AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de MegGomar


De 1966 à 1976, les plus noires années de la Révolution culturelle, il n’y
avait presque rien dans la coupe ni la couleur qui distinguait les vêtements
des femmes de ceux des hommes. Les objets spécifiquement féminins
étaient rares. Le maquillage, les beaux vêtements et les bijoux n’existaient
que dans des romans interdits. Mais les Chinois de cette époque avaient
beau être révolutionnaires, ils ne pouvaient tous résister à l’appel de la
nature. Une personne pouvait être « révolutionnaire » sous bien des aspects,
il suffisait qu’elle succombe aux désirs sexuels « capitalistes » pour être
traînée sur le devant de la scène publique et mise au banc des prévenus. De
désespoir, certains attentaient à leur vie. D’autres se faisaient passer pour
des modèles de vertu mais abusaient de ceux, hommes et femmes, que l’on
réformait, faisant de leur soumission sexuelle « un test de loyauté ». La
majorité des gens qui ont traversé cette époque ont souffert d’interdits
sexuels, surtout les femmes. Les maris, en pleine maturité, étaient
emprisonnés ou envoyés dans des centres de rééducation, parfois pendant
vingt ans, et leurs femmes étaient contraintes de subir un état de veuvage de
leur vivant.
Maintenant que l’on essaie de mesurer les torts que la Révolution
culturelle a causés à la société chinoise, les dommages faits à l’instinct
sexuel sont un facteur à prendre en compte. Les Chinois disent que « dans
chaque famille, il y a un livre qu’il vaut mieux ne pas lire à haute voix ». Il
y a beaucoup de familles chinoises qui n’ont pas encore regardé en face ce
qui leur est arrivé pendant la Révolution culturelle. Ce sont les larmes qui
ont soudé ensemble les chapitres de ces livres de famille, et il est encore
trop tôt pour les ouvrir. Les générations futures ou ceux qui n’ont pas connu
ces histoires n’y verront que des titres brouillés. Quand les gens sont
témoins de la joie de familles ou d’amis qui se retrouvent après des années
de séparation, bien rares sont ceux qui osent se demander comment ils ont
réussi à s’accommoder de leurs désirs et de leurs souffrances pendant toutes
ces années-là.
Ce sont souvent les enfants, et plus particulièrement les filles, qui ont subi
les conséquences de la frustration des désirs sexuels. Pour une jeune fille,
grandir pendant la Révolution culturelle signifiait être confrontée à
l’ignorance, la folie et la perversion. On interdisait aux écoles et aux
familles de leur donner l’éducation sexuelle la plus élémentaire. De
nombreuses mères et enseignantes étaient elles-mêmes ignorantes en ces
domaines. Quand leurs corps se développaient, les filles devenaient la proie
d’attouchements ou de viols, des filles telles que Hongxue, dont la seule
expérience de plaisir sensuel venait d’une mouche ; Hua’er, qui fut
« violée » par la révolution ; l’auditrice anonyme mariée par le Parti ; ou
Shilin, qui ne saura jamais qu’elle a grandi. Les auteurs de ces crimes
étaient leurs professeurs, leurs maris, et même leurs pères et leurs frères, qui
avaient perdu le contrôle de leurs instincts bestiaux et se sont comportés de
la façon la plus égoïste et la plus ignoble qui soit. Les espérances de ces
filles ont été réduites à néant, et leur aptitude à faire l’expérience du plaisir
de l’amour, endommagée à vie. Si nous étions prêts à écouter leurs
cauchemars, il y faudrait dix à vingt ans, et leurs histoires se ressemblent
toutes.
Il est trop tard maintenant pour rendre la jeunesse et le bonheur à Hua’er et
aux femmes qui ont enduré la Révolution culturelle. Elles tirent les grandes
ombres noires de leurs souvenirs derrière elles.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}