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Citation de Charybde2


Et en effet, pendant quinze jours, il lut les journaux, traîna dans les cinémas, musarda dans les cafés, les yeux dans le vague, absent et funèbre, penché comme un saule au-dessus d’une tasse de café vide, ne prêtant aucune attention aux conversations, aux serveurs qui tournicotaient entre les tables, aux joueurs de billard dans le fond qui déplaçaient les marqueurs d’une queue dédaigneuse. La nuit, au lit, il feuilletait désespérément d’anciens numéros du Reader’s Digest, tandis que des éléphants en bois entraient et sortaient par la fenêtre ouverte, que des guirlandes de lumière tremblotaient au plafond, que les motos du Puits de la Mort assourdissaient le quartier de leurs accélérations calamiteuses : La PIDE avait-elle démantelé l’Organisation ? se demandait-il. Et Olavo, Emilio, le Chauve, le type trapu, à demi fou, qui voulait à tout prix poser des bombes d’un kilo au siège de la Fédération de Ping-Pong, parce qu’il ne supportait plus le bruit des balles toc toc toc toc toc toc toc sur le sol de ciment ? S’était-elle ramifiée pendant son absence en de nouveaux groupes, de nouvelles cellules, de nouveaux commandos de guérilla, ou s’était-elle au contraire réduite à quatre ou cinq étudiants véhéments et obstinés qui distribuaient des tracts, sondaient leurs collègues, écrivaient en toute hâte sur les façades, à la bombe rouge, en lettres tremblées, MORT À LA DICTATURE ? Avait-elle encore assez d’argent pour payer à ses employés leur salaire de misère, pour commander des armes en Algérie ou au Maroc, pour apporter aux prisonniers des fruits, des cigarettes, du quatre-quarts et des revues ? Le sous-lieutenant étendit un bras tentaculaire, surmontant la molle résistance des couvertures, sa bouche rencontra l’angle parfumé d’une épaule et grimpa le long d’un cou jusqu’à une oreille dans une succession de doux baisers.
– Vite, prends-moi, implora la femme d’une voix haletante, urgente.
– Essayez de boire sans tout renverser, dit la jeune fille, une main en conque autour du verre. Dans dix minutes, vous vous sentirez en super-forme, je vous le garantis.
Inès retroussa sa chemise de nuit, se mit en position, les doigts du sous-lieutenant rencontrèrent une touffe de poils doux au milieu desquels une petite grotte oblique suintait et bavait. Un bras enserra son cou, une main chercha la raie entre ses fesses, trifouilla son anus, pressa la racine tendre et gonflée de ses testicules. La lune en papier de la lampe se détachait, jaune, sur les arbres, quand il atteignit l’arrêt d’autobus en face du cinéma (un film policier complètement idiot, une américanerie débile, sans queue ni tête), un type le heurta comme par inadvertance et continua son chemin en direction de la place Estefania et de son petit jet d’eau mélancolique au milieu des maisons : émerveillé, surpris, exalté, incrédule (Est-ce lui, vraiment lui, vraiment vraiment lui ?), il reconnut le dos maigre et les petits pas brefs d’Olavo dont le pardessus élimé et gigantesque, comme toujours trop grand pour le torse minuscule, traînait à terre avec la noblesse ridicule d’un parement de prêtre.
– Finalement, ils ne m’avaient pas oublié, mon capitaine, dit l’officier des transmissions, finalement ils avaient survécu, finalement ils travaillaient, finalement l’information était arrivée du Mozambique et je continuais à être un type sûr.
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