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Citation de keguelin


Arthur Dénouveaux
« Sombre jour, sombre nuit » (Écrit deux jours après le 13 novembre 2015 )


13 novembre 2015, le ver est entré dans le fruit ou la ronde de l’espoir pour chasser l’ombre de la mort.

Le peuple unanime a dit :
« Sombre jour, sombre nuit,
Le ver est entré dans le fruit.
Nous n’irons plus au bois
Cueillir des bouquets de primevères,
Ni fleurir de lilas les anniversaires,
Mais porter au cimetière,
À nos frères et à nos amis,
Des fleurs aux feuillages éplorés
Dont l’ombre leur sera légère. »

Sombre jour, sombre nuit,
Le peuple s’est terré dans son cœur.
Au fil des journaux, la terreur a craché ses rumeurs.
Quelqu’un a dit : « Que le peuple reste chez lui !
Puisque le jour est sombre, et sombre la nuit,
Qu’il n’aille plus au bois
Cueillir des bouquets de primevères,
Ni fleurir de lilas les derniers et tristes anniversaires,
Ni écouter au bois les cors mélancoliques
Qui claironnent à tout-va :
« Le ver n’a pas quitté le fruit ».

Le peuple désolé a dit :
« Sombre jour, sombre nuit,
Les étoiles ont fui vers les lointains horizons de l’univers,
Et les réverbères, craignant d’être dénoncés à la Terreur,
Se sont éteints ou se sont cachés
Autour desquels tournoyaient les « éphémères » … humains ».
D’une voix douce, quelqu’un a dit :
« Un seul ver a suffi pour tuer le fruit » … et tutti frutti.
Et un autre, d’une voix qui tremble, avec une violence contenue :
« C’est un expert en tueries
Venu de la lointaine Syrie, ou de je ne sais quelle étoile
Tombée du profond et sombre azur.
Il se cachait « courageusement » derrière une femme vêtue comme un fantôme,
Avant de viser au cœur nos pauvres enfants,
Nos enfants morts innocents ».

Et un autre citoyen, avec une colère dévastatrice :
« Ô journée de deuil. N’a-t-il pas un cœur, ce maudit pirate
Qui écume Paris pour remplir les cimetières ?
Et arrache la mère à son enfant et les enfants à leur mère.
Peut-il donc être Français,
Celui qui vient de France et s’en revient doucettement en France,
Sa mère nourricière,
Pour verser le sang de ses frères, de ses cousins et de ses nièces, et de tutti quanti ?
Mais, vous qui osez chanter … que viennent donc faire dans cette affaire les lilas et les primevères ? ».
Le peuple plus sinistre que sombre a redit :
« Sombre jour, sombre nuit,
Comme un jour sans pain, comme une nuit sans fin,
N’allons plus au bois, mes amis,
Cueillir des bouquets de primevères,
Pour fleurir de lilas les derniers des derniers anniversaires,
Ou écouter dans les bois les cors mélancoliques
Qui claironnent à tout-va
– les entendez-vous » :
« Le ver n’a pas quitté le fruit.
Nous ne rirons plus,
Et nos chants montant de notre cœur
Resteront au fond de notre gorge
Pour ne pas trahir notre angoisse ».

Quelques citoyens désabusés :
« Rien ne serait donc perdu ? Mais tout finit !
Notre roi en a décidé ainsi :
« Le bois de Vincennes restera fermé, de jour comme de nuit,
Que le jour soit clair ou que la nuit finisse,
Aussi longtemps que le ver ne sera pas sorti du fruit …
Tout fruit est un fruit défendu !
Car le poison du ver contamine tous les fruits ».
Et puis, une citoyenne se ressaisissant :
« Que nous veulent ces lâches et féroces assassins ! Qu’on leur réserve les derniers supplices ! ».

Le peuple tout entier a redit :
« Sombre jour, sombre nuit ».
Certains, avec un cri rentré dans la gorge, ont dit :
« Nous ne voulons plus du ver à aucun prix !
Qu’il reste ou qu'il quitte le fruit, que nous importe,
Nous ne retournerons plus aux bois
Cueillir des bouquets de primevères,
Ni, s’il en reste, les derniers lilas aux fleurs éteintes,
Pour refleurir les derniers des derniers, les tout derniers anniversaires,
Ceux qui viendront comme ceux qui sont déjà échus.
Puis parcourant nos villes et nos villages, la mort aux trousses,
Pour nos frères et pour nos amis, vivants et morts,
Nous dessinerons sur les murs de leurs antiques maisons
Des primevères et des lilas aux feuillages éplorés
Pleurant de tristesse les beaux jours évanouis.
Et notre drapeau sera en berne et Notre-Dame pleurera nos rêves déchus
Au vent glacé de la réalité ».

