses de la fleur de la passion se garnissent de feuilles nouvelles, la tige est toujours très fragile. Je vais les transplanter puisque l’une d’elles a supporté l’opération. J’ai remarqué hier que les feuilles du marronnier blanc, en grandissant, sont beaucoup plus solides et farouches que celles du marronnier rose qui, cependant, en été, sont beaucoup plus foncées, plus épaisses, plus nervurées, comme plissées, gaufrées. Elles tiennent mieux à la branche et ont le temps de se parer de trois couleurs, le brun rouge apparaissant par taches d’abord dans le vert, puis le vert tournant au jaune par endroits, jusqu’à devenir parfois toutes jaunes avec quand même des taches de rouille. La feuille de marronnier blanc semble plus homogène, elle est moins épaisse, moins sombre, moins complexe, mais plus grande, plus simple. C’est aussi avec plus de simplicité qu’elle meurt, comme si le cœur lui manquait brusquement, et plouf ! Tous les préparatifs de printemps dans les plates-bandes rééquilibrent l’impression générale ; la vie est incroyablement présente, malgré les feuilles qui tombent. Les glands ramassés dans la terre de forêt germent ainsi que les bulbes ; les muscaris bleus pointent déjà leurs feuilles. Je pense à tous les bulbes de tulipes enterrés sous les pelouses et les autres petits bulbes divers, d’iris de Hollande, de fritillaires, de crocus. Les anémones ont des bulbes spéciaux, moches, comme des corps de grosses araignées recroquevillées... Certains commencent à germer aussi. Je les ai gardés un peu trop dans la maison avant de les planter. J’espère qu’il n’y aura pas de conséquences désastreuses. Déjà, tout le travail de ces derniers mois laisse présager de multiples ravissements l’année prochaine. Les arbres ne sont là que pour scander leur approbation comme de grosses cloches. La terre est le grand bouclier, le gong qui reçoit les marrons bondissants, les noix, les feuilles, les averses. Elle tressaille, elle vit, tout est en germe dans ses entrailles. Je soulève les plantes vivaces, je secoue leurs racines, prépare un nouveau terreau pour découvrir si elles auront là de meilleures conditions pour s’épanouir. Là où j’aurai fait ce travail, les plantes seront deux fois plus belles. Retourner les plates-bandes de vivaces, c’est facile dans ces conditions. Il faut le faire sans faute chaque année pour que la terre n’ait pas le temps de se tasser, l’alléger avec le sable forêt, le compost, pour que les racines soient à l’aise, mais aussi que le mélange soit nourrissant. Car les plantes mangent et certaines sont voraces.
Je lis, assise sur le divan, mais sans cesse, j’ai besoin de lever la tête, mon regard attiré par les tons vermeils, cuivrés et dorés, rutilants du feuillage derrière ma baie vitrée. Présence insistante de la couleur, de la lumière, de la transparence des feuilles du bambou, du rayonnement des feuilles du marronnier et devant, toutes tournées vers le jardin, les feuilles épaisses mais quand même transparentes, en éventail, du bégonia vert et chocolat, elles aussi au spectacle derrière la rampe, pots alignés avec les pots de minuscules fleurs de la passion, enfants emmenés à l’opéra de la nature par des parents en grand apparat. Je regarde un très grand aquarium, le bambou est une algue et l’arbre un banc de poissons d’or jouant avec une pieuvre géante, béate, qui étend ses bras branches vigoureux, le tout en suspension dans l’élément humide qui est de l’air, qui est de l’eau, une soupe de feuillages hachurés, hachés, rôtis, déchirés, déchiquetés. L’une des branches bras du marronnier, la plus forte, est celle, horizontale, à laquelle nous pensons qu’il serait souhaitable d’accrocher une balançoire pour les enfants. L’enfant qui se balance comme un battant de cloche confirme l’existence de l’arbre comme instrument d’un cérémonial sacré au centre du jardin. Il est le goupillon géant, l’instrument des baptêmes, des mariages et des enterrements. Il est le flambeau, le candélabre, le lustre immense, la lanterne magique, le lampion éclairé du dedans.
Sous mes yeux, les fleurs de la passion, encore très petites, prennent tournure. À droite, deux plantes de la forêt, rempotées, grimpent. L’une d’elles ne survivra pas au rempotage car, n’ayant pas idée de la profondeur à laquelle était la racine, je l’ai coupée et plantée comme une bouture, cependant sa jumelle est entière. N’ai pas trouvé de gland ou quelque chose d’approchant à la base. Le soleil à nouveau et une matinée très douce, une des dernières sans doute.
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