Saturday Night and Sunday Morning (1960) film, extrait
Tout ça m’amène à réfléchir sur cette façon que j’ai souvent d’avoir le cafard. Le sac à charbon que l’on a au-dedans de soi et le noir qu’il vous met sur la bouillotte, ça ne veut pas forcément dire qu’on va se pendre, ou se flanquer sous un autobus, ou se jeter par la fenêtre, ou se couper la gorge avec une boîte à sardines, ou se mettre la tête dans le fourneau à gaz, ou aller fourrer la fichue défroque de sa carcasse sur une voie de chemin de fer. Parce que, quand on a vraiment le noir, on n’arrive même pas à se décoller de sa chaise.
Parce que quand le directeur m'a dit d'être honnête, c'était à sa façon à lui, pas à la mienne.
NDL : chacun son éthique,
chacun ses valeurs.
Ils peuvent nous espionner pourvoir si nous ne jouons pas à des jeux solitaires et si nous bossons bien ou si nous ne séchons pas nos cours de gym, mais ils ne peuvent pas passer nos tripes aux rayons X pour savoir ce que nous nous disons à nous-mêmes.
C’est ça, qu’ils disent, l’entraînement idéal pour la grande journée des championnats, quand tous les messieurs-dames à groin de cochon –qui ne savent même pas que deux et deux font quatre et qui seraient empotés comme des manches s’ils n’avaient pas leurs esclaves pour les servir au doigt et à l’œil- viendront nous faire de beaux discours pour nous démontrer qu’il n’y a rien comme le sport pour vous ramener dans le droit chemin et vous empêcher d’avoir les doigts qui vous démangent de taquiner les serrures de leurs boutiques et de leurs coffres-forts, ou de vider les pennies de leurs compteurs à gaz avec des épingles à cheveux. Et comme récompense, on vous donnera un bout de ruban bleu et une coupe, après que vous vous serez bien esquintés à courir ou à sauter, tout comme des canassons, avec cette différence que les canassons, eux, on les traite mieux que nous ensuite.
"Nous voulons te faire confiance pendant que tu seras ici." qu'il disait en défroissant son journal avec ses mains de feignant blanches comme le lis, pendant que je lisais les grosses lettres à l'envers :
Daily Telegraph.
Les chanteurs attablés dans la salle en plusieurs groupes tumultueux avaient vu Arthur se diriger en titubant vers le haut de l'escalier, mais, bien qu'ils eussent tous dû savoir qu'il était ivre mort, et se rendre compte du danger qu'il allait courir, pas un seul n'avait essayé de lui parler et de le reconduire à son siège. Avec onze pintes de bière et sept petits verres de gin dans l'estomac, il avait roulé du palier jusqu'au bas des marches.
Le temps s’écoulait tout doucement : l’aiguille des minutes de l’horloge semblait calée dans une position invariable. Les deux fillettes se regardaient mutuellement et n’avaient pas conscience de sa présence : lui se retrancha en lui-même en sentant tout le néant de ce monde et en se demandant comment il arriverait à supporter tous les jours qui lui semblaient s’allonger sans but devant lui, comme des produits fabriqués qu’emporte une bande transporteuse déréglée. […] Tout ce qu’il pouvait voir de son passé, c’était une brume grisâtre, et dans son avenir, la même brumasse mystérieuse qui ne dissimulait que le néant.
Notre gâteux de salaud de directeur, notre vérolé de patron à moitié crevé, aussi creux qu’un fût de pétrole vide, voudrait bien qu’avec mes facultés de coureur je le couvre de gloire, que je lui infuse du sang et une pulsation qu’il n’a jamais eus ; il voudrait bien que ses enflés de copains en soient les témoins pendant que je passerais en titubant et hors d’haleine devant le poteau d’arrivée, pour qu’il puisse déclarer : « Mon Borstal a gagné la Coupe, vous voyez. […]
" Car c'était un samedi soir, le meilleur moment de la semaine, celui où l'on s'amuse pour de bon, l'un des cinquante-deux jours de gloire dans la grande roue de l'année qui tourne si lentement, le prologue échevelé d'un morne dimanche."
p 9
" Quand on est un révolté, on le reste toujours. On ne peut pas s'en empêcher, on ne peut pas le nier. Et ça vaut mieux d'être un révolté, parce que ça leur fait voir que ça n'prend pas, leurs trucs pour essayer de vous avoir. Les usines, les bourses du travail et les assurances sociales, c'est pour vous faire gagner votre vie et défendre vos droits - qu'ils disent! Mais c'est jamais que des attrape-nigauds qui vous suceraient comme des sables mouvants si vous ne restiez pas sur vos gardes. A l'usine, on vous fait trimer à en crever, à la bourse du travail on vous engourdit à en crever avec de belles phrases, et les assurances sociales et les contributions vous pompent les sous de votre paie et vous vident à en crever. S'il vous reste la moindre bribe de vie dans les tripes après toutes ces saloperies, c'est l'armée qui vous appelle et vous envoie vous faire trouer la peau."
p 261