Un père à ses enfants, ne pouvant plus crier, a dit mezza-voce :
« NON ! RÉSISTONS et que le jour cesse d’être aussi sombre,
Et que s’enfuie la nuit noire plus noire qu’une tombe !
Et que notre sourire s’étale au fronton des églises,
Et aux minarets des mosquées « françaises »,
Et au front de nos nobles défenseurs.
Partout la joie sera vainqueur ».
Puis, avec une soudaine vigueur, cet inconnu, retrouvant son cri :
« NON ! Nos ennemis ne feront pas la loi dans nos foyers !
Et leurs flèches, visant nos cœurs, vibreront et voleront par-dessus nos maisons,
Avant de tomber en cendres dans nos prés et nos jardins.
Et nous crierons : restons debout ; seuls les morts sont couchés ! ».
Le peuple a répondu : « OUI, cessons d’arborer des visages sombres comme des tombes.
C’est bien assez que le jour ancien et la nuit prochaine soient si clairement sombres. »

Un Français, un patriote peut-être, dressé sur la statue de la République, a chanté :
« Le jour redevient lumineux, la prochaine nuit sera claire.
Pourquoi réserverions-nous à ces cohortes étrangères de « Français »
Les derniers supplices ? Chassons-les …
Ce n’est pas l’Apocalypse !
Contre les mots sanglants, levons-nous, comme on se lève contre les fous sanguinaires et les lâches incendiaires. »

Une Française, berçant un poupon dans ses bras :
« Et après tout, pourquoi un fruit serait-il défendu ? ! S’il vous plaît, pas de turlutaine.
Je veux croquer à pleines dents le fruit, s’il est défendu, surtout s'il est défendu …
Mangeons notre pain quotidien, ou les quelques miettes qui nous restent,
Pour qu’aucun jour ne soit un triste jour sans pain,
Et qu’aucune nuit ne soit désormais une tombe muette.
Car, plus jamais le ver ne pourrira le cœur du fruit.
Plus jamais la bouche d’ombre ne dévorera un fruit pourrissant sur la branche inerte.
L’espoir refleurira et nous rallumerons nos cierges et nos réverbères …
Aux clartés de l’espoir pour illuminer les cœurs et les visages
De ceux que nous aimons, de ceux qui nous haïssent.
Et nous leur porterons les doux lilas et les joyeuses primevères
Pour fleurir tous les anniversaires.
Mais nous n’oublierons pas de porter au cimetière,
À nos frères et à nos amis,
Des fleurs aux feuillages éplorés. Écoutez d’avance le chant du poète :
« Leur pâleur en est douce et chère,
Et leur ombre sera légère
À la terre où ils dormiront ».

Et alors, la foule, doucement d’abord, puis s’enhardissant fit s’élever de ses milliers de voix ce cri unanime et assourdissant :
« Et alors le jour cessa d’être sombre,
Et la nuit même cessa d’être une ombre.
Et nous ne marchons plus comme des ombres !
Et les morts quittent leurs tombes ».

Perché sur les épaules de Marianne, ce nouveau colosse – le mélancolique optimiste entonna la « Ballade de celui qui chanta dans les supplices » :
« Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle des lendemains … » (Aragon. « Ballade de celui qui chanta dans les supplices »).

Et en un refrain repris par toutes ces gorges profondes, depuis le plus petit des Français jusqu’au plus grand, depuis le plus jeune jusqu’au plus vieux, du plus triste jusqu’au plus compatissant, du plus calme au plus inquiet, ils chantèrent avec une ferveur toute neuve :
« Une voix monte des fers
Et parle aux hommes de demain …
Et parle aux hommes des lendemains de nouveau fleuris,
Où nous pourrons de nouveau aimer
Car le Ciel sera de nouveau haut et paisible
Et Paris et la France seront de nouveau Paris et la France, libérés ». (D’après Aragon)

VIVE LA FRANCE, VIVE LA RÉPUBLIQUE
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